Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: James Fenimore Cooper
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066319045
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un de ces regards vifs et perçants que ses yeux avaient toujours en réserve.

      –Mais l’un et l’autre, à ce que je crois, répondit Wilder d’un ton sec et caustique; certainement du moins de la première espèce, ou la renommée fait injure aux gens de robe.

      L’avocat sourit, et il ne parut se fâcher en aucune manière d’une allusion aussi libre à sa noble et honorable profession.

      –Vous autres gens de mer, dit-il, vous avez dans les manières une franchise si loyale et si amusante, qu’en honneur il n’y a pas moyen d’y résister. Je suis enthousiaste de votre noble profession, et j’en connais tant soit peu les termes. Quel plus beau spectacle, en effet, qu’un superbe vaisseau fendant la lame furieuse avec sa poupe, et s’élançant sur son sillage, comme un coursier rapide!

      –Ou comme un serpent sinueux qui s’allonge sur ses propres replis.

      Alors, comme s’ils éprouvaient un singulier plaisir à se rappeler ces images poétiques tracées par la digne veuve du vaillant amiral, ils se mirent à éclater de rire en même temps d’une manière si bruyante que la vieille tour en fut ébranlée comme au temps où le vent faisait tourner le moulin. L’avocat fut le premier à reprendre son sang-froid, car le jeune marin s’abandonnait à toute sa gaieté.

      –Mais c’est un terrain sur lequel il est dangereux pour d’autres que la veuve d’un marin de s’aventurer, dit-il d’un ton redevenu en un instant aussi calme que ses rires avaient été immodérés. La jeune personne, celle qui a tant d’aversion pour les moulins, est nne charmante créature! il paraîtrait qu’elle est la nièce de la prétentieuse douairière.

      Le jeune marin cessa de rire a son tour, comme s’il sentait tout à coup l’inconvenance de tourner en ridicule une si proche parente de la belle vision qui venait d’apparaître à ses yeux. Quelles que fussent ses pensées secrètes, il se contenta de répondre:

      –Elle l’a dit elle-même.

      –Et dites-moi, reprit l’avocat en s’approchant de son compagnon, comme s’il avait un secret important à lui communiquer, ne trouvez-vous pas qu’il y avait quelque chose de frappant, d’extraordinaire, quelque chose qui allait au cœur, dans la voix de la dame qu’elles appelaient Wyllys?

      –L’avez-vous remarqué?

      –Je croyais entendre les sons d’un oracle, les accents mêmes de la vérité. Quelle voix douce et persuasive!

      –J’avoue que j’en ai senti l’influence, et à un point que je ne puis expliquer.

      –Cela tient du délire! reprit l’avocat en se promenant à grands pas dans la tour, et toute trace d’enjouement et d’ironie avait disparu de sa figure pour faire place à un air pensif et rêveur. Son compagnon semblait peu disposé à interrompre ses méditations, et était livré lui-même à de tristes et pénibles pensées. Enfin le premier sortit de sa rêverie avec cette promptitude étonnante qui lui était habituelle. Il s’approcha d’une fenêtre, et, dirigeant l’attention de Wilder sur le vaisseau qui était dans le havre extérieur, il lui demanda sans autre préambule:

      –Ce navire n’a-t-il donc plus d’intérêt pour vous?

      –Loin de là! voilà un bâtiment tel que l’œil d’un marin aime à en voirr!

      –Voudriez-vous essayer d’aller à bord?

      –A cette heure? seul? Je ne connais ni le capitaine ni personne de l’équipage.

      –Il y a d’autres moments que celui-ci, et un marin est toujours sûr d’être reçu à bras ouverts par ses frères.

      –Ces négriers n’aiment pas toujours qu’on les aborde. Ils sont armés et ils savent tenir les étrangers à une distance respectueuse.

      –N’y a-t-il pas dans la franc-maçonnerie navale des mots de ralliement par lesquels un frère se fait connaître, de ces mots tels que–l’éperon labourant l’onde,–ou quelque autre de ces phrases techniques que nous venons d’entendre?

      Wilder regarda fixement celui qui le questionnait ainsi, et parut réfléchir longtemps avant de hasarder une réponse.

      –Pourquoi toutes ces questions? demanda-t-il enfin avec froideur.

      –Parce que je crois que si jamais cœur pusillanime n’a triomphé d’une belle, jamais l’indécision n’a triomphé de la fortune. Vous voulez de l’emploi, m’avez-vous dit, et si j’étais amiral je vous ferais mon premier capitaine. Dans nos tribunaux, quand nous avons besoin d’un brevet, nous avons notre manière de le demander. Mais je parle trop librement peut-être à une personne qui m’est entièrement inconnue. Vous vous rappellerez du moins que, quoique ce soit l’avis d’un avocat, il vous est donné gratis.

      –Et mérite-t-il plus de confiance à cause de cette générosité extraordinaire?

      –C’est ce dont je vous laisse juge, dit l’avocat en mettant un pied sur l’échelle et en commençant à descendre. Me voici fendant littéralement les vagues avec ma poupe, ajouta-t-il en descendant à reculons, lorsqu’on ne voyait plus que sa tête, et semblant prendre beaucoup de plaisir à appuyer sur ces mots avec une emphase particulière. Adieu, mon ami; si nous ne devons plus nous revoir, je vous recommande de ne jamais oublier les rats de la tour de Newport.

      Il disparut en disant ces mots, et l’instant d’après il était à terre. Se tournant aussitôt avec un sang-froid imperturbable, il frappa du pied le bas de l’échelle, l’abattit, et ôta de cette manière le seul moyen de descendre. Il leva alors les yeux sur Wilder, qui ne pouvait deviner son dessein, le salua familièrement de la main, lui renouvela ses adieux, et s’éloigna d’un pas rapide.

      –Voilà une conduite bien étrange, s’écria Wilder qui se trouvait ainsi prisonnier dans la tour. Après s’être assuré qu’il ne pouvait sa er par la trappe sans risquer de se casser une jambe, il courut à la fenêtre pour reprocher à son compagnon sa perfidie, ou plutôt pour s’assurer si c’était sérieusement qu’il l’abandonnait de cette manière. L’avocat était déjà hors de portée de la voix, et avant que Wilder eût le temps de décider quel parti il devait prendre, il avait gagné les faubourgs de la ville, et avait disparu derrière les maisons.

      Pendant tout le temps occupé par les scènes que nous venons de rapporter, Fid et le nègre avaient continué à faire honneur à leur sac de provisions, sous la haie où nous les avons laissés. A mesure que l’appétit du premier se calmait, son goût pour la didactique lui reprenait de plus belle, et au moment précis où Wilder était abandonné dans la tour, il était profondément occupé à faire au noir un sermon sur un sujet délicat,–la manière de se conduire en société.

      –Voyez-vous, Guinée, dit-il en finissant, pour bien manier le gouvernail dans une compagnie, il ne faut pas jeter tout par-dessus le pont, et gagner ensuite le large à toutes voiles, comme vous avez jugé à propos de le faire ce matin. Autant que je puis croire, ce maître Nightingale est mieux placé au cabaret que dans une bourrasque; vous n’aviez qu’à aller au lof et à le serrer de près quand vous m’avez vu pousser l’argument par le travers de ses écubiers, et du diable s’il n’eût pas été obligé de mettre en panne et de baisser pavillon devant tous les assistants; mais qui hèle? quel est le cuisinier qui tue à présent le cochon de son voisin?

      –Seigneur! monsieur Fid, s’écria le nègre, c’être maître Harry, avec tête hors des écoutilles, là-bas dans le phare; lui crier comme si lui avoir un porte-voix!

      –Oui, Oui, il faut le voir commander une manœuvre! Il a une voix qui résonne comme un cor, quand il lui prend envie de la faire entendre. Mais pourquoi diable met-il en état les batteries de cette vieille chaloupe démâtée? Au reste, s’il est seul pour soutenir l’abordage, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même. Pourquoi n’a-t-il pas commandé un roulement de tambour pour rassembler l’équipage?

      Comme