Le comte de Moret. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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lui son gouverneur Ornano. Richelieu refusa. Le jeune prince alors crie, jure, tempête, dit qu'Ornano entrera au conseil de bonne volonté ou de force. Richelieu, ne pouvant faire arrêter Gaston, fait arrêter Ornano. Gaston force la porte du conseil, et, d'une voix altière, demande qui a eu l'audace de faire arrêter son gouverneur. «Moi,» répond avec le plus grand calme Richelieu.

      Tout en serait resté là et Gaston eût bu sa honte, si Mme de Chevreuse, poussée par l'Espagne, n'eût poussé Chalais. – Chalais vint s'offrir à Monsieur pour le débarrasser du cardinal, et voici ce que Gaston trouve ou plutôt ce qu'on lui souffle: il ira avec toute sa maison dîner chez Richelieu, à son château de Fleury, et là à sa table, trahissant l'hospitalité, des gens d'épée assassineront commodément un homme sans défense – un prêtre.

      Au reste, depuis soixante ans, l'Espagne, dont on voit la main jaune et hideuse dans tout cela, n'en a pas fait d'autres, à l'endroit des grandes personnalités qui la gênent: elle les supprime. En politique, supprimer n'est pas tuer. Ainsi elle a supprimé Coligny, Guillaume de Nassau, Henri III, Henri IV; ainsi elle comptait faire de Richelieu. Le procédé est monotone, mais peu importe: du moment où il réussit, il est bon.

      Cette fois, cependant, il échoua.

      Ce fut à cette occasion que Richelieu, comme Hercule chez Augias, commença le nettoyage de la cour, par le balayage des princes. Les deux bâtards de Henri IV, les Vendôme, furent arrêtés; le comte de Soissons prit la fuite; Mme de Chevreuse fut exilée, le duc de Longueville en disgrâce. Quant à Monsieur, il signa une confession dans laquelle il dénonçait et abandonnait ses amis. Il fut marié, enrichi et déshonoré.

      Chalais seul sortit sans honte de cette conspiration parce qu'il en sortit sans tête.

      Et déjà si avant dans l'ignoble, Monsieur n'avait pas vingt ans.

      Par l'autre porte entra, presque aussitôt que Monsieur, une femme de cinquante-cinq à cinquante-six ans, vêtue royalement, portant une petite couronne d'or sur le haut de la tête, et un long manteau de pourpre et d'hermine, descendant de ses épaules sur une robe de satin blanc brochée d'or; elle a pu être fraîche autrefois, mais jamais ni belle ni distinguée; un excessif embonpoint lui donne ce vulgaire aspect qui lui a valu de la bouche de Henri IV le surnom de la Grosse banquière; c'est un esprit tracassier qui ne se plaît que dans l'intrigue.

      Inférieure en génie à Catherine de Médicis, elle lui a été supérieure en débauche. Si l'on en croit ce que l'on dit, un seul des enfants de Henri IV lui appartient, Mme Henriette. D'ailleurs, de tous, elle n'aime, nous l'avons dit, que Gaston. Elle a pris d'avance son parti de la mort de son fils aîné, qu'elle regarde comme inévitable, et dont elle est déjà consolée. Son idée fixe est de voir Gaston sur le trône, comme l'idée fixe de Catherine de Médicis, a été d'y voir Henri III.

      Mais une accusation plus grave que toutes celles-là pèse sur elle, et fait que Louis XIII la déteste autant qu'elle le hait: elle a dit-on, sinon mis, du moins laissé aux mains de Ravaillac le couteau qu'elle en eût pu faire tomber. Un procès-verbal faisait foi que Ravaillac l'avait nommée elle et d'Epernon sur la roue. Le feu fut mis au Palais-de-Justice pour faire disparaître jusqu'à la trace de ces deux noms.

      Depuis la veille, la mère et le fils ont été convoqués par Anne d'Autriche, prévenue que le comte de Moret, arrivé depuis huit jours à Paris, a des lettres à leur communiquer de la part du duc de Savoie. Ils sont entrés, comme nous l'avons vu, chez la reine, par deux portes différentes, chacun venant de son appartement. S'ils y sont surpris, ils auront pour excuse l'indisposition de Sa Majesté, qu'ils ont apprise au ballet, indisposition qui leur a donné tant d'inquiétude qu'ils n'ont pas même pris le temps de changer de costume. Quant au comte de Moret, toujours en cas de surprise, on le cachera quelque part: un jeune homme de vingt-deux ans est toujours facile à cacher; Anne d'Autriche a d'ailleurs sur ces sortes d'escamotages des traditions et même des antécédents.

      Pendant ce temps, le comte de Moret a attendu dans la chambre à côté, et il a tout bas et du fond de l'âme remercié le ciel de ce regard.

      Qu'eût-il dit, qu'eût-il fait, entrant chez la reine, ému, troublé, palpitant comme il l'était en quittant sa conductrice inconnue? Ces dix minutes d'attente n'ont pas été de trop pour calmer les battements de son cœur et rendre un peu d'assurance à sa voix. De l'agitation, il a passé à la rêverie, rêverie douce et suave dont, jusqu'à cette heure, il n'avait eu aucune idée.

      Tout-à-coup, la voix d'Anne d'Autriche le fit tressaillir et l'alla chercher au fond de sa rêverie.

      – Comte, demanda-t-elle, êtes-vous là?

      – Oui, Madame, répondit le comte, et attendant les ordres de Votre Majesté.

      – Entrez donc, alors, car nous sommes désireux de vous recevoir.

      CHAPITRE X.

      LES LETTRES QU'ON LIT DEVANT TÉMOINS ET LES LETTRES QU'ON LIT TOUT SEUL

      Le comte de Moret secoua sa jeune et gracieuse tête, comme pour en faire tomber l'incessante préoccupation à laquelle il était en proie, et poussant la porte devant lui, il se trouva sur le seuil de la chambre à coucher d'Anne d'Autriche.

      Son premier regard, nous devons l'avouer, malgré le haut rang des personnes qui se trouvaient dans cette chambre, fut pour y chercher le guide charmant qui l'y avait conduit et qui, après l'y avoir conduit, l'avait quitté, sans qu'il pût même voir son visage. Mais son regard eut beau plonger dans les lointains les plus obscurs de l'appartement, force lui fut de revenir au premier plan et de fixer ses yeux et son esprit sur le groupe placé dans la lumière.

      Ce groupe, nous l'avons dit, se composait de trois personnes et ces trois personnes étaient: la reine mère, la reine régnante et le duc d'Orléans.

      La reine-mère était debout au chevet d'Anne d'Autriche; Anne d'Autriche était couchée; Gaston était assis au pied du lit de sa belle-sœur.

      Le comte salua profondément, puis s'avançant vers le lit, il mit un genou en terre devant Anne d'Autriche, qui lui donna sa main à baiser, puis se baissant jusqu'au parquet, le jeune prince toucha de ses lèvres le bas de la robe de Marie de Médicis; puis enfin, toujours un genou en terre, il se tourna vers Gaston pour lui baiser la main, mais celui-ci le releva en lui disant:

      – Dans mes bras, mon frère.

      Le comte de Moret, cœur franc et loyal, véritable fils de Henri IV, ne pouvait croire à tout ce que l'on disait de Gaston. Il était en Angleterre lors du complot de Chalais, et c'était là qu'il avait connu madame de Chevreuse, qui s'était bien gardée de lui dire la vérité sur ce complot. Il était en Italie lors des lâchetés de La Rochelle, où Gaston avait fait semblant d'être malade pour ne point aller au feu; de plus, ne s'étant jamais occupé que de ses plaisirs, il n'avait pris aucune part aux intrigues d'une cour dont la jalousie de Marie de Médicis, contre les enfants de son mari, l'avait toujours éloigné.

      Il rendit donc joyeusement et de bon cœur à son frère Gaston l'embrassement dont il l'honorait.

      Puis, saluant la reine:

      – Votre Majesté daignera-t-elle croire, lui demanda-t-il, à tout le bonheur que j'éprouve d'être admis en sa royale présence, et à la reconnaissance que j'ai vouée à M. le duc de Savoie, de m'avoir donné cette précieuse occasion d'être reçue par elle?

      La reine sourit.

      – N'est-ce point à nous plutôt, répondit-elle de vous être reconnaissantes, de vouloir bien venir en aide à deux pauvres princesses disgraciées, privées, l'une de l'amour de son mari, l'autre de la tendresse de son fils, et à un frère repoussé des bras de son frère; car vous venez, avez-vous dit, avec des lettres qui doivent nous donner quelque consolation.

      Le comte de Moret tira trois plis cachetés de sa poitrine.

      – Ceci, madame, dit-il en tendant la missive à la reine, ceci est une lettre adressée à vous par don Gonzalez de Cordoue, gouverneur de Milan, et représentant en Italie Sa Majesté Philippe IV, votre auguste frère. Il vous supplie d'employer toute l'influence que vous pouvez avoir à maintenir M. de Fargis