La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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repartit Maxime.

      – Ah! vraiment? demanda madame Schontz. Je pourrai donc rencontrer des gens à qui parler en province. J'ai commencé mon rôle. Fabien a déjà dit à sa mère que la grâce m'avait éclairée, et il a fasciné la bonne femme de mon million et de la présidence; elle consent à ce que nous demeurions chez elle, elle a demandé mon portrait et m'a envoyé le sien: si l'Amour le regardait, il en tomberait… à la renverse! Va-t'en, Maxime, ce soir je vais exécuter mon pauvre homme, ça me fend le cœur.

      Deux jours après, en s'abordant sur le seuil de la maison du Jockey-club, Charles-Édouard dit à Maxime: – C'est fait! Ce mot, qui contenait tout un drame horrible, épouvantable, accompli souvent par vengeance, fit sourire le comte de Trailles.

      – Nous allons entendre les doléances de Rochefide, dit Maxime, car vous avez touché but ensemble, Aurélie et toi! Aurélie a mis Arthur à la porte, et il faut maintenant le chambrer, il doit donner trois cent mille francs à madame du Ronceret et revenir à sa femme; nous allons lui prouver que Béatrix est supérieure à Aurélie.

      – Nous avons bien dix jours devant nous, dit finement Charles-Édouard, et en conscience ce n'est pas trop; car maintenant que je connais la marquise, le pauvre homme sera joliment volé.

      – Comment feras-tu, lorsque la bombe éclatera?

      – On a toujours de l'esprit quand on a le temps d'en chercher, je suis surtout superbe en me préparant.

      Les deux joueurs entrèrent ensemble dans le salon et trouvèrent le marquis de Rochefide vieilli de deux ans, il n'avait pas mis son corset, il était sans son élégance, la barbe longue.

      – Eh bien! mon cher marquis?.. dit Maxime.

      – Ah! mon cher, ma vie est brisée…

      Arthur parla pendant dix minutes et Maxime l'écouta gravement, il pensait à son mariage qui se célébrait dans huit jours.

      – Mon cher Arthur, je t'avais donné le seul moyen que je connusse de garder Aurélie, et tu n'as pas voulu…

      – Lequel?

      – Ne t'avais-je pas conseillé d'aller souper chez Antonia?

      – C'est vrai… Que veux-tu? j'aime… et toi, tu fais l'amour comme Grisier fait des armes.

      – Écoute, Arthur, donne-lui trois cent mille francs de son petit hôtel, et je te promets de te trouver mieux qu'elle… Je te parlerai de cette belle inconnue plus tard, je vois d'Ajuda qui veut me dire deux mots.

      Et Maxime laissa l'homme inconsolable pour aller au représentant d'une famille à consoler.

      – Mon cher, dit l'autre marquis à l'oreille de Maxime, la duchesse est au désespoir, Calyste a fait faire secrètement ses malles, il a pris un passe-port. Sabine veut suivre les fugitifs, surprendre Béatrix et la griffer. Elle est grosse, et ça prend la tournure d'une envie assez meurtrière, car elle est allée acheter publiquement des pistolets.

      – Dis à la duchesse que madame de Rochefide ne partira pas, et que dans quinze jours tout sera fini. Maintenant, d'Ajuda, ta main? Ni toi, ni moi, nous n'avons jamais rien dit, rien su! nous admirerons les hasards de la vie!..

      – La duchesse m'a déjà fait jurer sur les saints évangiles et sur la croix de me taire.

      – Tu recevras ma femme dans un mois d'ici…

      – Avec plaisir.

      – Tout le monde sera content, répondit Maxime. Seulement, préviens la duchesse d'une circonstance qui va retarder de six semaines son voyage en Italie, je te dirai quoi plus tard.

      – Qu'est-ce!.. dit d'Ajuda qui regardait La Palférine.

      – Le mot de Socrate avant de partir: nous devons un coq à Esculape, répondit La Palférine sans sourciller.

      Pendant dix jours, Calyste fut sous le poids d'une colère d'autant plus invincible qu'elle était doublée d'une véritable passion. Béatrix éprouvait cet amour si brutalement, mais si fidèlement dépeint à la duchesse de Grandlieu par Maxime de Trailles. Peut-être n'existe-t-il pas d'êtres bien organisés qui ne ressentent cette terrible passion une fois dans le cours de leur vie. La marquise se sentait domptée par une force supérieure, par un jeune homme à qui sa qualité n'imposait pas, qui, tout aussi noble qu'elle, la regardait d'un œil puissant et calme, et à qui ses plus grands efforts de femme arrachaient à peine un sourire d'éloge. Enfin, elle était opprimée par un tyran qui ne la quittait jamais sans la laisser pleurant, blessée et se croyant des torts. Charles-Édouard jouait à madame de Rochefide la comédie que madame de Rochefide jouait depuis six mois à Calyste. Béatrix, depuis l'humiliation publique reçue aux Italiens, n'était pas sortie avec monsieur du Guénic de cette proposition:

      – Vous m'avez préféré le monde et votre femme, vous ne m'aimez donc pas. Si vous voulez me prouver que vous m'aimez, sacrifiez-moi votre femme et le monde. Abandonnez Sabine, et allons vivre en Suisse, en Italie, en Allemagne!

      S'autorisant de ce dur ultimatum, elle avait établi ce blocus que les femmes dénoncent par de froids regards, par des gestes dédaigneux et par leur contenance de place forte. Elle se croyait délivrée de Calyste, elle pensait que jamais il n'oserait rompre avec les Grandlieu. Laisser Sabine à qui mademoiselle des Touches avait laissé sa fortune, n'était-ce pas se vouer à la misère? Mais Calyste, devenu fou de désespoir, avait secrètement pris un passe-port, et prié sa mère de lui faire passer une somme considérable. En attendant cet envoi de fonds, il surveillait Béatrix, en proie à toute la fureur d'une jalousie bretonne. Enfin, neuf jours après la fatale communication faite au club par La Palférine à Maxime, le baron, à qui sa mère avait envoyé trente mille francs, accourut chez Béatrix avec l'intention de forcer le blocus, de chasser La Palférine et de quitter Paris avec son idole apaisée. Ce fut une de ces alternatives terribles où les femmes qui ont conservé quelque peu de respect d'elles-mêmes s'enfoncent à jamais dans les profondeurs du vice, mais d'où elles peuvent revenir à la vertu. Jusque-là madame de Rochefide se regardait comme une femme vertueuse au cœur de laquelle il était tombé deux passions; mais adorer Charles-Édouard et se laisser aimer par Calyste, elle allait perdre sa propre estime; car, là où commence le mensonge, commence l'infamie. Elle avait donné des droits à Calyste, et nul pouvoir humain ne pouvait empêcher le Breton de se mettre à ses pieds et de les arroser des larmes d'un repentir absolu. Beaucoup de gens s'étonnent de l'insensibilité glaciale sous laquelle les femmes éteignent leurs amours; mais si elles n'effaçaient point ainsi le passé, la vie serait sans dignité pour elles, elles ne pourraient jamais résister à la privauté fatale à laquelle elles se sont une fois soumises. Dans la situation entièrement neuve où elle se trouvait, Béatrix eût été sauvée si La Palférine fût venu; mais l'intelligence du vieil Antoine la perdit.

      En entendant une voiture qui arrêtait à la porte, elle dit à Calyste: – Voilà du monde! et elle courut afin de prévenir un éclat.

      Antoine, en homme prudent, dit à Charles-Édouard qui ne venait pas pour autre chose que pour entendre cette parole: – Madame la marquise est sortie!

      Quand Béatrix apprit de son vieux domestique la visite du jeune comte et la réponse faite, elle dit: « – C'est bien!» et rentra dans son salon en se disant: – «Je me ferai religieuse!»

      Calyste, qui s'était permis d'ouvrir la fenêtre, aperçut son rival.

      – Qui donc est venu? demanda-t-il.

      – Je ne sais pas, Antoine est encore en bas.

      – C'est La Palférine…

      – Cela pourrait être…

      – Tu l'aimes, et voilà pourquoi tu me trouves des torts, je l'ai vu!..

      – Tu l'as vu!..

      – J'ai ouvert la fenêtre…

      Béatrix tomba comme morte sur son divan. Alors elle transigea pour avoir un lendemain; elle remit le départ à huit jours sous prétexte d'affaires, et se jura de défendre sa porte à Calyste si elle pouvait apaiser La Palférine, car tels sont les épouvantables