Je la prends dans mes bras et l’emmène jusqu’à sa chambre et lui enfile le pyjama tout délicatement sans faire de bruit. Je la couvre avec la couette car la nuit est humide et sors sur la pointe des pieds en laissant la lampe de chevet au cas où elle se réveille.
Je range la cuisine, mets la vaisselle dans le lave-vaisselle et prépare les vêtements pour les valises, que je ferai demain. Je m’assieds ensuite devant la télévision afin de regarder les informations de vingt-et-une heures trente sur Euronews. Ils mentionnent à nouveau les noms de Lentz et de Ferrara, mais précisent cette fois-ci que les deux victimes étaient au service d’une l’institution de l’Union Européenne qui s’occupe de la protection de l’enfance (IEPE) et qu’ils s’étaient rendus au Brésil afin d’enquêter sur des cas d’adoptions illégales de la part de citoyens de l’UE, accompagnés de plaintes pour ventes et enlèvements d’enfants.
On ne peut pas dire qu’ils entrent trop dans les détails, mais à vrai dire ce n’est pas non plus une chaîne spécialisée dans de telles choses. Demain je vais essayer de voir si je peux me procurer un journal qui pourrait m’en dire plus sur cette histoire à l’aéroport. Peut-être que l’un d’entre eux aura préparé un traitement un peu plus approfondi sur la mort de ces deux personnes, en comparaison à celui d’Euronews.
À la fin des informations, je prends ma sacoche et vais dans le bureau afin de faire des photocopies de la lettre, des annexes et du fax, j’ouvre le coffre où mes parents laissaient leurs papiers importants et y glisse les originaux. Si les personnes assassinées menaient une enquête sur des cas d’adoptions illégales et sur des enlèvements d’enfants au Brésil, le plus probable est que le bracelet d’identification et les documents qui semblent être des actes de naissance se réfèrent également à des enfants adoptés illégalement ou enlevés dans d’autres pays. Ne pouvant pas lire les autres, je me replonge dans les actes de naissances angolais. Je remarque une chose dont je ne m’étais pas aperçu avant, en dessous du nom de la mère, sur l’espace destiné à la profession, il y a, dans les deux cas, un trait fait au stylo. Et, encore dans les deux cas, sur l’espace destiné à l’identification du père, un trait également fait au stylo.
Peut-être que cela ne veut rien dire, mais c’est tout de même étrange que quelqu’un paye un hôpital particulier, en supposant que le nom corresponde bien à la personne, mais ne déclare pas la profession de la mère ni le nom ou la profession du père, n’y laissant que le nom de la mère. Peut-être qu’il s’agissait d’une grossesse non-désirée qui n’a pas pu être interrompue pour une bonne raison. Mais dans ce cas, il aurait mieux valu tout cacher. Plus j’y pense et plus cela me paraît étrange. Et une fois de plus je me demande ce que mon père avait à voir avec cela.
Je ne lui connaissais pas de clients angolais et moins de brésiliens. Au bureau, il n’y a que Gomez qui a des contacts avec le Brésil, où il peut exercer et donc y passer parfois du temps, mais que je sache il n’a aucune affaire en cours liée à des adoptions, et ce n’est même pas le type de sujet qu’il traite. Je lui demanderai lundi s’il sait quelque chose à propos de cet Hôpital Privé. Belém comme nom de lieu ne m’est pas étranger, où cela se trouve-t-il ? Je prends une carte et je vois ce nom au nord du pays. Bien sûr ! C’est la capitale de l’État du Pará, elle se situe à l’embouchure du fleuve du même nom. Ce n’est pas une petite ville, lors des deux derniers recensements elle apparaît avec près de 190 mille habitants. Mais même ainsi elle ne doit pas avoir beaucoup d’hôpitaux privés, et si la loi est similaire à la loi portugaise, il ne pourra y en avoir qu’un avec ce nom. Tant de choses à découvrir. Cependant, pour ne pas perdre de temps et parce que je trouve tout cela très curieux, j’écris une lettre à Beauchamp, dans laquelle, sans plus de détails, je lui demande qu’il me contacte d’urgence au bureau et lui donne mon numéro direct. Demain, je la posterai dans la boite aux lettres de l’aéroport. Avant d’aller me coucher, je commande par téléphone un taxi pour onze heures du matin.
TROIS
Ma journée commence à l’heure habituelle avec les exercices qui font partie de ma routine matinale depuis déjà quelques mois. Je n’arrive pas à me concentrer, je pense sans cesse à l’histoire de Lentz et de Ferrara et à cause de cela je n’arrive pas à finir avant sept heures. Je dois recommencer plusieurs fois du début car je ne me rappelle pas du nombre où j’en suis, une pénitence qui a pour objectif d’améliorer ma mémoire et ma concentration, mais qui ne me sert vraiment à rien aujourd’hui.
Je laisse Becca dormir car, même si elle n’a pas passé une mauvaise nuit, c’est toujours du repos de gagné. Je prends mon petit-déjeuner et fais nos deux valises. Enfin, je mets mes affaires dans la valise et laisse les siennes sur le lit afin qu’elle les approuve (ou pas). Au milieu de sa chambre, je dispose sa petite valise à roulettes du Petit Spirou afin qu’elle puisse apporter quelques jouets et des poupées pour passer le temps là-bas.
Je décide d’aller prendre ma douche avant de réveiller Becca et quand j’entre dans la salle de bains et que je vois mon reflet dans le miroir je choisis de raser ma barbe. Je me mouille le visage avec de l’eau chaude, je me masse avec une crème à base d’huile d’eucalyptus, je mets de la crème au menthol, germe de blé et lanoline dans un bol en porcelaine et je fais mousser à l’aide d’une brosse en vison.
J’attends quelques minutes pour bien laisser la crème pénétrer dans ma peau et me couvre ensuite le visage de mousse. J’attends à nouveau quelques minutes de plus avant de me raser et répète ensuite l’application de la crème d’huile d’eucalyptus avant de me masser le visage avec de la Floïd – une lotion après-rasage que mon grand-père m’envoie de Madrid avec une régularité sans nom, alors que je lui ai déjà dit des centaines de fois que je pouvais l’acheter ici aux grand-magasins du Corte Inglés. Cela pourrait sembler n’être qu’une coquetterie dans ma routine, mais s’il m’était impossible il-y-a quelques années de me raser sans que cela m’irritait la peau, maintenant je peux le faire, selon les envies, deux fois par jour sans problème.
J’expédie la douche en cinq minutes, je me sèche et vais m’habiller dans ma chambre. La météo à Madère est plus chaude et plus humide qu’à Lisbonne, je me décide ainsi à porter un costume deux pièces printanier en lin de Tasmanie marron clair, je mets des sous-vêtements beiges, des chaussettes ocres et une chemise dans les tons de jaune en coton à carreaux avec des boutons au col et aux surpiqures jaune foncé. La cravate est en soie épaisse vert foncé avec des dessins géométriques ocres assortis aux couleurs de la chemise et du costume. Je mets des chaussures marron clair à lacets, mais je remarque qu’elles ont besoin d’être cirées. Je vais alors dans le cellier chercher le pot de cirage. Rapidement et avec attention, pour ne pas me tacher, je cire les chaussures, leur redonnant brillance et éclat, puis les enfile à nouveau. Je retourne dans la salle de bains pour me laver les mains et j’analyse alors mon reflet dans le grand miroir et satisfait du résultat, je vais réveiller Becca.
Je ne mets pas longtemps à la réveiller car elle se rappelle qu’aujourd’hui nous prenons l’avion. Elle commence à sauter sur le lit et je dois lui dire d’arrêter. Je l’emmène ensuite dans la salle de bains, elle prend sa douche, je la laisse toute seule, faire comme elle le souhaite – ça n’est pas un travail très bien fait et cela dure la plupart du temps plus qu’il ne faudrait, mais elle se sent grande alors je la laisse faire.
Je la prends dans mes bras pour l’emmener dans le salon et lui sers son petit-déjeuner accompagné de tonnes et de tonnes de questions sur l’avion et sur Madère.