Le comte de Moret. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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la question au contraire est là.

      – Là! Où?

      – Dans le mot Stator. Savez-vous ce que veut dire stator?

      – Ma foi, non.

      – Cela veut dire Jupiter qui arrête, ou qui s'arrête.

      – Tâchons que ce soit Jupiter qui s'arrête.

      – Au pied des Alpes, n'est-ce pas?

      – Nous ferons tout ce que nous pourrons pour cela. Dieu merci, malgré la foudre qu'il tenait à la main, et dont il menaçait à la fois l'Autriche et l'Espagne…

      – Foudre de bois…

      – Et sans ailes; les ailes de la foudre, à l'endroit de la guerre, c'est l'argent, et je ne crois pas le roi ni le cardinal très riches en ce moment. Donc, chère cousine, Jupiter Stator, après avoir menacé l'Orient et l'Occident, déposera probablement la foudre sans l'avoir lancée.

      – Oh! dites cela ce soir à nos deux pauvres reines, et vous les rendrez bien heureuses.

      – J'ai mieux que cela à leur dire, j'ai à leur remettre, comme je l'ai fait savoir à Leurs Majestés, une lettre du prince de Piémont, qui jure bien que l'armée française ne passera pas les Alpes.

      – Pourvu que cette fois il tienne parole! Ce n'est pas son habitude, vous le savez.

      – Mais cette fois, il a tout intérêt à la tenir.

      – Nous bavardons, cousin, nous bavardons, et nous laissons le temps se perdre inutilement.

      – C'est votre faute, cousine, dit le jeune homme avec ce franc sourire qui montre toutes les dents, c'est vous qui n'avez pas voulu l'employer à des choses utiles.

      – Soyez donc dévoué à vos maîtres et ôtez-vous pour eux le pain de la bouche, voilà comment vous êtes récompensée de votre dévouement, par des reproches! Mon Dieu, que les hommes sont injustes!

      – Je vous écoute, cousine.

      Et le jeune homme donna à sa figure l'expression la plus grave qu'il put inventer.

      – Eh bien, ce soir même, vers onze heures, vous êtes attendu au Louvre.

      – Comment, ce soir? C'est ce soir que j'aurai l'honneur d'être reçu par Leurs Majestés?

      – Ce soir même.

      – Je croyais qu'il y avait justement spectacle et ballet de circonstance ce soir à la cour.

      – Oui; mais la reine, en apprenant cette nouvelle, s'est plainte aussitôt d'une grande fatigue et d'un insupportable mal de tête; elle a dit qu'il n'y avait que le sommeil qui pût la remettre. On a appelé Bouvard; Bouvard a reconnu tous les symptômes d'une migraine persistante. Bouvard, tout bon médecin du roi qu'il est, nous appartient corps et âme. Il a recommandé le repos le plus absolu, et la reine se repose en vous attendant.

      – Mais, comment entrerai-je au Louvre? je ne présume pas que ce soit en me présentant.

      – Tout est prévu, soyez tranquille. Ce soir, en habit de cavalier, vous vous trouverez rue des Fossés-Saint-Germain; un page à la livrée de Mme la princesse, chamois et bleu, vous attendra au coin de la rue des Poulies; il aura le mot d'ordre jusqu'au corridor qui conduit à la chambre de la reine, où la demoiselle d'honneur de service vous recevra de ses mains. Si Sa Majesté peut vous admettre immédiatement près d'elle, vous serez immédiatement introduit; sinon, vous attendrez dans quelque cabinet avoisinant sa chambre, que le moment soit arrivé.

      – Et pourquoi n'est-ce pas vous, chère cousine, qui vous chargerez de me faire prendre patience, en attendant? Je vous jure que cela me serait infiniment agréable.

      – Parce que ma semaine de service est finie, et que j'emploie mon temps au dehors, comme vous voyez.

      – Et vous m'avez même l'air de l'employer agréablement.

      – Que voulez-vous, cousin, on ne vit qu'une fois.

      En ce moment, on entendit tinter l'horloge des Blancs-Manteaux.

      – Neuf heures, s'écria Mariana! Embrassez-moi vite, cousin, et poussez-moi dehors. J'ai à peine le temps de rentrer au Louvre et de dire que j'ai pour parent un charmant cavalier qui donnerait… Que donneriez-vous bien pour la reine?

      – Ma vie! Est-ce assez?

      – C'est trop; ne donnez jamais que ce que vous pourriez reprendre, et non ce qui, une fois donné, ne se retrouve pas. Au revoir cousin!

      – A propos, dit le jeune homme l'arrêtant, n'y a-t-il pas quelque signe de reconnaissance, quelque mot d'ordre à échanger avec le page?

      – C'est vrai, j'oubliai. Vous lui direz: Cazal, et il vous répondra: Mantoue.

      Et la jeune femme présenta cette fois à son prétendu cousin, non plus ses deux joues mais ses deux lèvres, sur lesquelles retentit un double baiser.

      Puis elle s'élança par les escaliers avec la rapidité d'une femme qui, si l'on tentait de la retenir, ne serait pas bien sûre de résister.

      Jaquelino resta un moment après elle, ramassa son béret qui était tombé dès le commencement du dialogue, le rajusta sur sa tête, et sans doute pour donner le temps à la messagère du Louvre de s'éloigner et de disparaître, descendit lentement l'escalier en chantant cette chanson de Ronsard:

      Il me semble que la journée

      Dure plus longue qu'une année,

      Quand par malheur je n'ai ce bien

      De voir la grand'beauté de celle

      Qui tient mon cœur et sans laquelle,

      Vissé-je tout, je ne vois rien.

      Il en était au troisième couplet de sa chanson et à la dernière marche de l'escalier, lorsque de cette dernière marche, plongeant sur la salle basse où avaient l'habitude de se tenir les buveurs, il vit, éclairé par la lueur d'une chandelle collée à la muraille, un homme pâle et tout sanglant couché sur une table, et qui paraissait près d'expirer. A son côté se tenait un capucin, qui semblait écouter la confession du mourant. Les curieux se pressaient aux portes et aux fenêtres, mais contenus par la présence du moine et par la solennité de l'acte qu'accomplissait le blessé, ils n'osaient entrer.

      Cette vue interrompit la chanson sur les lèvres du chanteur, et comme l'hôtelier se trouvait à la portée de sa voix:

      – Hé! maître Soleil! fit-il.

      Maître Soleil s'approcha, son bonnet à la main.

      – Qu'y a-t-il pour votre service, mon beau jeune homme?

      – Que diable fait donc cet homme couché sur une table, avec un moine près de lui?

      – Il se confesse.

      – Je le vois pardieu bien, qu'il se confesse. Mais qui est-il? et pourquoi se confesse-t-il?

      – Qui est-il? reprit l'hôtelier avec un soupir. C'est un brave et honnête garçon, nommé Etienne Latil, et des meilleurs clients de ma maison… Pourquoi il se confesse? parce qu'il n'a plus probablement que quelques heures à vivre. Comme il a des sentiments religieux, il demandait à grands cris un prêtre, quand ma femme a avisé ce digne capucin, qui sortait des Blancs-Manteaux, et l'a rappelé.

      – Et de quoi meurt-il, votre honnête homme?

      – Oh! monsieur, c'est-à-dire qu'un autre en serait déjà mort dix fois: il meurt de deux terribles coups d'épée, un qui entre dans le dos et qui lui sort par la poitrine, l'autre qui lui entre dans la poitrine et qui lui sort par le dos.

      – Il avait donc affaire à plusieurs hommes?

      – A quatre, monsieur, à quatre.

      – Une querelle?

      – Non, une vengeance.

      – Une vengeance?

      – Oui,