Une Pupille Genante. Dombre Roger. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dombre Roger
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066085711
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Simiès rêva quelques minutes en regardant sélever dans lair la fumée bleue de son londrès, puis Mme Dutel vint le trouver, ayant à lui demander quelques ordres relatifs au dîner du soir.

      A propos, Monsieur, ajouta-t-elle sur le point de séloigner et revenant sur ses pas, pour quel jour faut-il préparer le trousseau de Mlle Gilberte?

      Le trousseau de Mlle Gilberte? répéta Simiès étonné.

       Pourquoi faire, le préparer?

      Et pour la pension donc? Monsieur oublie quelle y entre

       le mois prochain.

      Ah! cest vrai, ma bonne Dutel, jai négligé de vous

       prévenir que jai changé didée.

      Lenfant va rester ici?

      Oui, répliqua la vieillard un peu embarrassé, le médecin la trouve délicate et…

      Cest-à-dire que Monsieur la trouve amusante à présent quelle a le diable au corps. Moi je ne suis pas de cet avis; est-ce que ce matin je nai pas rencontré Néro coiffé de mon plus beau bonnet; Monsieur pense-t-il que cest agréable des choses comme ça?

      Elle a fait cela?… Ah! jaurais voulu voir Néro ainsi accoutré! sécria Simiès en se tordant de rire; ah! ah! ah! la gamine a des inspirations aussi originales?

      Dabord, continua Mme Dutel très piquée, je ne suis pas entrée dans la maison de Monsieur pour y être bonne denfant, et…

      Quà cela ne tienne, sortez-en, ma bonne Dutel, sortez-en. Je naurai plus besoin de vous, dailleurs, car je vais donner une institutrice à ma nièce.

      Alors Monsieur me renvoie? demanda la femme de charge qui

       étouffait de colère à lidée de perdre une si belle place.

      Nullement; mais vous paraissez si affligée de ce que je

       garde chez moi lenfant de mon neveu…

      Moi affligée? Dieu garde! Monsieur me connaît bien peu:

       jadore les petites filles.

      Alors tout est pour le mieux; soignez Gilberte et montrez- vous complaisante avec elle: vous naurez pas lieu de vous en repentir.

      Rassurée, Mme Dutel quitta la chambre et murmura en séloignant:

      "Tu mets ça sur le compte de la santé de la gamine, vieille cervelle détraquée, mais tu trouves à présent du plaisir à voir jouer lenfant; ça va aller comme ça jusqu'à la fin de lété; puis si, passé cette époque, elle te gêne ou te lasse, tu sauras bien la coffrer sous un prétexte quelconque. Qui vivra verra."

      Puis elle annonça à Gilberte la décision de son oncle; la fillette ne manifesta aucun étonnement.

      Je le savais, répondit-elle tranquillement; jai dit à mon

       oncle quil me déplairait de vivre au pensionnat.

      Voilà quelle le mène déjà par le bout du nez!… sécria Mme Dutel en levant ses grands bras au ciel. Quest-ce que ça sera alors dans un an ou deux?

      VI

      Ainsi fut modifiée lexistence de Gilberte Mauduit: lenfant douce, pieuse et soumise devint une petite fille indomptée, incroyante et capricieuse. Mais Simiès laimait ainsi.

      Elle avait en germe dans sa petite âme beaucoup de qualités exquises: il les étouffa; elle avait aussi beaucoup de défauts, non grossiers ni vulgaires, mais dangereux pour cette jeune nature; Simiès les développa.

      Il avait, nous le savons, un système à lui pour léducation des jeunes filles.

      "Cest un vautour couvant une aiglonne", disaient ses amis amusés de voir le vieux Simiès transformé en père de famille.

      Ce vautour devait arriver promptement à ses fins et extirper de ce petit cur aimant toute idée religieuse.

      Je te préfère telle que tu es maintenant à ce que tu tes montrée en marrivant, cest-à-dire guindée et ridicule, lui disait le vieillard en caressant la joue satinée de Gilberte. Vois-tu, être si sage et si posée, cest bon pour les petites de Carcanne. Ces nobles, entichés de dévotion, sont assommants: on dit que leurs enfants sont des anges; or cest absurde dêtre un ange.

      Puis, souriant en voyant Gilberte lui échapper pour esquisser une gambade:

      De ce côté-là je nai plus rien à craindre avec toi: je

       tai façonnée à mon goût en peu de temps.

      Cependant elles sont bien gentilles et bien complaisantes, les petites de Carcanne, répondit Gilberte en revenant à son oncle un peu essoufflée par ses exercices gymnastiques.

      Je te laccorde; mais aimerais-tu, toi, à leur ressembler? Elles ne savent que chanter des cantiques ou réciter des poésies où ciel rime avec fiel.

      Cest vrai; et puis elles se sont scandalisées lautre jour parce que, jouant au croquet, jai manqué mon coup et crié: "Sapristi!" et puis parce que je fredonnais la chanson que vous mavez apprise, vous savez bien, mon oncle?

      Et Gilberte chantonna de sa petite voix claire:

      Cétait pendant lhorreur dune profonde nuit,

       On eût dit que Racine davance leût prédit;

       Quatre millions de singes, pères, mères et fils,

       Savançaient à pas lents, chantant De profundis,

       Sur lair du tra la la la…

      Aussi, reprit lenfant, boudeuse à ce ressouvenir, Mlle Maudrey, leur institutrice, ma ordonné de me taire, comme si elle avait le droit de me faire des observations. Je ne laime pas, Mlle Maudrey.

      Tu préfères ta fräulen Frida, nest-ce pas? Tu en fais tout ce que tu veux.

      Oh! Fräulen, répliqua Gilberte, allongeant ses fines lèvres roses dans une moue dédaigneuse, je ne laime pas non plus.

      Que lui reproches-tu donc? De ne pas assez te gâter, peut- être?

      Ce nest pas cela. Je la trouve trop… trop…

      Eh bien?

      Trop souple avec moi et trop obséquieuse avec vous!

       sécria la fillette toute rouge dindignation.

      La supporterais-tu mieux si elle timposait ses volontés

       avec fermeté, Gilberte?

      Qui sait?… murmura lenfant songeuse.

      "Mais, reprit-elle, pour en revenir aux petites de Carcanne dont nous parlions tout à lheure, au fond jai de lamitié pour elles, car elles ont bon cur et ne disent de mal de personne."

      Gilberte, par bonheur, avait un sentiment droit, un jugement sain que ne pouvait dénaturer tout à fait le malheureux Simiès.

      Aussi, après avoir jeté sa pointe à ladresse de ses petites compagnes de jeux, sempressait-elle de témoigner de leurs bonnes qualités.

      Gilberte grandissait donc entre cet athée intelligent, mais horriblement dévoyé, et une gouvernante qui lui enseignait fort bien lallemand, langlais, litalien et la géographie, mais fort mal ce que tout enfant doit savoir touchant la vérité et la justice.

      Gilberte apprenait vite et retenait ce quelle apprenait; son oncle lui donna les meilleurs professeurs pour le piano, le chant, le dessin, léquitation, etc. Il se chargea de la philosophie et de lhistoire; aussi fit-il de sa nièce une libre penseuse comme il lavait désiré, dailleurs.

      De plus, la fillette jouait du billard assez habilement ainsi quau lawn-tennis et au cricket; elle montait tous les chevaux de lécurie des Marnes et conduisait four in hand, ce qui, pour Simiès et ses amis, était le comble de la bonne éducation; enfin elle dansait à ravir et navait pas sa pareille dans les sauteries ou les matinées