–Tout cela n’est rien sans la liberté, reprit froidement le jeune aventurier.
–Et quelle est cette liberté que vous demandez? J’espère, jeune homme, que vous ne voudriez pas trahir si vite la confiance qui vous a été accordée. Notre connaissance date de bien peu de temps, et je me suis trop pressé petit-être de vous parler à cœur ouvert.
–Il faut que je retourne à terre, dit Wilder d’un ton ferme, ne fût-ce que pour savoir si l’on se fie à moi et si je ne suis pas prisonnier.
–Il y a dans tout ceci des sentiments généreux ou une profonde scélératesse, reprit le Corsaire après avoir mûrement réfléchi; j’aime mieux croire aux premiers. Promettez-moi que, tant que vous serez dans la ville de Newport, vous n’apprendrez à âme qui vive quel est véritablement ce vaisseau.
–Je suis prêt à le jurer, interrompit Wilder avec empressement.
–Sur cette croix, reprit le Corsaire avec un sourire ironique, sur cette croix montée en diamants! Non, monsieur, ajouta-t-il en fronçant fièrement le sourcil, tandis qu’il rejetait avec dédain sur la table ce précieux emblème, les serments sont faits pour les hommes qui ont besoin de lois qui les forcent à garder leurs promesses; il ne me faut que la parole franche et sincère d’un homme d’honneur.
–Eh bien! c’est avec autant de sincérité que de franchise que je vous promets que, tant que je serai à Newport, je ne dirai à personne quel est ce vaisseau, à moins que vous ne m’ordonniez le contraire. Bien plus…
–Non, rien de plus. Il est prudent d’être avare de sa parole, et de ne pas la prodiguer inutilement. Il peut venir un temps où il vous serait avantageux, sans inconvénients pour moi, de ne pas être lié par une promesse. Dans une heure, vous irez à terre; cet intervalle est nécessaire pour que vous ayez le temps de prendre connaissance des conditions de votre engagement, et de le signer.
–Roderick! ajouta-t-il en touchant de nouveau le gong, on a besoin de vous, enfant.
Le même garçon jeune et actif qui avait déjà paru au premier appel accourut de la cabine de dessous, et annonça sa présence comme la première fois.
–Roderick, continua le Corsaire, voici mon futur lieutenant, et par conséquent votre officier et mon ami. Voulez-vous prendre quelque chose, Monsieur? Il n’est presque rien qu’on puisse désirer, que Roderick ne soit à même de fournir.
–Je vous remercie, je n’ai besoin de rien.
–Alors, ayez la bonté de le suivre en bas. Il vous conduira dans la grande salle, et vous donnera un code écrit. Dans une heure vous en aurez achevé la lecture, et alors je vous rejoindrai.
–Éclairez mieux l’échelle, Roderick, quoique vous sachiez très-bien descendre sans échelle, monsieur Wilder, à ce qu’il paraît, ou je n’aurais pas en ce moment le plaisir de vous voir.
Le Corsaire sourit d’un air d’intelligence; mais Wilder ne parut pas se rappeler avec la même satisfaction la position embarrassante où il avait été laissé dans la tour, et loin de répondre à ce sourire, sa physionomie s’était singulièrement rembrunie au moment où il se préparait à suivre son guide, qui était déjà au milieu de l’escalier, une lumière à la main. Le premier s’en aperçut, et, s’avançant d’un pas, il dit aussitôt avec autant de grâce que de dignité:
–Monsieur Wilder, je vous dois des excuses pour la manière un peu cavalière dont je me suis séparé de vous sur la colline. Quoique je vous crusse à moi, je n’étais pourtant pas sûr de mon acquisition; vous comprenez sans peine combien il était essentiel pour un homme dans ma position de se débarrasser d’un compagnon dans un pareil moment. 1•
Wilder se retourna vers lui, et, avec un air d’où toute trace de déplaisir était effacée, il lui fit signe de n’en pas dire davantage.
–Il était assez désagréable, sans doute, de se trouver ainsi emprisonné; mais je sens la justesse de ce que vous dites, et j’en aurais fait autant moi-même en pareil cas, si j’avais eu la même présence d’esprit.
–Le bonhomme qui moud du blé dans ces ruines doit faire mal ses affaires, puisque tous les rats abandonnent son moulin, s’écria gaiement le Corsaire tandis que son compagnon descendait l’escalier.
Pour cette fois, Wilder lui rendit son sourire franc et cordial, et il laissa, en se retirant, son nouveau maître seul en possession de la cabine.
CHAPITRE VII.
Est-il quelque loi qui puisse t’enrichir?–Eh
bien! romps avec elle, et prends ceci.–Ma
pauvreté y consent, mais non ma volonté.
SHAKSPEARE. Roméo et Juliette.
Le Corsaire s’arrêta au moment où Wilder disparut, et il resta plus d’une minute dans l’attitude du triomphe. Il était évident qu’il se félicitait de son succès; mais, quoique sa figure expressive peignît la satisfaction de l’homme intérieur, ce n’étaient pas les élans d’une joie vulgaire; on y voyait plutôt le plaisir d’être délivré tout à coup d’une mortelle inquiétude, que celui de s’être assuré les services d’un brave jeune homme. Peut-être même un observateur attentif aurait-il pu découvrir une ombre de regret au milieu de son sourire triomphant et des brillants éclairs que lançaient ses regards. Mais ces sensations ne furent que passagères, et il reprit bientôt t l’air libre et dégagé qui lui était ordinaire.
Après avoir laissé à Roderick le temps nécessaire pour conduire Wilder à l’endroit qui lui avait été désigné, et pour le mettre en possession des réglements qui concernaient la police du vaisseau, le capitaine toucha de nouveau le gong et appela pour la troisième fois son jeune serviteur; celui-ci dut pourtant s’approcher contre son maître et parler trois fois avant que le Corsaire parût s’apercevoir de sa présence.
–Roderick, dit-il enfin après une longue pause, êtes-vous là?
–Oui, répondit une voix basse et qui avait une expression de tristesse.
–Ah! vous lui avez donné les réglements?
–Je les lui ai donnés.
–Et il les lit?
–Oui, il les lit.
–C’est bien. Je voudrais parler au général. Roderick, vous devez avoir besoin de repos, bonsoir. Que le général soit appelé au conseil, et… bonsoir, Roderick.
L’enfant fit une réponse affirmative; mais, au lieu de courir avec sa vivacité ordinaire pour aller exécuter l’ordre de son maître, il resta un instant près de sa chaise. N’ayant pu cependant réussir à attirer son attention, il s’éloigna à pas lents et d’un air de répugnance, descendit l’escalier qui conduisait à l’étage inférieur, et on ne le vit plus.
Il est inutile de décrire la manière dont le général fit sa seconde entrée. Ce fut absolument la répétition de la première, si ce n’est que cette fois il se montra tout entier. Sa taille était haute et droite; il était bien fait, et il s’en fallait de beaucoup que la nature se fût montrée marâtre à son égard, même sous le rapport de la grâce; mais tous ses mouvements avaient été réglés avec une symétrie si rigoureuse, qu’il ne pouvait remuer un membre sans que tous les autres fissent quelque démonstration analogue, et l’on eût dit une marionnette bien organisée. Ce personnage raide et guindé, après avoir fait un salut militaire à son supérieur, alla prendre lui-même une chaise sur laquelle, après quelques instants perdus en apprêts,