La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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arrivée assez tard pour qu'ils ne fussent aperçus par personne. Béatrix sortait une des premières de la salle avant la fin du dernier acte, et Calyste l'accompagnait de loin en veillant sur elle, quoique le vieil Antoine vînt chercher sa maîtresse. Maxime et La Palférine étudièrent cette stratégie inspirée par le respect des convenances, par ce besoin de cachotterie qui distingue les idolâtres de l'éternel Enfant, et aussi par une peur qui oppresse toutes les femmes autrefois les constellations du monde et que l'amour a fait choir de leur rang zodiacal. L'humiliation est alors redoutée comme une agonie plus cruelle que la mort; mais cette agonie de la fierté, cette avanie, que les femmes restées à leur rang dans l'Olympe jettent à celles qui en sont tombées, eut lieu dans les plus affreuses conditions par les soins de Maxime. A une représentation de la Lucia qui finit, comme on sait, par un des plus beaux triomphes de Rubini, madame de Rochefide qu'Antoine n'était pas venu prévenir arriva par son couloir au péristyle du théâtre dont les escaliers étaient encombrés de jolies femmes étagées sur les marches ou groupées en bas en attendant que leur domestique annonçât leur voiture. Béatrix fut reconnue par tous les yeux à la fois, elle excita dans tous les groupes des chuchotements qui firent rumeur. En un clin d'œil la foule se dissipa, la marquise resta seule comme une pestiférée. Calyste n'osa pas, en voyant sa femme sur un des deux escaliers, aller tenir compagnie à la réprouvée, et Béatrix lui jeta, mais en vain, par un regard trempé de larmes, à deux fois, une prière de venir près d'elle. En ce moment La Palférine, élégant, superbe, charmant, quitta deux femmes, vint saluer la marquise et causer avec elle.

      – Prenez mon bras et sortez fièrement, je saurai trouver votre voiture, lui dit-il.

      – Voulez-vous finir la soirée avec moi? lui répondit-elle en montant dans sa voiture et lui faisant place près d'elle.

      La Palférine dit à son groom: «Suis la voiture de madame!» et monta près de madame de Rochefide à la stupéfaction de Calyste, qui resta planté sur ses deux jambes comme si elles fussent devenues de plomb, car ce fut pour l'avoir aperçu pâle et blême que Béatrix fit signe au jeune comte de monter près d'elle. Toutes les colombes sont des Robespierre à plumes blanches. Trois voitures arrivèrent rue de Chartres avec une foudroyante rapidité, celle de Calyste, celle de la Palférine, celle de la marquise.

      – Ah! vous voilà?.. dit Béatrix en entrant dans son salon appuyée sur le bras du jeune comte et y trouvant Calyste dont le cheval avait dépassé les deux autres équipages.

      – Vous connaissez donc monsieur? demanda rageusement Calyste à Béatrix.

      – Monsieur le comte de la Palférine me fut présenté par Nathan il y a dix jours, répondit Béatrix, et vous, monsieur, vous me connaissez depuis quatre ans…

      – Et je suis prêt, madame, dit Charles-Édouard, à faire repentir jusque dans ses petits-enfants madame la marquise d'Espard, qui la première s'est éloignée de vous…

      – Ah! c'est elle!.. cria Béatrix: je lui revaudrai cela.

      – Pour vous venger, il faudrait reconquérir votre mari, mais je suis capable de vous le ramener, dit le jeune homme à l'oreille de la marquise.

      La conversation ainsi commencée alla jusqu'à deux heures du matin sans que Calyste, dont la rage fut sans cesse refoulée par des regards de Béatrix, eût pu lui dire deux mots à part. La Palférine, qui n'aimait pas Béatrix, fut d'une supériorité de bon goût, d'esprit et de grâce égale à l'infériorité de Calyste qui se tortillait sur les meubles comme un ver coupé en deux, et qui par trois fois se leva pour souffleter La Palférine. La troisième fois que Calyste fit un bond vers son rival, le jeune comte lui dit un: – «Souffrez-vous, monsieur le baron?..» qui fit asseoir Calyste sur une chaise, et il y resta comme un terme. La marquise conversait avec une aisance de Célimène, en feignant d'ignorer que Calyste fût là. Palférine eut la suprême habileté de sortir sur un mot plein d'esprit en laissant les deux amants brouillés.

      Ainsi, par l'adresse de Maxime, le feu de la discorde flambait dans le double ménage de monsieur et de madame de Rochefide. Le lendemain, en apprenant le succès de cette scène par La Palférine au Jockey-club où le jeune comte jouait au wisk avec succès, il alla rue de La Bruyère, à l'hôtel Schontz, savoir comment Aurélie menait sa barque.

      – Mon cher, dit madame Schontz en riant à l'aspect de Maxime, je suis au bout de tous mes expédients, Rochefide est incurable. Je finis ma carrière de galanterie en m'apercevant que l'esprit y est un malheur.

      – Explique-moi cette parole?..

      – D'abord, mon cher ami, j'ai tenu mon Arthur pendant huit jours au régime des coups de pied dans les os des jambes, des scies les plus patriotiques et de tout ce que nous connaissons de plus désagréable dans notre métier. – «Tu es malade, me disait-il avec une douceur paternelle, car je ne t'ai fait que du bien, et je t'aime à l'adoration. – Vous avez un tort, mon cher, lui ai-je dit, vous m'ennuyez. – Eh! bien, n'as-tu pas pour t'amuser les gens les plus spirituels et les plus jolis jeunes gens de Paris?» m'a répondu ce pauvre homme. J'ai été collée. Là j'ai senti que je l'aimais.

      – Ah! dit Maxime.

      – Que veux-tu? c'est plus fort que nous, on ne résiste pas à ces façons-là. J'ai changé la pédale. J'ai fait des agaceries à ce sanglier judiciaire, à mon futur tourné comme Arthur en mouton, je l'ai fait rester là sur la bergère de Rochefide, et je l'ai trouvé bien sot. Me suis-je ennuyée?.. il fallait bien avoir là Fabien pour me faire surprendre avec lui…

      – Eh bien! s'écria Maxime, arrive donc?.. Voyons, quand Rochefide t'a eu surprise?..

      – Tu n'y es pas, mon bonhomme. Selon tes instructions, les bans sont publiés, notre contrat se griffonne, ainsi Notre-Dame-de-Lorette n'a rien à redire. Quand il y a promesse de mariage, on peut bien donner des arrhes… En nous surprenant, Fabien et moi, le pauvre Arthur s'est retiré sur la pointe des pieds jusque dans la salle à manger, et il s'est mis à faire – «broum! broum!» en toussaillant et heurtant beaucoup de chaises. Ce grand niais de Fabien, à qui je ne peux pas tout dire, a eu peur…

      Voilà, mon cher Maxime, à quel point nous en sommes…

      Arthur me verrait deux, un matin en entrant dans ma chambre, il est capable de me dire: – Avez-vous bien passé la nuit, mes enfants?

      Maxime hocha la tête et joua pendant quelques instants avec sa canne.

      – Je connais ces natures-là, dit-il. Voici comment il faut t'y prendre, il n'y a plus qu'à jeter Arthur par la fenêtre et à bien fermer la porte. Tu recommenceras ta dernière scène avec Fabien?..

      – En voilà une corvée, car enfin le sacrement ne m'a pas encore donné sa vertu…

      – Tu t'arrangeras pour échanger un regard avec Arthur quand il te surprendra, dit Maxime en continuant; s'il se fâche, tout est dit. S'il fait encore broum! broum! c'est encore bien mieux fini…

      – Comment?..

      – Hé bien! tu te fâcheras, tu lui diras: – «Je me croyais aimée, estimée; mais vous n'éprouvez plus rien pour moi; vous n'avez pas de jalousie.» Tu connais la tirade. «Dans ce cas-là, Maxime (fais-moi intervenir) tuerait son homme sur le coup. (Et pleure!) Et Fabien, lui (fais-lui honte en le comparant à Fabien), Fabien que j'aime, Fabien tirerait un poignard pour vous le plonger dans le cœur. Ah! voilà aimer! Aussi, tenez, adieu, bonsoir, reprenez votre hôtel, j'épouse Fabien, il me donne son nom, lui! il foule aux pieds sa vieille mère.» Enfin, tu…

      – Connu! connu! je serai superbe! s'écria madame Schontz. Ah! Maxime, il n'y aura jamais qu'un Maxime, comme il n'y a eu qu'un de Marsay.

      – La Palférine est plus fort que moi, répondit modestement le comte de Trailles, il va bien.

      – Il a de la langue, mais tu as du poignet et des reins! En as-tu supporté? en as-tu peloté? dit la Schontz.

      – La Palférine a tout, il est profond et instruit; tandis que je suis ignorant, répondit Maxime. J'ai vu Rastignac qui s'est entendu sur-le-champ avec le Garde-des-Sceaux, Fabien sera nommé président,