Le dangereux jeune homme. Boylesve René. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Boylesve René
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066085544
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personnellement, non.

      —Eh bien! j'ai l'honneur de vous informer que le goût fondamental, exclusif, de madame des Gaudrées, à part celui qu'elle avait pour son triste mari, était la pêche à la ligne.

      —Oh!

      —Vous êtes dépisté. Je continue. Ce goût me fut révélé au cours du premier repas. Il fallait bien que la conversation tombât sur les passe-temps ordinaires que l'on pouvait s'offrir au manoir. Là, le vicomte d'Espluchard dit familièrement:

      «—Les patrons pêchent à la ligne, les invités font ce qu'ils peuvent.»

      » Et madame des Gaudrées la vieille mère, et la vieille fille mademoiselle des Gaudrées, jetèrent un coup d'œil attendri sur le couple qui, tout le long des jours, prenait en commun un plaisir innocent. J'avais cru tout d'abord qu'il s'agissait d'une plaisanterie; mais je me souvins qu'antérieurement à son mariage, cet animal de des Gaudrées m'avait un jour confié, au milieu d'une conversation sur les préoccupations politiques et sociales, que, «quant à lui, il se fichait de tout, pourvu qu'il pût s'asseoir sur la berge d'une rivière poissonneuse». Le bandit avait eu la veine non seulement d'épouser une femme jolie et amoureuse, mais une femme possédée du même étrange fanatisme que lui!

      » Vous ne direz pas que c'était comédie, attitude destinée à nous donner le change: pendant la quinzaine que je passai au manoir, notre admirable Hélène pêcha à la ligne à côté de son mari, et seule à côté de son mari; elle pêcha à la ligne le matin et l'après-midi sans relâche. Le couple était à la pêche quand nous descendions prendre notre premier déjeuner, le matin. Il nous quittait après le repas de midi pour aller à la pêche. Il ne se laissait revoir de nous qu'à la tombée du jour. Rappelez-vous que la jeune madame des Gaudrées m'était apparue dans son petit parterre, une longue canne à la main: c'était un bambou divisé en trois fragments s'avalant l'un l'autre: une magnifique canne à pêche.

      —Et que faisait, s'il vous plaît, le vicomte d'Espluchard?

      —Le vicomte d'Espluchard fut tout bonnement mon grand secours. Le vicomte d'Espluchard, ainsi que je vous l'ai dit, possédait une automobile, et son bonheur consistait à faire des randonnées par toute la région. Il m'offrit une place à côté de lui, dès le premier jour. Parfois il emmenait galamment la vieille mère et sa fille. Ces dames le bénissaient.

      —Ah! dit Bernereau, et le soir, dites-moi un peu, que faisiez-vous au manoir?

      —Le vicomte était aussi bon musicien qu'homme de sport. La vieille fille, chose curieuse, jouait du violon de façon remarquable. Tous deux nous exécutaient des sonates.

      —Les amoureux, durant ce concert, ne vous gênaient-ils plus?

      —Ils ne nous gênaient pas, en effet. Des Gaudrées se prétendait sourd à tout instrument; il sortait; il allait, disait-il, se dégourdir les jambes dans le parc. Vous pensez: il était assis depuis le petit matin «sur la berge de la rivière poissonneuse!»

      —Et sa femme?

      —Sa femme l'accompagnait.

      —Ah!

      —Madame des Gaudrées, mère, disait:

      «—Nous avons connu Hélène jeune fille; elle adorait la musique...

      «—Et aimait-elle la pêche à la ligne? demandai-je.

      «—Elle n'y avait jamais songé, me répondit en souriant la vieille dame.»

      —Ah! ah! fit Bernereau.

      —Qu'avez-vous à faire: «Ah!» et «Ah ah!», Bernereau?

      —Moi? je marque, simplement.

      —Mais, observa M. de Soucelles, quand donc aperceviez-vous la belle madame des Gaudrées de qui vous vous êtes dit si entiché?

      —Hélas! nous ne la voyions guère qu'aux repas, un peu avant, parfois, et aussi un peu après, et puis le dimanche à la messe. Son mari était fort pieux.

      —Et elle?

      —Elle l'était devenue.

      —Ah! ah! ah!

      —Bernereau!

      —Je marque, mon bon ami, je marque.

      —En quoi vous importe ce détail? Ce n'est pas la première fois qu'une femme embrasse en même temps que l'homme qu'elle aime tout ce que celui-ci peut aimer!

      —Ce n'est pas la première fois; mais, dans le cas présent, cela m'intéresse.

      —A votre aise, Bernereau! J'en reviens à la question posée par M. de Soucelles et qui correspond à ce qui, moi, m'intéressait le plus dans l'affaire: effectivement, nous voyions trop peu Hélène des Gaudrées. Mais, soit aux repas, soit ailleurs, quand elle ne regardait pas son mari, la voir, seulement la voir, était, je l'avoue, un délice. Le son de sa voix aussi m'enchantait; ses formes me remplissaient d'admiration; et il n'y avait pas jusqu'à son regard, même avili par l'usage qu'elle en faisait, qui ne me causât un sombre ravissement...

      —Le cousin sportif, lui, à tout cela, était indifférent?

      —Vous devinez qu'au cours de nos nombreuses sorties en voiture et de nos déjeuners dans les auberges, je n'allai point sans faire part à mon compagnon des attraits exercés sur moi par sa cousine. Il me dit:

      «—Vous êtes comme les freluquets qui bourdonnaient autour d'elle avant son mariage.

      «—Elle a dû être fort courtisée?

      «—Énormément!

      «—Comme vous dites cela! En seriez-vous étonné?

      «—Moi, me répondit le vicomte, ça m'a toujours paru drôle, vous comprenez, parce que j'ai joué avec elle gamine...»

      «Je suis convaincu que d'Espluchard était sincère.

      —Mais, sapristi! que faisait-il là?

      —Il était cousin. Il faisait là de l'automobile et de la musique comme il en eût fait ailleurs. Il jouait le rôle de boute-en-train. Et la vieille dame le favorisait. Fort bel homme, séduisant, il faisait fi de la galanterie. J'eusse voulu quelques mois d'intimité avec lui pour être autorisé à lui dire que la passion de sa cousine me semblait baroque et était irritante, mais, il me dit un jour, à propos d'une autre aventure amoureuse:

      «—Ces choses-là sont toujours risibles.»

      «Voilà quel était d'Espluchard. Si j'ajoute que mademoiselle des Gaudrées, trente ans passés et plus laide que son frère, était folle du personnage, cela ne vous offrira rien d'étonnant ni qui vous puisse captiver.

      —Si fait! s'écria Bernereau, et rien ne peut m'intéresser davantage.

      —Du diable si je comprends le jeu de Bernereau.

      —Qu'importe! Je marque. Allez, toujours.

      —Bernereau, observa M. de Soucelles, est un vieux chien de chasse. Il tient la piste. Laissons-le.

      —Le diable m'emporte, reprit M. Briçonnet, si j'ai désigné mes gens de façon qu'on les reconnaisse.

      —Ah! si vous les travestissez complètement, c'est malhonnête... Écoutez: vous nous jurez, sur l'honneur, que la jeune madame des Gaudrées était brune?

      —Je le jure, et je vois que cela vous chiffonne. Toutefois, je m'en vais vous conter une alerte qui va vous remplir de joie. Attention!... Une nuit, messieurs, une nuit d'été splendide...

      —Oh! oh! ah! ah!... firent les deux auditeurs.

      —Une nuit d'été splendide, chacun étant remonté en ses appartements, je ne pouvais me résigner à me coucher, tant le parc était beau sous la lune, et tant l'odeur des fleurs du parterre—qui ne rappelait, à cette heure, je ne