Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: James Fenimore Cooper
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066319045
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verte avait opéré sa retraite.

      –Voulez-vous dire l’individu en bottes qui, sans être hélé, voulait toujours faire voile de conserve dans la conversation, sur le petit bout de quai, là-bas, au delà de cette maison, en droite ligne de la cheminée nord-est avec le mât d’artimon de ce vaisseau qu’on toue dans le havre d’entrée?

      –Précisément.

      –Il a pris vent oblique jusqu’à ce qu’il eût doublé cette grange, et alors il a viré de bord et s’est mis à cingler vers le sud-est, se tenant à la largue, et ayant, je crois, lacé toutes ses bonnettes, car il allait diablement sur le nez.

      –Suivez-moi, s’écria Wilder en s’élançant dans la direction indiquée, sans écouter plus longtemps les explications techniques du matelot.

      Mais leurs efforts furent vains. Ils eurent beau continuer leurs recherches jusqu’après le coucher du soleil, et interroger tous ceux qu’ils rencontraient, personne ne put leur apprendre ce qu’était devenu l’étranger en redingote verte. Quelques personnes l’avaient bien vu, et avaient même remarqué son singulier costume et son regard fier et scrutateur; mais, d’après tous les indices, il avait disparu de la ville aussi étrangement, aussi mystérieusement qu’il y était entré.

       Table des matières

      Êtes-vous si brave? J’aurai besoin de causer de

      nouveau avec vous.

      SHAKSPEARE. Coriolan,

      Les bons habitants de la ville de Newport se retiraient de bonne heure. Ils poussaient très-loin la tempérance et la régularité, vertus qui distinguent encore aujourd’hui les habitants de la Nouvelle-Angleterre. A dix heures, il ne restait pas dans la ville une seule maison dont la porte fût ouverte, et il est très-probable que, moins d’une heure après, le sommeil avait fermé tous les yeux qui avaient été aux aguets pendant toute la journée, non-seulement pour veiller aux intérêts personnels de chaque habitant, mais encore pour s’occuper charitablement, dans les moments perdus, des affaires du reste du voisinage.

      L’aubergiste de l’Ancre Dérapée (c’est ainsi qu’on nommait l’auberge où Fid et Nightingale avaient été si près d’en venir aux coups) fermait scrupuleusement sa porte à huit heures, sorte d’expiation par laquelle il s’efforçait de réparer en dormant les petites peccadilles morales qu’il pouvait avoir commises pendant le jour. On pouvait du reste observer, comme règle générale, que ceux qui avaient le plus de peine à conserver une bonne réputation, sous le rapport de la sobriété et de la tempérance, étaient les plus exacts à se retirer en temps convenable du tumulte et des affaires de ce monde. La veuve de l’amiral n’avait pas donné peu de scandale dans son temps, parce que l’on voyait toujours de la lumière dans sa maison longtemps après l’heure fixée par l’usage pour l’éteindre. Il y avait bien encore quelques autres points sur lequels la bonne dame s’était exposée aux caquets de plusieurs de ses voisines. Appartenant au culte épiscopal, elle ne manquait jamais de prendre son aiguille le samedi soir, quoique les autres jours elle ne travaillât presque jamais. C’était une manière de manifester sa conviction que la soirée du dimanche était la soirée orthodoxe du sabbat. Il se livrait même de temps en temps à ce sujet de petites escarmouches entre elle et la femme du principal ecclésiastique de la ville. Heureusement les hostilités n’étaient jamais poussées bien loin. Cette dernière se contentait de protester en venant le dimanche soir chez la douairière avec son ouvrage, et en interrompant de temps en temps la conversation pour faire jouer activement son aiguille pendant cinq à six minutes. Mrs de Lacey, pour se préserver du danger de la contagion, ne prenait d’autre précaution que de jouer de son côté avec les feuilles d’un livre de prières, exactement d’après le principe qui fait employer de l’eau bénite pour tenir le diable à la distance que l’Église juge la plus sûre pour ses prosélytes.

      Quoi qu’il en soit, le soir du jour où commence notre histoire, la ville de Newport était, à dix heures, aussi tranquille que si elle n’eût pas renfermé une âme vivante. Il n’y avait point de watchmen, par l’excellente raison qu’il n’y avait point de voleurs; car le vagabondage n’était pas encore connu dans les provinces. Lors donc que Wilder et ses deux compagnons se mirent à cette heure à parcourir les rues désertes, ils les trouvèrent ensevelies dans le même silence que si jamais homme n’y eût passé. On ne voyait plus une seule lumière, ni rien qui indiquât une ville habitée. Au lieu de s’arrêter à frapper à la porte des auberges pour se faire ouvrir par les garçons assoupis, nos aventuriers se dirigèrent en droite ligne vers le bord de la mer; Wilder marchait le premier, Fid venait ensuite, et Scipion, suivant l’usage, formait l’arrière-garde avec son air habituel d’humilité.

      Arrivés près de l’eau, ils trouvèrent plusieurs petites barques amarrées à l’abri du quai voisin. Wilder donna des ordres à ses compagnons, et se rendit à l’endroit où il devait s’embarquer. Après avoir attendu le temps nécessaire, il vit deux barques arriver en même temps: l’une était conduite par le nègre et l’autre par Fid.

      –Qu’est-ce que cela veut dire? demanda Wilder; n’était-ce pas assez d’une? Il y a eu quelque méprise entre vous deux.

      –Il n’y a pas eu de méprise, répondit Fid en laissant pendre sa rame et en passant ses doigts entre ses cheveux, comme s’il était content du coup qu’il avait fait; pas plus de méprise qu’il ne peut y en avoir lorsqu’on prend la hauteur du soleil par un jour clair et sur une mer unie. Guinée est dans la barque que vous avez louée; mais c’est un mauvais marché que vous avez fait là, comme je vous l’ai dit dans le temps; et ainsi, d’après mon principe, qu’il vaut mieux tard que jamais, je viens de jeter un coup d’œil sur toute la kyrielle d’embarcations. Si je ne vous amène pas le meilleur voilier de toute la troupe, alors je veux bien qu’on dise que je ne m’y connais pas; et cependant le prêtre de la paroisse pourrait vous dire, s’il était ici, que mon père était un constructeur de barques, oui, et en jurer aussi,–c’est-à-dire si vous le payiez bien pour cela.

      –Drôle, reprit Wilder avec emportement, vous me forcerez un jour ou l’autre à vous jeter à terre. Ramenez la barque à l’endroit où vous l’avez prise, et ayez soin de l’amarrer comme elle l’était.

      –Me jeter à terre! répéta Fid d’un ton ferme; ce serait couper tous vos cordages d’un seul coup, maître Harry. Que feriez-vous, je vous le demande, Scipion et vous, si je démarrais? Pas grand’chose de bon, sur ma parole. Et puis avez-vous bien réfléchi combien voilà de temps que nous faisons voile de conserve?

      –Oui; mais il est possible de rompre même une amitié de vingt ans.

      –Sauf votre respect, maître Harry, je veux être damné si j’en crois rien. Voilà Guinée, qui n’est qu’un nègre, et qui, par conséquent, est loin d’être un compagnon convenable pour un blanc; mais voilà vingt-quatre ans que je suis habitué à voir sa face noire, voyez-vous et maintenant que je suis fait à sa couleur, elle me plaît tout autant qu’une autre; et puis, en mer, lorsque la nuit est sombre, il n’est pas facile de voir la différence. Non, non, je ne suis pas encore las de vous, maître Harry, et ce ne sera pas pour une misère que nous nous séparerons.

      –Alors abandonnez votre habitude de vous approprier sans façon ce qui appartient à d’autres.

      –Je n’abandonne rien. M’a-t-on jamais vu quitter le tillac tant qu’une planche tenait aux baux? Et faudra-t-il que j’abandonne, comme vous le dites, ce qui est mon droit? Après tout, qu’y a-t-il donc de si grave pour qu’il faille appeler tout l’équipage pour voir punir un vieux matelot? Vous avez donné à un lourdaud de pêcheur, un fainéant qui n’a jamais été sur une eau plus profonde que celle dont sa ligne peut toucher le fond, vous lui avez donné, dis-je, une belle pièce d’argent, et cela pour qu’il vous