Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Paul d'Ivoi
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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bois de teck comme plancher et les bastingages plaqués d’arek et de cèdre rouge.

      Cependant William menait les hôtes de miss Diana à leur cabine, un double boudoir avec porte de communication; le tout ménagé dans l’entrepont. Après quoi il les laissa sur ces mots:

      – Après le voyage un peu de toilette repose. Quand vous serez disposés, veuillez sonner.

      Les Français regardaient autour d’eux. Les tapis, les meubles artistiques, les bronzes rares, originaires d’Europe ou de Chine, les palmiers nains s’élançant jusqu’au plafond, les vases énormes du plus pur japon; tout cela, au sortir de la ville anglaise brumeuse, prenait un aspect de rêve.

      Mais il ne fallait pas faire attendre la princesse des Mille et une Nuits, qui les recevait si magnifiquement. Yvonne s’enferma donc dans l’un des salons, tandis que ses amis prenaient possession de l’autre. Des armoires à glissoires contenaient des lavabos de marbre blanc.

      Tous les ustensiles de toilette d’or et d’argent, les boîtes, les flacons de cristal taillé, enchâssés de bronze précieusement travaillé, enchantaient les jeunes gens. Et sur chaque objet, ils retrouvaient les lettres D. P. Diana Pretty, qui leur rappelaient l’enchanteresse dont ils étaient les convives. Une sorte d’émotion les prenait en songeant qu’ils seraient présentés à cette jeune fille, si colossalement riche.

      Le nom de Gold-Pretty leur avait causé un éblouissement. Tout le monde le connaissait, ce gigantesque industriel américain.

      Les journaux en avaient assez entretenu leurs lecteurs. C’était lui qui, un jour que le Conseil fédéral des États-Unis lui refusait une concession de mines, avait décidé qu’aucun train ne circulerait sur ses voies ferrées jusqu’à ce que les difficultés pendantes fussent aplanies. Durant quatre fois vingt-quatre heures le commerce de la République transatlantique s’était vu arrêté, et le Conseil avait cédé. Puis ce tout-puissant du milliard était mort, et les feuilles publiques, évaluant sa fortune, avaient fait ruisseler dans leurs colonnes des cascades de chiffres à ébranler le plus solide cerveau.

      L’héritière de cette fabuleuse fortune était à bord du yacht. Elle attendait les voyageurs. Malgré eux, ils se sentaient embarrassés. Pourtant il fallut mettre un terme à leurs ablutions. Après tout, c’était trop naïf. Deux soldats français, une honnête fille, n’avaient point à rougir d’être moins riches que l’Américaine. Sur cette conclusion, Yvonne appuya le doigt sur la sonnerie électrique. Le tintement avait à peine cessé qu’un laquais, revêtu de la livrée marron, se montra sur le seuil.

      Les jeunes gens se mirent en marche sur ses pas, et par les coursives gagnèrent un délicieux réduit ménagé à l’arrière. Deux larges sabords s’ouvraient à droite et à gauche permettant de voir des deux côtés du navire. Au plafond un globe dépoli montrait la moitié de sa sphère et indiquait le mode d’éclairage nocturne de la pièce.

      – Miss Diana prie ces gentlemen et lady de l’attendre un instant, fit le laquais d’un ton monotone.

      Après quoi il disparut, laissant les voyageurs dans « le parloir ».

      Partout des causeuses, des poufs, des crapauds se coudoyaient, invitant à la causerie. Au centre un divan circulaire entourait une vasque nacrée emplie de fleurs. Sous des vitrines s’étalaient mille trésors arrachés à l’Océan: coquillages bizarres, perles d’un admirable orient, coraux; puis des pièces de monnaie, des fragments de métaux portant des étiquettes, et sur celles-ci des noms qui évoquaient de grandes catastrophes maritimes: Vigo, où coulèrent les galions chargés d’or; Vanikoro, tombe de corail des navires de Lapérouse.

      – Sans doute, dans ses voyages, remarqua Marcel, miss Diana met des dragues à la remorque. C’est ainsi qu’elle a pu former cette remarquable collection.

      Le grincement léger d’une porte qui s’ouvrait avertit les Français qu’ils n’étaient plus seuls. D’un même mouvement ils tournèrent la tête, et demeurèrent immobiles dans une muette contemplation.

      Sur le seuil une jeune fille de vingt ans à peine venait de se montrer. Des cheveux blond cendré, un teint éblouissant, une taille svelte et gracieuse rehaussée encore par la simplicité de sa mise: une robe de tulle agrémentée de mignonnes roses; telle était miss Diana Pretty.

      Ce qui frappait surtout en elle, c’était l’expression singulière de sa physionomie. Elle était jolie incontestablement avec ses grands yeux d’un bleu profond, son nez droit aux narines délicates, sa bouche bien dessinée; mais sur ces traits charmants, une ombre s’épandait; l’ombre des esprits moroses. Le regard clair était froid; sa lèvre rose était dédaigneuse.

      Elle considérait ses convives inconnus avec une persistance gênante, et dans ses cheveux un diamant énorme, – seul bijou de la milliardaire, – semblait un œil supplémentaire lançant des flammes.

      Le premier, Claude, se sentit agacé par le silence. Il salua.

      – Miss Diana Pretty, sans doute, dit-il.

      L’Américaine inclina la tête.

      – Elle-même. Enchantée de vous voir.

      – Un instant, reprit Bérard, nous avons le grand plaisir de vous connaître maintenant; permettez-moi de compléter la présentation – et désignant Yvonne – Mademoiselle…

      Diana l’interrompit:

      – Inutile. Demain matin vous retournerez à terre; je ne vous reverrai jamais… à quoi bon des noms?

      Il y avait dans ses paroles une indifférence qui piqua le sous-officier.

      – À quoi bon? à n’être pas soupçonnés s’il vous manquait un couvert.

      La jeune fille eut un petit rire sec.

      – Le saurais-je seulement? Du reste, avant votre départ on offrira à chacun de vous une bourse d’or contenant cent livres.

      – Cent livres? répéta le « Marsouin ».

      Elle se méprit sur le sens de l’exclamation, et avec cet accent dédaigneux qui lui semblait habituel:

      – C’est l’usage à bord du yacht Fortune!

      Claude avait rougi. Il allait répliquer, Marcel le prévint.

      – Mademoiselle, dit-il d’une voix ferme, vous êtes trop bonne mille fois. Permettez-moi de vous adresser une prière.

      – Je permets.

      – Veuillez faire remettre à l’eau votre canot; je donnerai cent livres au matelot qui nous conduira à quai.

      Claude et Yvonne ajoutèrent en même temps:

      – Nous vous en serons fort obligés, mademoiselle.

      Diana ne répondit pas tout de suite. Un instant elle regarda fixement les Français.

      L’on eût cru que ses yeux se faisaient plus doux. La riposte un peu vive des jeunes gens paraissait lui causer une surprise agréable. Enfin elle ouvrit la bouche.

      – Je ne puis déférer à votre désir, d’abord parce que l’embarcation n’est pas parée et ensuite…

      Elle eut une légère hésitation, mais elle acheva cependant:

      – Je tiens à vous garder à dîner, maintenant.

      Et profitant du mutisme de ses hôtes, étonnés de la tournure que prenait l’entretien:

      – Comme preuve, je renonce à mes habitudes, je vous demande de vous nommer. Vous, mademoiselle, voulez-vous?

      Sa voix avait une caresse. Yvonne fit un pas vers l’Américaine.

      – Yvonne Ribor, mon frère de lait Marcel Dalvan, et son ami Claude Bérard, tous trois voyageant…

      Ici un temps d’arrêt. On ne pouvait apprendre la vérité à miss Diana…

      – Pour votre plaisir, acheva celle-ci?

      – Oui.

      – Ah!