La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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veux enterrer la Schontz dans la présidente… Ce drôle t'a jeté des regards dont les intentions étaient claires, tu le tiens…

      – Non, répondit Aurélie, à l'offre de ma main, il est resté, comme les eaux-de-vie dans le bulletin de la Bourse, très-calme.

      – Je me charge de le décider, s'il est gris… Va voir où ils en sont tous…

      – Ce n'est pas la peine d'y aller, je n'entends plus que Bixiou qui fait une de ses charges sans qu'on l'écoute; mais je connais mon Arthur, il se croit obligé d'être poli avec Bixiou; et, les yeux fermés, il doit le regarder encore.

      – Rentrons, alors!..

      – Ah! çà! dans l'intérêt de qui travaillerai-je, Maxime? demanda tout à coup madame Schontz.

      – De madame de Rochefide, répondit nettement Maxime, il est impossible de la rapatrier avec Arthur tant que tu le tiendras; il s'agit pour elle d'être à la tête de sa maison et de jouir de quatre cent mille francs de rentes!

      – Elle ne me propose que deux cent mille francs?.. J'en veux trois cent, puisqu'il s'agit d'elle. Comment, j'ai eu soin de son moutard et de son mari, je tiens sa place en tout, et elle lésinerait avec moi! Tiens, mon cher, j'aurais alors un million. Avec ça, si tu me promets la présidence du tribunal d'Alençon, je pourrai faire ma tête en madame du Ronceret…

      – Ça va, dit Maxime.

      – M'embêtera-t-on dans cette petite ville-là!.. s'écria philosophiquement Aurélie. J'ai tant entendu parler de cette province-là par d'Esgrignon et par la Val-Noble, que c'est comme si j'y avais déjà vécu.

      – Et si je t'assurais l'appui de la noblesse?..

      – Ah! Maxime, tu m'en diras tant!.. Oui, mais le pigeon refuse l'aile…

      – Et il est bien laid avec sa peau de prune, il a des soies au lieu de favoris, il a l'air d'un marcassin, quoiqu'il ait des yeux d'oiseau de proie. Ça fera le plus beau président du monde. Sois tranquille, dans dix minutes il te chantera l'air d'Isabelle au quatrième acte de Robert le Diable: «Je suis à tes genoux!..» mais tu te charges de renvoyer Arthur à ceux de Béatrix…

      – C'est difficile, mais à plusieurs on y parviendra…

      Vers dix heures et demie, les convives rentrèrent au salon pour prendre le café. Dans les circonstances où se trouvait madame Schontz, Couture et du Ronceret, il est facile d'imaginer quel effet dut alors produire sur l'ambitieux Normand la conversation suivante que Maxime eut avec Couture dans un coin et à mi-voix pour n'être entendu de personne, mais que Fabien écouta.

      – Mon cher, si vous voulez être sage, vous accepterez dans un département éloigné la Recette générale que madame de Rochefide vous fera donner; le million d'Aurélie vous permettra de déposer votre cautionnement, et vous vous séparerez de biens en l'épousant. Vous deviendrez député si vous savez bien mener votre barque, et la prime que je veux pour vous avoir sauvé, ce sera votre vote à la chambre.

      – Je serai toujours fier d'être un de vos soldats.

      – Ah! mon cher, vous l'avez échappé belle! Figurez-vous qu'Aurélie s'était amourachée de ce Normand d'Alençon, elle demandait qu'on le fît baron, président du tribunal de sa ville et officier de la Légion-d'Honneur. Mon imbécile n'a pas su deviner la valeur de madame Schontz, et vous devez votre fortune à un dépit; aussi ne lui donnez pas le temps de réfléchir. Quant à moi, je vais mettre les fers au feu.

      Et Maxime quitta Couture au comble du bonheur, en disant à La Palférine: – Veux-tu que je t'emmène, mon fils?..

      A onze heures Aurélie se trouvait entre Couture, Fabien et Rochefide. Arthur dormait dans une bergère, Couture et Fabien essayaient de se renvoyer sans y parvenir. Madame Schontz termina cette lutte en disant à Couture un: – A demain, mon cher?.. qu'il prit en bonne part.

      – Mademoiselle, dit Fabien tout bas, quand vous m'avez vu songeur à l'offre que vous me faisiez indirectement, ne croyez pas qu'il y eût chez moi la moindre hésitation; mais vous ne connaissez pas ma mère, et jamais elle ne consentirait à mon bonheur…

      – Vous avez l'âge des sommations respectueuses, mon cher, répondit insolemment Aurélie. Mais, si vous avez peur de maman, vous n'êtes pas mon fait.

      – Joséphine! dit tendrement l'Héritier en passant avec audace la main droite autour de la taille de madame Schontz, j'ai cru que vous m'aimiez?

      – Après?

      – Peut-être pourrait-on apaiser ma mère et obtenir plus que son consentement.

      – Et comment?

      – Si vous voulez employer votre crédit…

      – A te faire créer baron, officier de la Légion-d'Honneur, président du tribunal, mon fils? n'est-ce pas… Écoute, j'ai tant fait de choses dans ma vie que je suis capable de la vertu! Je puis être une brave femme, une femme loyale, et remorquer très haut mon mari; mais je veux être aimée par lui sans que jamais un regard, une pensée, soit détourné de mon cœur, pas même en intention… Ça te va-t-il?.. Ne te lie pas imprudemment, il s'agit de ta vie, mon petit.

      – Avec une femme comme vous, je tope sans voir, dit Fabien enivré par un regard autant qu'il l'était de liqueurs des îles.

      – Tu ne te repentiras jamais de cette parole, mon bichon, tu seras pair de France… Quant à ce pauvre vieux, reprit-elle en regardant Rochefide qui dormait, d'aujourd'hui, n, i, ni, c'est fini!

      Ce fut si joli, si bien dit, que Fabien saisit madame Schontz et l'embrassa, par un mouvement de rage et de joie où la double ivresse de l'amour et du vin cédait à celle du bonheur et de l'ambition.

      – Songe, mon cher enfant, dit-elle, à te bien conduire dès à présent avec ta femme, ne fais pas l'amoureux, et laisse-moi me retirer convenablement de mon bourbier. Et Couture, qui se croit riche et receveur général!

      – J'ai cet homme en horreur, dit Fabien, je voudrais ne plus le voir.

      – Je ne le recevrai plus, répondit la courtisane d'un petit air prude. Maintenant que nous sommes d'accord, mon Fabien, va-t'en, il est une heure.

      Cette petite scène donna naissance, dans le ménage d'Aurélie et d'Arthur, jusqu'alors si complétement heureux, à la phase de la guerre domestique déterminée au sein de tous les foyers par un intérêt secret chez un des conjoints. Le lendemain même Arthur s'éveilla seul, et trouva madame Schontz froide comme ces sortes de femmes savent se faire froides.

      – Que s'est-il donc passé cette nuit? demanda-t-il en déjeunant et regardant Aurélie.

      – C'est comme ça, dit-elle, à Paris. On s'est endormi par un temps humide, le lendemain les pavés sont secs et tout est si bien gelé qu'il y de la poussière; voulez-vous une brosse?..

      – Mais qu'as-tu, ma chère petite?

      – Allez trouver votre grande bringue de femme…

      – Ma femme?.. s'écria le pauvre marquis.

      – N'ai-je pas deviné pourquoi vous m'avez amené Maxime?.. Vous voulez vous réconcilier avec madame de Rochefide qui peut-être a besoin de vous pour un moutard indiscret… Et moi, que vous dites si fine, je vous conseillais de lui rendre sa fortune!.. Oh! je conçois votre plan! au bout de cinq ans, monsieur est las de moi. Je suis bien en chair, Béatrix est bien en os, ça vous changera. Vous n'êtes pas le premier à qui je connais le goût des squelettes. Votre Béatrix se met bien d'ailleurs et vous êtes de ces hommes qui aiment des porte-manteaux. Puis, vous voulez faire renvoyer monsieur du Guénic. C'est un triomphe!.. Ça vous posera bien. Parlera-t-on de cela, vous allez être un héros!

      Madame Schontz n'avait pas arrêté le cours de ses railleries à deux heures après midi, malgré les protestations d'Arthur. Elle se dit invitée à dîner. Elle engagea son infidèle à se passer d'elle aux Italiens, elle allait voir une première représentation à l'Ambigu-Comique et y faire connaissance avec une femme charmante, madame de La Baudraye, une maîtresse à Lousteau.