LE MILITAIRE.
Vous donner aux Espagnols!!... Nous ne vous en donnerons pas le temps.
LE MARSEILLAIS.
On les signale tous les jours devant nos ports.
LE NIMOIS.
Pour voir lequel des fédérés ou de la montagne tient pour la république, cette menace seule me suffit; la montagne a été un moment la plus faible, la commotion paraissait générale. A-t-elle cependant jamais parlé d'appeler les ennemis? Ne savez-vous pas que c'est un combat à mort que celui des patriotes et des despotes de l'Europe? Si donc vous espérez des secours de leur part, c'est que vos meneurs ont de bonnes raisons pour en être accueillis, mais j'ai encore trop bonne opinion de votre peuple, pour croire que vous soyez les plus forts à Marseille dans l'exécution d'un si lâche projet.
LE MILITAIRE.
Pensez-vous que vous feriez un grand tort à la république, et que votre menace soit bien effrayante? Évaluons-la.
Les Espagnols n'ont point de troupes de débarquement, leurs vaisseaux ne peuvent pas entrer dans votre port: si vous appeliez les Espagnols, ça pourrait être utile à vos meneurs pour se sauver avec une partie de leur fortune; mais l'indignation serait générale dans toute la république; vous auriez 60,000 hommes sur les bras avant huit jours, les Espagnols emporteraient de Marseille ce qu'ils pourraient, et il en resterait encore assez pour enrichir les vainqueurs.
Si les Espagnols avaient 30 ou 40,000 hommes sur leur flotte, tout prêts à pouvoir débarquer, votre menace serait effrayante; mais, aujourd'hui, elle n'est que ridicule, elle ne ferait que hâter votre ruine.
LE FABRICANT DE MONTPELLIER.
Si vous étiez capables d'une telle bassesse, il ne faudrait pas laisser pierre sur pierre dans votre superbe cité, il faudrait que d'ici à un mois le voyageur, passant sur vos ruines, vous crût détruits depuis cent ans.
LE MILITAIRE.
Croyez-moi, Marseillais, secouez le joug du petit nombre de scélérats qui vous conduisent à la contre-révolution; rétablissez vos autorités constituées; acceptez la constitution; rendez la liberté aux représentans; qu'ils aillent à Paris intercéder pour vous; vous avez été égarés, il n'est pas nouveau que le peuple le soit par un petit nombre de conspirateurs et d'intrigans; de tout temps la facilité et l'ignorance de la multitude ont été la cause de la plupart des guerres civiles.
LE MARSEILLAIS.
Eh! monsieur, qui peut faire le bien à Marseille? Seront-ce les réfugiés qui nous arrivent de tous les côtés du département? Ils sont intéressés à agir en désespérés. Seront-ce ceux qui nous gouvernent? Ne sont-ils pas dans le même cas? Sera-ce le peuple? Une partie ne connaît pas sa position, elle est aveuglée et fanatisée; l'autre partie est désarmée, suspectée, humiliée; je vois donc, avec une profonde affliction, des malheurs sans remède.
LE MILITAIRE.
Vous voilà enfin raisonnable; pourquoi une pareille révolution ne s'opérerait-elle pas sur un grand nombre de vos concitoyens qui sont trompés et de bonne foi? Alors Albitte, qui ne peut que vouloir épargner le sang français, vous enverra quelque homme loyal et habile; l'on sera d'accord; et, sans s'arrêter un seul moment, l'armée ira sous les murs de Perpignan faire danser la carmagnole à l'Espagnol enorgueilli de quelques succès, et Marseille sera toujours le centre de gravité de la liberté, ce sera seulement quelques feuillets qu'il faudra arracher à son histoire.
Cet heureux pronostic nous remit en humeur, le Marseillais nous paya de bon coeur plusieurs bouteilles de vin de Champagne, qui dissipèrent entièrement les soucis et les sollicitudes. Nous allâmes nous coucher à deux heures du matin, nous donnant rendez-vous au déjeuner du lendemain, où le Marseillais avait encore bien des doutes à proposer, et moi bien des vérités intéressantes à lui apprendre.
29 juillet 1793.
4 Lisle, petite ville du département de Vaucluse, à 4 lieues à l'est Avignon, avant résisté à l'armée de Cartaux, fut emportée de force le 26 juillet 1793.
GÉNÉALOGIE DE NAPOLÉON BONAPARTE.
En 1752, le grand-duc de Toscane ayant voulu réformer les abus qui se glissaient dans l'usurpation des titres de noblesse, établit une commission chargée de la vérification de ces titres et de leur enregistrement.
La famille des Buonaparte, ou Bonaparte5 déchue de son ancienne splendeur, exilée de Florence à la suite des troubles qui agitèrent l'Italie dans le douzième siècle, présenta une requête au chapitre de l'ordre de Saint-Étienne, pour obtenir son classement parmi les grands de Florence.
C'est cette requête, accompagnée de pièces authentiques à l'appui, qui nous a fourni les renseignemens dont nous offrons aujourd'hui un extrait succinct.
Le premier des membres de cette famille, dont le souvenir se soit conservé, Nicolas Bonaparte, attaché au parti des gibellins, fut compris dans la proscription qui les frappa, et banni de Florence en 1268, après avoir vu confisquer tous ses biens. Il se réfugia avec ses enfans à San-Miniato.
En 1441, un descendant du même Bonaparte, Leonardo Antonio Mocci, également gibellin, fut arrêté a Florence, accusé de haute trahison et décapité. Un registre déposé dans les archives de San-Miniato, et contenant l'état des biens confisqués aux rebelles, renferme le détail de ceux appartenant à Leonardo, et dont le tiers fut déclaré appartenir à son fils.
Depuis cette époque, plusieurs Bonaparte ont rempli avec distinction des fonctions élevées dans l'état militaire, la magistrature, et l'église, à Pisé, à Lucques, à Florence. L'enquête faite en août 1752, et présentée par le capitaine Nicolas Bonaparte, tant en son nom qu'en celui de ses enfans et de ses autres parens, nous a paru devoir occuper une place dans ce recueil; elle renferme une analyse historique des documens sur lesquels cette famille établissait ses prétentions. Nous en donnerons une traduction littérale.
Enquête pour le capitaine Bonaparte, fils et consorts.
«Illustrissimes seigneurs,
«Plusieurs raisons concluantes tendent à établir que la famille des exposans était placée dans un rang élevé et distingué de la ville de Florence; elle est regardée comme descendant de Buonaparte gibellin, porté, ainsi que ses fils, (al libro del chiodo), avec l'emploi de capitaine. La même famille était regardée comme jouissant du rang de grand de Florence, et fut reconnue judiciairement pour appartenir aux ordres nobles.
«Pour prouver qu'elle tire son origine du susdit Buonaparte, exilé avec ses fils en 1268, comme gibellin, du territoire de notre ville, nous employerons les raisons détaillées ci-après:
«1°. Notre premier raisonnement est que, Buonaparte gibellin, exilé en 1268 du territoire florentin, s'est réfugié avec quelques-uns de ses fils à San-Miniato, où dominait le parti gibellin, et que de lui sont descendus messire Jacopo, fils de messire Georgio di Jacopo de Buonaparti, résidant à San-Miniato, quartier de Poggighiti; qu'ils furent faits nobles, ainsi qu'il appert de l'admission des preuves par les seigneurs illustrissimes, et considérés comme descendans dudit messire Jacopo, fils de Giorgio, et aussi comme provenant dudit Buonaparte gibellin.
«En admettant cette première vérité, qu'ils descendent de messire Jacopo, fils de Giorgio, il en résulte deux conséquences: l'une, que ladite famille descendante de Buonaparte était noble à San-Miniato; l'autre, que cette ville était devenue sa véritable patrie. Si donc l'on reconnaît ces deux titres dans la famille