J’ouvre l’enveloppe et en sors un paquet de feuilles pliées en deux. Je les déplie et vois que ce sont principalement des photocopies de documents. La majeure partie sont rédigés dans des langues que je ne connais pas, bien qu’une semble être du russe ou quelque chose comme ça, et trois autres étant pour sûr en portugais. Deux actes de naissance, un datant de 1999 et un autre de 2001, de deux enfants, une fille qui s’appelle Olga et un garçon sans prénom sur l’acte et enregistré avec le nom de sa mère ainsi qu’un numéro de série Vanbane10D2001, dont la venue au monde a eu lieu à Luanda, à l’Hôpital Particular. La troisième photocopie en portugais est ce qui me semble être en premier lieu une étiquette de bagage, mais je me rends vite compte qu’il s’agit d’un bracelet d’identification hospitalière de nouveau-né à en juger par la taille. Il y a imprimé dessus « Hôpital Privée de Belém » en majuscules et le nom « Arantes (Walmisson) » qui parait être écrit au stylo. En bas il y a encore une date, « 15.Jan.02 » ainsi qu’une série de numéros et de lettres « SxMClOKDlv:0203 ». Avec un nom pareil, ce Belém doit, c’est certain, se trouver au Brésil. Mais pourquoi m’envoie-t-on cela ? Et pourquoi les photocopies sont-elles froissées et sales. Il s’agit de quelque chose de rouge, de l’eau rouillée ? Il ne pouvait pas en tirer d’autres… ? Je pose les feuilles et prends la lettre qui l’accompagne.
« Sehr Geherte Ric, » … Une partie du mystère est résolue au moins. La lettre est adressée à mon père ; mais qui en l’appelant Ric, ne saurait pas encore qu’il est décédé ? Je pensais avoir prévenu tout le monde. Est-ce une vieille lettre ? Non, elle est datée de mercredi dernier. Avec attention, je tente de déchiffrer l’écriture minuscule de ce fameux Gerhard Beauchamp, qui a l’air d’avoir écrit sa lettre à l’encre et avec une plume de canard dont la pointe était mal taillée. « Je te demande pardon pour cette longue absence, mais comme tu le sais déjà si Lentz t’a croisé avant de retourner au Brésil, j’ai été à l’hôpital tout ce temps-là. Celui qui a essayé de me mettre hors service, qui que ce soit, n’a pas été totalement incompétent. Je ne me rappelle plus de rien. D’après ce qu’on m’a dit, je suis resté dans le coma pendant près d’un mois et suis occasionnellement conscient depuis. Il n’y a que depuis trois semaines que je suis complètement réveillé et que je me rappelle où j’avais caché les photocopies que je t’envoie ci-jointes. Elles sont un peu froissées et sales (c’est mon sang) mais je ne voulais pas en faire des nouvelles puisque ça aurait rendu les documents incompréhensibles. J’espère qu’elles peuvent encore servir à quelque chose. Téléphone-moi si tu as besoin car ton numéro n’est plus attribué. À bientôt. Ton Ger. »
Mais quelle lettre bizarre. Je regarde à nouveau les photocopies et je vois qu’elles ont toutes plus ou moins l’air d’être des documents officiels, aucune d’entre elles n’a plus de cinq ans à en juger par ce qui ressemble à des dates. Ce sont vraisemblablement des actes de naissance, peut-être que ceux des enfants angolais ont servi d’exemple. Je n’ai pas la moindre idée de ce que mon père aurait pu avoir à faire avec des histoires comme celle-ci. Et ce n’est cependant pas aujourd’hui que je vais en savoir plus, la lettre ne donne aucun numéro de téléphone et j’ai encore beaucoup trop à faire pour perdre du temps à demander à la PT qu’il me donne le numéro correspondant à l’adresse. Demain, peut-être.
Je me lance sur la pile d’affaires que je dois traiter, lorsque je vois une brochure du séminaire à Funchal que Gomez m’a laissé sur le bureau sans que je ne m’en rende compte. Cela me rappelle que je dois en parler à Gabriela, par téléphone je lui demande qu’elle réserve deux places dans un vol pour demain après-midi, une chambre avec deux lits et vue sur la baie à un étage supérieur du Pearl Bay. L’hôtel est un peu loin du lieu du séminaire, mais de ce que je me rappelle de ma dernière visite là-bas, il sera très bien pour Becca.
Je reviens aux dossiers en cours, et j’expédie en deux temps trois mouvements trois choses que j’avais laissé en suspens il y a quelques jours, peut-être à la recherche du bon moment. Je passe en revue le reste des choses à faire et relis le fax suisse avec cette fois un peu plus d’attention. Il provient d’un certain Guido Creutzer, avocat, qui dit à mon père qu’il a reçu un paquet qui lui était destiné provenant d’un homme nommé Konrad Lentz, décédé. Il demande à mon père de le contacter afin de convenir des détails d’envoi. Deux courriers pour mon père dans la même journée, et tous deux provenant de Suisse. Ma mémoire m’envoie un signal et je reprends la lettre de Beauchamp. Elle aussi parle d’un Lentz, serait-ce le même ? Subitement, je me rappelle des noms que j’ai entendu ce matin sur Euronews. Quinze heures vingt-neuf, il doit y avoir un bulletin d’informations à quinze heures trente et peut-être qu’ils vont reparler de cette affaire
Je me lève d’un coup et cours dans le bureau de Gabriela qui est en train de taper quelque chose à l’ordinateur avec ses écouteurs. Je ferme la porte et allume la télévision avant qu’elle ne puisse me demander ce que je fais. Elle me regarde avec incompréhension.
Je lui fais signe qu’il n’y a rien et retourne devant le téléviseur. C’est bientôt la fin du bulletin et ils reparlent enfin des deux corps mutilés retrouvés il y a une semaine à Manaus et qui ont pu être identifiés hier, Elisa Ferrara, médecin italienne, et un certain Konrad Lentz, journaliste suisse. Une coïncidence de plus, il doit s’agir du même homme que Beauchamp et mon père connaissaient. Mais comment et d’où ? Et qui est ce Beauchamp ? J’éteins la télévision et sors du bureau de Gabriela sans rien lui dire.
De retour à mon bureau, je prends le fax et marque le numéro de téléphone qui y est imprimé. Le téléphone sonne pendant quelques temps avant que quelqu’un ne réponde.
« Creutzer-Scheider advokat firma, Grüezi. »
« Grüezi, mon nom est Carl Nebuloni, je suis avocat et j’ai été contacté par Maître Guido Creutzer, avec qui j’aimerais m’entretenir. »
« Eh bien, Maître Nebuloni ; je crains que Maître Creutzer ne soit pas là ni aujourd’hui ni demain. Est-ce que cela vous dérangerait de rappeler mercredi, ou bien voulez-vous que je lui dise de vous recontacter ? » Je lui dis que j’essayerai de rappeler mais lui donne mon numéro afin que si je ne suis pas là, il puisse parler à Gabriela.
Qui, d’ailleurs, vient juste de rentrer dans mon bureau d’un air déterminé. « Voici les confirmations de tes billets et de ta réservation d’hôtel. Sur ce post-it vert tu as les codes de réservation ; va directement au check-in avec ça, les billets sont électroniques. Sur le post-it jaune il y a le numéro de téléphone de l’hôtel et le nom de l’employé avec qui j’ai parlé, si jamais tu as un problème. »
Je prends les deux bouts de papier autocollants qu’elle me donne et les colle sur la page de demain sur mon agenda. « Demain matin tu viens ou tu veux que j’annule ce que tu avais prévu ? » Je regarde mon agenda et vois que je n’ai qu’une réunion avec les stagiaires les plus expérimentés pour savoir combien d’entre eux souhaiteraient rester avec nous et combien ont déjà d’autres plans. Je lui dis de la décaler à la semaine prochaine et de ne pas oublier de prévenir Meirelles qui est le responsable des stages. Elle me fait une grimace comme pour me dire « tu penses vraiment que je pourrais oublier de prévenir Meirelles », mais prend