Leur expédition de chasse dans la forêt se révéla à la fois fructueuse et ardue. Ils réussirent à capturer plusieurs oiseaux et tétras, malgré les difficultés rencontrées. La préparation ingénieuse des lignes par Pencroff pour attraper les tétras à l'aide d'hameçons improvisés démontra l'ingéniosité et la débrouillardise du marin.
Voilà comment Pencroff prépara ses lignes: il avait trouvé dans les herbes une demi-douzaine de nids de tétras, ayant chacun de deux à trois œufs. Il eut grand soin de ne pas toucher à ces nids, auxquels leurs propriétaires ne pouvaient manquer de revenir. Ce fut autour d'eux qu'il imagina de tendre ses lignes, – non des lignes à collets, mais de véritables lignes à hameçon[12]. Les lignes furent faites de minces lianes, rattachées l'une à l'autre et longues de quinze à vingt pieds. De grosses épines très fortes, à pointes recourbées, que fournit un buisson d'acacias nains, furent liées aux extrémités des lianes en guise d'hameçon. Quant à l'appât, de gros vers rouges qui rampaient sur le sol en tinrent lieu.
Les tétras furent attachés par les pattes, et Pencroff, heureux de ne point revenir les mains vides et voyant que le jour commençait à baisser, jugea convenable de retourner à sa demeure.
La direction à suivre était tout indiquée par celle de la rivière, dont il ne s'agissait que de redescendre le cours, et, vers six heures, assez fatigués de leur excursion, Harbert et Pencroff rentraient aux Cheminées.
Chapitre 7
Gédéon Spilett, immobile, les bras croisés, se tenait sur la grève, scrutant l'horizon marin, où un gros nuage noir montait rapidement vers le zénith. Le vent soufflait fort, s'intensifiant au crépuscule. Le ciel tout entier présentait un aspect menaçant, et les prémices d'une tempête étaient clairement visibles.
Harbert entra dans les Cheminées, suivi de Pencroff.
Nous allons passer une nuit agitée, monsieur Spilett! déclara le marin. La pluie et le vent vont réjouir les pétrels!
Absorbé, le reporter ne remarqua pas son approche. Il voula savoir si c'était possible que l'ingéneur fût vivant. Comme la mer n'avait pas jetté ni son corps, ni celui de son chien. Mais le marin restait ferme: il était peu probable qu'on revît Cyrus Smit.
Le marin retourna alors vers les Cheminées. Un feu chaud crépitait dans l'âtre. Harbert y ajouta du bois sec, illuminant les coins sombres du couloir.
Pencroff se mit à préparer le dîner, estimant nécessaire un plat consistant pour restaurer leurs forces. Deux tétras furent plumés et embrochés, rôtissant rapidement au-dessus du feu.
À sept heures du soir, Nab n'était toujours pas revenu. L'absence prolongée du nègre inquiétait Pencroff. Cependant, Harbert envisagea une perspective plus optimiste, suggérant que Nab pouvait avoir découvert quelque chose de nouveau qui les aiderait.
La nuit s'installa, accompagnée d'une tempête violente. Malgré les conditions difficiles, ils apprécièrent leur repas à base de gibier. Puis, chacun se retira pour la nuit. Gédéon Spilett, tourmenté par l'inquiétude, ne parvenait pas à trouver le sommeil.
Vers deux heures du matin, alors que Pencroff dormait profondément, il fut secoué par le reporter, qui prétendait avoir entendu des aboiements au loin. Après une brève discussion, ils sortirent des Cheminées pour enquêter.
Dans l'obscurité et le fracas de la tempête, ils distinguèrent Top, le chien de Cyrus Smith.
«Si le chien est retrouvé, le maître se retrouvera aussi! dit le reporter.
– Dieu le veuille! répondit Harbert. Partons! Top nous guidera!»
À quatre heures du matin, on pouvait estimer qu'une distance de cinq milles avait été franchie. Les nuages s'étaient légèrement relevés et ne traînaient plus sur le sol. La rafale, moins humide, se propageait en courants d'air très vifs, plus secs et plus froids[13]. Insuffisamment protégés par leurs vêtements, Pencroff, Harbert et Gédéon Spilett devaient souffrir cruellement, mais pas une plainte ne s'échappait de leurs lèvres. Ils étaient décidés à suivre Top jusqu'où l'intelligent animal voudrait les conduire.
Vers cinq heures, le jour commença à se faire.
À six heures du matin, le jour était fait. Les nuages couraient avec une extrême rapidité dans une zone relativement haute. Le marin et ses compagnons étaient alors à six milles environ des Cheminées. Ils suivaient une grève très plate, bordée au large par une lisière de roches dont les têtes seulement émergeaient alors, car on était au plein de la mer.
Le reporter et ses compagnons arrivaient devant une sorte d'excavation creusée au revers d'une haute dune. Là, Top s'arrêta et jeta un aboiement clair. Spilett, Harbert et Pencroff pénétrèrent dans cette grotte.
Nab était là, agenouillé près d'un corps étendu sur un lit d'herbes… Ce corps était celui de l'ingénieur Cyrus Smith.
Chapitre 8
Le silence régnait dans la grotte, seulement interrompu par le souffle irrégulier de Cyrus Smith, étendu sur le sol. Le regard perdu dans le vide, Nab semblait totalement absorbé par sa douleur, son visage marqué par le désespoir. Gédéon Spilett, après une longue observation, finit par se relever, l'air soulagé. «Il vit!» annonça-t-il d'une voix empreinte d'émotion. Un frisson parcourut l'échine de Pencroff et d'Harbert, tandis que le soulagement se lisait sur leur visage[14].
Pencroff, à son tour, s'approcha de l'ingénieur, la tension palpable dans l'air. Il écouta attentivement, puis déclara avec assurance: «Il vit, j'en suis sûr!» Harbert, les yeux brillants d'espoir, se précipita à l'extérieur pour chercher de l'eau.
Quelques instants plus tard, il revint, un mouchoir imbibé entre les mains, offrant le précieux liquide à Gédéon Spilett, qui entreprit de réanimer l'ingénieur. Les gestes étaient fébriles, empreints d'une urgence palpable, alors que chacun priait silencieusement pour que leur compagnon revienne à la vie.
Les minutes semblaient s'étirer à l'infini, jusqu'à ce qu'enfin, un soupir échappé des lèvres de Cyrus Smith brise le silence oppressant de la grotte. Les yeux embués d'émotion, Nab observait avec une intensité poignante le visage de son maître, cherchant le moindre signe de vie. Et enfin, ce fut le soulagement, alors que l'ingénieur remuait légèrement le bras, signe que la vie reprenait peu à peu ses droits.
«Nous le sauverons!» déclara le reporter, un sourire de soulagement illuminant son visage. Nab, épuisé par l'angoisse, sentit un frisson de soulagement le parcourir à ces mots. Il savait que la route vers la guérison serait longue, mais pour l'instant, l'important était que Cyrus Smith soit en vie[15].
Déshabillant son maître pour vérifier s'il était blessé, Nab fut surpris de constater l'absence de toute marque sur son corps. Malgré les épreuves traversées, l'ingénieur semblait miraculeusement intact. Mais les questions restaient en suspens, et seule la voix de Cyrus Smith pourrait éclairer les mystères qui entouraient son sauvetage.
Nab raconta alors ce qui s'était passé. La veille, après avoir quitté les Cheminées dès l'aube, il avait remonté la côte dans la direction du nord-nord et atteint la partie du littoral qu'il avait déjà visitée.
Nab avait cherché longtemps. Ses efforts demeurèrent infructueux.
«Je longeai la côte pendant deux milles encore, je visitai toute la ligne des écueils à mer basse, toute la grève à mer haute, et je désespérais de rien trouver, quand hier, vers cinq heures du soir, je remarquai sur le sable des