Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Paul d'Ivoi
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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rien d’humain.

      – Je n’en sais rien; mais ils n’iront pas loin, si monsieur le commissaire veut bien courir à la gare et télégraphier sur la ligne.

      Le magistrat bondit vers la sortie.

      – J’y vais!

      Un quart d’heure après il était de retour. À la gare, nul n’avait vu les fuyards. Sûrement ils s’étaient dirigés vers la campagne.

      – Alors, déclara Martin, il faut avertir la gendarmerie, mettre sur pied les agents disponibles et organiser une battue. La petite ne marchera pas longtemps. Je parcours la ville en m’informant. Rendez-vous sur le port.

      Tous se dispersèrent. Pour Canetègne, il s’accrocha désespérément au policier et le suivit à travers la cité. Nulle part on ne les renseigna. Pas un instant l’agent ne songea à entrer dans les magasins, où Claude avait fait emplette. Il ne pouvait lui venir à l’esprit que les jeunes gens, pressés de gagner la campagne, avaient perdu en achats un temps précieux. Logique était son raisonnement, mais faux son point de départ. Aussi ramena-t-il le commerçant sur le port sans avoir obtenu le moindre éclaircissement.

      Furieux et penaud, il malmenait l’infortuné Canetègne; lui faisant remarquer que ses démarches, il les accomplissait bénévolement, par-dessus le marché. Par leur contrat, il n’y était pas tenu, etc.

      À l’instant où ils rejoignaient le commissaire et ses subordonnés, un bateau de pêche, incliné sous ses misaines, franchissait lentement l’entrée du port.

      C’était la Bastienne! Masqués par le bordage, les passagers: Yvonne et ses amis, considéraient le groupe hostile massé sur le rivage, et la pauvre caissière, en fuite sans avoir mal agi, frissonnait en voyant son bourreau Canetègne se démener furieusement. Comme l’avait décidé Marcel, on avait déjeuné chez le père Maltôt ravi de rencontrer des touristes si aimables, et l’heure venue, on avait embarqué sans encombre.

      – Oui, murmura Mlle Ribor, nous sommes sauvés pour l’instant; mais demain, quand nous reviendrons…

      – Tu crois que nous serons en danger?

      C’était Dalvan qui répliquait ainsi. Yvonne le toisa.

      – Tu ris, quand nous sommes plus prisonniers dans cette barque que dans l’hôtel d’où nous venons.

      – Oui, parce qu’il y a un moyen bien simple de n’être pas capturés au retour.

      – Lequel?

      – Ne pas revenir.

      La jeune fille poussa une exclamation joyeuse:

      – C’est vrai!

      Mais son visage se rembrunit aussitôt:

      – Et impossible, acheva-t-elle. Comment décider le patron de ce bateau?

      – Avec du sentiment, car c’est un brave homme, et un peu d’argent, car il est pauvre. Seulement il est indispensable que tu dises comme moi.

      – Je te le promets.

      La couleur remontait au visage d’Yvonne; l’espoir brillait dans ses yeux fixés sur ceux de son interlocuteur. Le sous-officier sourit:

      – Tout ira bien. Écoute. Nos parents s’opposent à notre mariage.

      – À notre mariage, redit-elle d’un ton moqueur, tandis que le rose de ses joues devenait plus vif.

      – Oui; nous fuyons ces parents sans entrailles. Nous comptons nous marier en Angleterre, faire légaliser cette union au consulat, et revenir en France. En priant bien le patron je suis sûr qu’il nous conduira à la côte anglaise!

      – Eh bien, dit Claude, tentez la démarche.

      De nouveau, Yvonne parut surprise. Le « Marsouin » s’effaçait devant Marcel. Avec son entêtement de femme elle se cramponnait à l’idée préconçue. Elle avait décidé que Bérard, brun, aux traits énergiques, devait avoir l’initiative; et il s’en remettait à son ami.

      Le jeune homme répondit:

      – Non, pas maintenant.

      – Tu hésites?

      – J’attends seulement que nous ayons atteint la haute mer.

      La côte française apparaissait encore nettement, mais elle rapetissait à vue d’œil, s’enfonçant sous l’horizon de mer sans cesse élargi. Bientôt les couleurs perdirent leur netteté. La terre prit l’apparence d’une ligne violacée, puis grise. Maintenant ce n’était plus qu’un brouillard léger, flottant sur l’eau verte. Quelques encablures encore et les fugitifs eurent l’illusion d’être seuls, sous l’immense cloche nuageuse du ciel posée sur le plateau mouvant de l’Océan. Alors, Dalvan se leva et rejoignit le patron Maltôt.

      Autour d’Étaples une véritable chasse à l’homme était organisée. Gendarmes, agents de police battaient les environs avec ardeur, excités par l’appât d’une prime de mille francs, promise par Canetègne à qui arrêterait les « voleurs évadés ».

      Les vagabonds, les « roulants » ont conservé le souvenir de cette journée. Tous ceux dont les papiers n’étaient pas suffisamment en règle, furent arrêtés; la prison se trouva trop petite pour les recevoir tous. On occupa militairement la maison de ville et l’école transformées en lieux de détention.

      Cent onze malheureux furent logés aux frais de l’État; mais ceux qui causaient tout ce remue-ménage demeuraient introuvables. L’Avignonnais écumait. Vers le soir, n’y pouvant plus tenir, il sortit d’Étaples et courut sur les routes comme un renard en chasse. Il allait, dans la nuit, flairant le vent, proférant de sourdes menaces.

      Tout à coup le terrain manqua sous ses pas. Une tranchée coupait la route jusqu’au milieu de la chaussée. Le négociant ne l’avait pas remarquée, et il avait roulé au fond du trou. Pour comble de malheur, de l’eau provenant d’infiltrations remplissait la cavité.

      Trempé, bouleversé, le commissionnaire avala quelques gorgées du liquide boueux, réussit à se redresser et, les vêtements collés au corps, couvert de glaise jaunâtre, il parvint à remonter sur la route.

      Rentrer à Étaples pour changer d’habits était sa pensée. Afin d’éviter la fluxion de poitrine, il prit le pas gymnastique. Des pas lourds donnèrent derrière lui sur le revêtement du chemin. Des voix impérieuses lui crièrent:

      – Arrêtez!

      Peu brave par nature, démoralisé d’ailleurs par son accident, Canetègne s’affola. Il crut être poursuivi par des brigands. Ses jarrets se détendirent ainsi que des ressorts, et une course folle, vertigineuse, commença.

      Les cris continuaient en arrière, le cinglant comme des coups de cravache. Il bondissait; son cœur faisait dans sa poitrine de brutales embardées; l’air s’engouffrait dans ses poumons avec des sifflements. Son sang affluait à la tête, ses tempes palpitaient, et dans le grossissement de l’épouvante, les poursuivants lui paraissaient approcher dans un roulement de tonnerre. Les premières maisons de la ville se montraient. Le négociant se crut sauvé, mais une ombre se dressa brusquement au milieu de la voie.

      – Halte-là!

      À cette vue, Canetègne s’arrêta net, la respiration lui manqua, ses jambes plièrent et il s’abattit à terre sans connaissance.

      Quand il revint à lui, il s’aperçut qu’il était couché sur le dos, dans une pièce basse qu’un rayon de lune éclairait vaguement. En suivant la traînée lumineuse, il se rendit compte qu’elle pénétrait par une fenêtre garnie de barreaux. Il se passa la main sur le front, et comme il est d’usage au sortir d’un évanouissement.

      – Où suis-je? bégaya-t-il.

      Des ricanements lui répondirent. Dans tous les coins de la chambre des ombres s’agitèrent.

      – Qu’est-ce que c’est que ça?

      – Ça,