«L'argument ci-dessus se consolide de plus en plus en applicant au cas présent les doctrines légales: le séjour de la famille dans un même lieu, le même grade de noblesse et au même temps, forment un faisceau de preuves qui servent à établir la descendance d'une même souche; vérité qui devient plus évidente encore lorsque l'on voit Buonaparte, reconnu comme chef, donner son nom aux descendans.
«Ajoutons que l'article de qui, dans d'autres familles, précède le nom, suivant l'opinion des antiquaires les plus érudits, ne peut indiquer qu'une famille ordinaire devenue noble. Ainsi, devant les noms de médecins, de bourgeois et de riches, on joint l'article de à leurs noms, à moins qu'ils ne soient de haute lignée.
«On n'a jamais mis l'article de devant le nom de Achin Salviati, peintre excellent, et d'une si grande réputation; on n'en doit pas mettre devant le nom de notre famille, pas plus sans doute que devant le nom de nos anciens souverains les Médicis.
«Pour appuyer encore ce qui vient d'être dit, nous offrons les preuves suivantes, qui semblent sans réplique: non seulement Pierre di Gio di Jacopo di Moccio, l'un des informans, lors de la première description des décimes de l'année 1427, est cité comme citoyen de Florence, mais son père et son aïeul sont nommés comme alliés aux trois gentilshommes florentins Grandoni, Federighi et Ricci; de plus, ils résidèrent constamment dans le quartier du Saint-Esprit, où ils avaient leur habitation, et ils avaient établi leur sépulture dans l'église principale; nous citerons la mention de leur résidence au gonfalonier scala (gonfalone scala) où avaient passé Buonaparte gibellin et ses fils; ce qui prouve manifestement que Pierre, dont il vient d'être parlé, a continué d'occuper cette même habitation, comme descendant légitime du même nom, et le rapport du magistrat atteste qu'il était de Florence, habitait le même gonfalonier, et la même maison que le fondateur, M. Niccolo. Mais plus tard, au lieu d'y retourner, les Buonaparte occupèrent San-Miniato; ce qu'il est facile de reconnaître par la réticence que fit Pierre de son surnom dans le premier état de division qui eut lieu de sa part, ainsi que de ses descendans après lui. Cette omission, à laquelle on mit du mystère, donne à penser, ou plutôt à faire connaître, que ce même rejeton descendait de Buonaparte gibellin, dont la mémoire alors devait être odieuse à Florence, et ce moyen était plus facile à employer que de changer d'habitation, dans le dessein de laisser ignorer ces circonstances dans la ville. Il n'en était pas de même à San-Miniato, où dominait le parti gibellin. L'on voit même les auteurs, descendans et collatéraux du même Pierre, ne pas avoir recours au même moyen, et, dans toutes les occasions, tirer leur noblesse de Buonaparte. On voit aussi le sieur Nicolo lui-même taire tour à tour son surnom à San-Miniato, comme les autres l'avaient fait dans la ville de Florence, et, sans doute suivant les circonstances, le répéter ensuite deux fois dans la même inscription. On ne peut, dans le fait, imputer la réticence de ce nom qu'au désir de se tenir à l'abri de la haine que le peuple avait conçue pour lui, et il n'était certainement odieux au peuple que comme l'étaient les noms des autres grands et des gibellins: c'est le jugement qu'en portent tous les hommes éclairés. Il est peu de familles illustres qui n'aient été exposées aux mêmes inconvéniens à l'époque dont nous rappelons le triste souvenir.
«En quatrième lieu, lorsque, d'après l'inspection seule de l'arbre généalogique, nous voyons un membre de la famille parvenir aux premières dignités de l'église de Florence, dignités qui n'ont jamais été conférées qu'avec beaucoup de circonspection, nous pouvons en tirer l'induction de la haute considération qu'inspirait messire Jacopo, à cause de messire Pierre, chanoine et doyen florentin, avant le prince successeur de Francisco Bucellaï (c'est-à-dire en 1500.)
«On voit en outre les auteurs des informans alliés aux maisons Ricci, Federighi, Grandoni, Albizzi, Visdmnini, Alberti, Masi, Tornabuoni, parens des Tornaquiuci de Pauzano, parens de Ricasoli, Buonacorsi, Gaetani, Pamialichi, Attavanti, Squarcialupi et Borronaci, dont est né un des informans.
«De là on peut, avec beaucoup de raison, conclure que l'origine de la famille est noble, venant directement du même Buonaparte.
«Enfin, de ce que notre famille a été exclue des honneurs populaires dont elle était en possession, on doit en tirer la conséquence qu'elle était dévouée au parti gibellin.
«On la voit ensuite transférée à San-Miniato, et y posséder un château, et, fidèle au parti qu'elle avait embrassé, offrir une nouvelle victime dans la personne de Leonardo Antonio del nostro moccio, décapité pour cette raison en 1441.
«Toutes ces circonstances réunies établissent d'une manière péremptoire le dévouement de cette famille aux gibellins. Nous prouverons plus tard qu'elle jouissait d'une grande fortune, et que, si les honneurs et les dignités qui semblent devoir être l'apanage de ce rang, lui ont été refusés, il ne faut en accuser que les dissensions civiles qui la réduisirent enfin à cacher son nom.
«On ne peut tirer d'aucune archive des preuves plus fortes pour constater l'origine des informans quant à leur auteur Buonaparte. Bien qu'elles soient très concluantes, nous espérons que vos grandeurs voudront bien, dans leurs principes d'équité, prendre en considération la force de ces mêmes preuves, par l'impossibilité où se trouvent les informans de les compléter d'une manière plus satisfaisante.
«Indépendamment de la réunion des conjectures, qui vient d'être établie par ce qui précède, nous croyons être encore à même de prouver que Touquin d'Oddo et ses descendans remontent sans nul doute à Buonaparte gibellin, ainsi que nous l'avons déjà avancé plusieurs fois. Nos conjectures sont d'autant plus fondées, que nous trouvons dans un ancien registre de la famille des exposans, du commencement de l'année 1518, avant l'érection de la principauté, à la page 20, une note dont copie authentique se trouvera à la suite de la présente instruction. La vérité qui jaillit de cette note émane d'une personne respectable; elle a eu lieu également dans un temps non suspect; il faut donc en conclure que ce document mérite la plus grande confiance, quoiqu'il ne soit an surplus qu'un complément des preuves de noblesse que nous sommes en état de donner. Il faut en conclure également que cette même noblesse est établie et confirmée par probabilités ou vraisemblances qui peuvent être rangées au nombre des choses légales et authentiques. Ces probabilités, outre les raisons précédemment alléguées, dérivent incontestablement de trouver réunis, à la même époque et dans le même grade, d'une part, le colonel messire Jacopo di Giorgio, jusqu'à Buonaparte gibellin, et de l'autre, notre colonel Giovanni di Jaccopo jusqu'au même Buonaparte: En suivant même la proportion des temps, il ne paraîtrait pas impossible que lesdits Jacopo et Gio soyent tous les deux descendans du même Buonaparte, et cette probabilité, disons plus, cette vérité, se fortifie par l'apparition seule des personnes, qui, ayant lieu dans le même temps, leur fait assigner avec beaucoup de vraisemblance une origine commune. «Mais quand même cette noble origine ne serait pas établie, comme elle l'est, n'y a-t-il pas lieu de reconnaître, en passant a l'examen de la seconde proposition, que la famille Buonaparte se trouve liée aux familles les plus considérées de Florence, en ligne directe. Son séjour ancien et habituel dans cette dernière ville, ses armoiries, en un mot, c'est-à-dire le râteau rouge avec la fleur de lys d'or, armoiries données aux familles nobles par le roi Charles Ier, ainsi que la croix du peuple florentin, dont elle est depuis long-temps en possession, sont des preuves de sa noblesse qui attestent même qu'elle remonte au temps des gibellins. «A la vérité, les marques de noblesse données par le peuple ne s'accordèrent qu'aux familles d'un rang élevé, et le plus souvent, comme chacun le sait, à celles des mêmes familles qui s'empressèrent d'abjurer le parti des gibellins pour acquérir de la popularité. Quelques-uns des nôtres ont fait cette abjuration au moment même où ils recevaient les armoiries,. d'autres, depuis la décapitation du susdit Leonardi. «Privée des honneurs populaires, cette famille s'est considérée comme déchue de sa grandeur, et fut en butte à toutes sortes de mauvais traitemens, jusqu'à l'érection de la principauté. Alors seulement, voulant ne pas laisser perdre une illustration justement acquise, elle a relevé pour elle-même des faits qui avaient été tenus secrets, non pas tant, peut-être, pour en dissiper l'odieux que pour prouver qu'elle ne renonçait pas à ses droits, comme l'ont fait nombre d'autres familles,