Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: James Fenimore Cooper
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066319045
Скачать книгу
Voici le lord grand amiral, votre Saint-George, votre champ rouge et bleu, suivant le chef que le hasard vous donne, ou suivant le caprice du moment, les banderoles de l’Inde et l’étendard royal lui-même.

      –L’étendard royal!

      –Pourquoi pas? Un capitaine n’est-il pas roi absolu sur son bord? Oui, voici l’étendard de Sa Majesté, et, qui plus est, il a été arboré en présence d’un amiral!

      –Voici qui demande explication! s’écria le jeune marin avec cette espèce d’horreur qu’un prêtre manifesterait en apprenant un sacrilége. Arborer l’étendard royal en présence d’un vaisseau amiral! Nous savons tous combien il est diflicile, et même dangereux, de s’amuser à déployer une simple banderole en présence d’un croiseur du roi, et.

      –J’aime à braver les drôles, interrompit l’autre avec un sourire amer. Il y a du plaisir à cela! Pour punir, il faut qu’ils aient la force; épreuve souvent tentée, mais toujours sans succès jusqu’à présent. Vous savez la manière de régler un compte avec la loi, en lui montrant toutes ses voiles dehors? Je n’ai pas besoin d’en dire davantage.

      –Et lequel de tous ces pavillons employez-vous le plus? demanda Wilder après une minute de profonde réflexion.

      –Pour naviguer simplement, je suis aussi fantasque qu’une fille de quinze ans dans le choix de ses rubans. J’en change souvent douze fois par jour. Combien de dignes vaisseaux marchands sont entrés dans le port en racontant qu’ils venaient de rencontrer, l’un un bâtiment hollandais, l’autre un danois, auquel ils avaient parlé à l’entrée, et tous deux avaient raison! Quand il s’agit de se battre, c’est autre chose; et quoique parfois aussi je me laisse aller à un caprice, cependant il est une bannière que j’affectionne particulièrement.

      –Et c’est?…

      Le capitaine resta un moment la main posée sur le pavillon qu’il avait touché, qui était encore roulé dans le tiroir, et on eût dit qu’il lisait jusqu’au fond de l’âme du jeune marin, tant le regard qu’il lançait sur lui était vif et perçant. Alors, prenant le rouleau fatal, il le déplia tout à coup, et montrant un champ rouge sans aucune espèce d’ornement ou de bordure, il répondit avec emphase:

      –Le voici!

      –C’est la couleur d’un corsaire1

      –Oui, il est rouge! Je l’aime mieux que vos sombres champs tout noirs, avec des têtes de mort, et autres sottises bonnes pour effrayer les enfants: Il ne menace point, seulement il dit: Voilà le prix auquel on peut m’acheter! Monsieur Wilder, ajouta-t-il en perdant cette expression ironique et plaisante, que sa figure avait conservée jusqu’alors, pour prendre un air de dignité, nous nous entendons l’un l’autre. Il est temps que chacun de nous navigue sous les couleurs qui lui sont propres. Je n’ai pas besoin de vous dire qui je suis.

      –Je crois en effet que cela est inutile, dit Wilder; à ces signes palpables, je ne puis douter que je ne sois en présence du… du…

      –Du Corsaire Rouge, dit le capitaine en remarquant qu’il hésitait à prononcer ce nom terrible, il est vrai; et j’espère que cette entrevue sera le commencement d’une amitié solide et durable. Je ne puis m’en expliquer la cause; mais du moment où je vous ai vu, un sentiment aussi vif qu’indéfinissable m’a attiré vers vous. J’ai senti peut-être le vide que ma position a formé autour de moi; quoi qu’il en soit, je vous reçois à cœur et à bras ouverts.

      Quoiqu’il fût très-évident, d’après ce qui avait précédé cette reconnaissance ouverte, que Wilder n’ignorait pas quel était le vaisseau à bord duquel il venait de s’aventurer, cependant cet aveu ne laissa pas de l’embarrasser. La réputation de ce célèbre flibustier, son audace, ses actes de générosité ou de débauche si singulièrement mêlés, se présentaient sans doute ensemble à la mémoire de notre jeune aventurier, et lui causaient cette espèce d’hésitation involontaire à laquelle nous sommes tous plus ou moins sujets lorsqu’il se présente un incident grave, quelque prévu qu’il ait pu être d’ailleurs.

      –Vous ne vous trompez ni sur mes intentions, ni sur mes conjectures, répondit-il enfin, car j’avoue que c’était bien ce même vaisseau que j’étais venu chercher. J’accepte vos offres, et dès ce moment vous pouvez disposer de moi et me mettre au poste, quel qu’il soit, que vous me croirez le plus propre à remplir avec honneur.

      –Vous serez le premier après moi. Demain matin, je le proclamerai sur le pont, et, à ma mort, si je ne me suis pas trompé dans mon choix, vous serez mon successeur. Cette confiance vous paraît peut-être bien subite; elle l’est en effet, du moins en partie, je dois en convenir; mais nos listes de recrutement ne peuvent pas être promenées, comme celles du roi, au son du tambour, dans les rues de la capitale; et ensuite, je ne connais pas le cœur humain, si la manière franche et ouverte dont je me fie à votre foi ne suffit pas elle-même pour m’assurer votre attachement.

      –N’en doùtez pas! s’écria Wilder dans un mouvement soudain, mais marqué, d’enthousiasme.

      Le Corsaire sourit avec calme en ajoutant:

      –Les jeunes gens de votre âge ont assez d’ordinaire le cœur sur la main. Mais, malgré cette sympathie apparente qui semble se manifester tout à coup entre nous, je dois vous dire, pour que vous n’ayez pas une trop faible idée de la prudence de votre chef, que nous nous sommes déjà vus. Je savais que vous étiez dans l’intention de me chercher, et de venir m’offrir vos services.

      –Impossible! s’écria Wilder, jamais personne.

      –Ne peut être sûr que ses secrets sont en sûreté, interrompit l’autre, lorsqu’on a une figure ouverte comme la vôtre. Il n’y a que vingt-quatre heures que vous étiez dans la bonne ville de Boston.

      –J’en conviens, mais.

      –Vous conviendrez bientôt du reste. Vous montriez trop de curiosité, trop d’empressement à interroger l’imbécile qui dit que nous lui avions volé ses voiles et ses provisions. Menteur impertinent! Il fera bien de ne pas venir croiser sur ma route, ou je pourrais bien lui donner une leçon qui lui apprendrait à être mieux avisé une autre fois. Beau gibier vraiment pour qu’il vaille la peine que je déploie pour lui une seule voile, ou que je mette même une barque à la mer!

      –Son rapport n’est donc pas vrai? demanda Wilder avec une surprise qu’il ne chercha pas à cacher.

      –Vraiai! Suis-je ce que la renommée m’a fait? regardez bien le monstre, afin que rien ne vous échappe, reprit le Corsaire avec un sourire amer, comme si le mépris s’efforçait d’apaiser les sentiments de l’orgueil blessé.–Où sont les cornes et le pied fourchu? Humez l’air: est-il imprégné de soufre! Mais c’est assez de toutes ces fadaises. Je soupçonnai vos projets, et votre air me convint. Je résolus de vous étudier, et quoique je misse quelque réserve dans mes démarches, cependant je vous vis d’assez près pour être content. Vous me plûtes, Wilder, et j’espère que cette satisfaction sera mutuelle.

      Le nouveau flibustier inclina la tête à ce compliment de son chef, et il parut assez embarrassé de répondre. Comme pour éloigner ce sujet et mettre fin à la conversation, il dit précipitammentt:

      –Maintenant que tout est d’accord, je ne vous dérangerai pas plus longtemps. Je vais me retirer, et je reviendrai prendre mes fonctions demain matin.

      –Vous retirer! répéta le Corsaire en s’arrêtant tout à coup dans sa marche, et en regardant fixement le jeune homme.–Il n’est pas d’usage que mes officiers me quittent à cette heure. Un marin doit aimer son vaisseau, et il doit toujours coucher à bord à moins qu’il ne soit retenu de force à terre.

      –Entendons-nous, dit Wilder avec feu; si c’est pour être esclave, et pour être cloué comme l’une de ces ferrures à votre vaisseau, que vous me prenez, il n’y a rien de fait entre nous.

      –Hem!