Le dangereux jeune homme. Boylesve René. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Boylesve René
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066085544
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bras, ses mollets, son dos et ses flancs avec la même innocente aisance que, jadis, en province, elle découvrait ses salières.

      Du marmot au vieux monsieur, tout le monde, à Mondésir, s'adonnait avec méthode à la culture physique; tout le monde se confiait au masseur aveugle comme au pédicure chinois; tout le monde aimait à affirmer qu'il buvait et mangeait rationnellement; tout le monde jouait au tennis, au golf, fréquentait les courses, était assidu au Stade de la Palestre, dansait à qui mieux mieux, montait à cheval, conduisait une auto, faisait en aéroplane des randonnées délicieuses et qui laissaient sur le pays entier l'odeur écœurante de l'huile de ricin.

      Au casino du lieu, c'était le délire. Une bande de négrillons échappés du Texas, ayant le diable au corps et, dans les globules du sang, le génie du rythme, formait un orchestre de cauchemar, au bruit duquel trépidaient sur leurs bases les colonnes mêmes de l'établissement. Enfants, fillettes, femmes et grand'mères, emportés par l'irrésistible puissance de la mesure bien frappée et par le cyclone de l'exemple, tournoyaient, se trémoussaient, piétinaient, se désarticulaient, agglutinés deux par deux, comme les feuilles d'or qu'unit jusque dans la rafale l'humidité des sous-bois.

      De tout cela, Robert s'accommodait; et, s'il adoptait la planète et le jeu nouveaux, il fallait le demander aux lettres adressées par lui en toute candeur aux vieux parents de Grenoble!

      Déjà ces bonnes gens avaient écrit à leur fille, alarmés au possible, et avaient adressé à Robert des sermons auxquels le jeune homme, occupé à jouer, ne comprenait rien, et qu'il ne cherchait même plus à déchiffrer.

      Mais M. Carré de la Tour disait à la sœur de Robert:

      —Ne t'ai-je pas avertie? Ton frère, en racontant au loin des choses pour lui neuves, fournit l'occasion d'interprétations erronées et fâcheuses. Il faut être bon joueur pour bien juger du jeu. Robert fait ses débuts... Gare à nous!...

      Il va de soi que, malgré une franche camaraderie avec toutes les jeunes filles, Robert en avait distingué une, qui était devenue son flirt. Il la trouvait admirable. S'il l'eût connue dans les montagnes du Dauphiné, il eût conçu pour elle une passion romanesque et souhaité de l'aimer éternellement, après s'être attaché à elle par les liens indissolubles du mariage. Mais, à Folleville, il n'avait pas le temps d'en penser si long. Pris dans un courant qu'il jugeait lui-même rapide, dès le lendemain de son arrivée il appelait cette jeune fille Gisèle, comme elle-même le nommait Robert; il marchait avec elle le long des rues, il nageait côte à côte avec elle, en maillot tout comme elle; et, écrivant à Grenoble, il parlait à ses parents de Gisèle, tout court; de telle sorte que ces bonnes gens, d'un autre monde, se demandaient ou si leur fils était fou, ou s'il ne s'était pas lié avec quelque créature de qui il était, par ailleurs, inconcevable qu'il les entretînt.

      Aussi en écrivirent-ils, de plus en plus inquiets, à leur fille qui, elle, avait déjà perdu tout penchant pessimiste et leur répondait: «Mais soyez donc tranquilles, la santé est excellente: tout va bien.»

      Cependant Robert s'était fait, à plusieurs reprises, remettre à sa place par Gisèle, à qui il parlait sans plus de retenue qu'il n'en employait en chacune de ses actions à Folleville.

      —Oh! Robert, lui disait-elle, parlez plutôt anglais!

      —Pourquoi? faisait Robert, ahuri.

      —Parce que, dans cette langue, au moins, vous ne connaissez pas tous les termes...

      Robert commençait à éprouver de l'embarras. Mais, comme sa nature n'était pas compliquée et que la fougue de son âge emportait tout le reste, il laissa sans vergogne s'envoler le reste, et demeura avec sa fougue.

      Nul n'imagine qu'à la villa Mondésir quelqu'un pût venir au secours d'un jeune homme incertain. A Mondésir, on parlait jeux, danses et sports. Cela remplit très bien les intervalles du temps pendant lesquels on se repose de la fatigue des sports. Et celui qui se fût avisé, dans la conversation, d'intercaler un terme d'ordre moral, eût été aussi antédiluvien que les parents de Grenoble.

      Aussi, l'innocent Robert ne crut-il manquer à aucune règle de sport, un soir, après avoir dansé à perdre haleine, en se présentant, comme il en avait le goût très net, à la porte de la chambre où couchait Gisèle. Il avait conservé son smoking.

      Il frappa.

      On répondit de l'intérieur, sans méfiance:

      —Entrez!

      Et il entra.

      Il n'eut pas le temps de remarquer si Gisèle était en train de faire sa toilette ou bien non; ou, plutôt, il s'aperçut qu'elle n'était pas éloignée de son pot à eau, car il reçut le contenu de celui-ci en plein visage. Et l'eau dégoulina, et inonda son beau plastron empesé et la soie des noirs revers.

      Gisèle se tordait de joie à le voir ainsi fait.

      —Mais, Gisèle, disait Robert, sous son eau, ce n'est pas gentil. Je croyais que vous m'aimiez!...

      —Possible, disait Gisèle, mais je n'aimerai certainement pas un loufoque! Allez, ouste! Vous ne voyez pas que vous mouillez tout chez moi?

      Robert ne comprenait pas plus son ridicule que son erreur:

      —Mais, enfin! disait-il. Je vous aime, moi! Et qu'ai-je fait?

      —Mon petit, vous avez fait ce qui ne se fait pas.

      Ah! pensa Robert, jeté dehors par un coup de poing conforme aux prescriptions de la méthode Hébert; il y a donc des choses qui ne se font pas?...

      La scène n'avait pas été sans produire quelque éclat, et des portes s'entr'ouvraient dans le corridor éclairé. On vit Robert, les cheveux trempés et lui ruisselant en mèches stupides sur les oreilles. On chuchotait, tout le long du couloir; on pouffait. Le malheureux eût voulu éviter plus que tous autres son beau-frère et sa sœur: ce fut sur eux qu'il tomba. Ils regagnaient, les derniers, leurs chambres. A cet aspect de lessive, le beau-frère eut tôt fait de deviner ce qui était advenu à Robert, et, comme sa femme allait s'attendrir, il lui fit:

      —Ça y est!... J'attendais cela. Je vois que ça s'est bien passé.

      —Mais, quoi donc?

      —Ton frérot vient de prendre sa leçon de choses. Il ne suffit pas d'être «nouveau jeu», il faut connaître les règles du jeu nouveau. Maintenant, il les sait!...

       Table des matières

       A Émile Henriot.

      A la Potinière d'une ville d'eaux, entre midi et une heure, trois messieurs se trouvèrent pressés, et, comme ils causaient là, ventre à ventre, ils convinrent d'aller déjeuner ensemble.

      Ils avaient passé la cinquantaine et modifié leur visage depuis peu, s'étant rasés à la manière des générations neuves et ayant rejeté vers l'occiput ce qu'il leur restait de cheveux grisonnants ou gris. Ils étaient nu-tête et en pantalon blanc.

      Ils convinrent d'aller déjeuner près de là, sous les arbres de l'auberge à la mode, entre une verte pelouse de la largeur d'un mouchoir et un orchestre excellent. Les automobiles passaient, bruissaient, empestaient; le vent d'est secouait tentes et parasols et rabattait la nappe sur les assiettes. Les trois messieurs, en léger costume d'été, s'installèrent fermement.

      De quoi parler, entre quinquagénaires, lorsqu'on mange bien et que le vacarme des machines, uni d'une façon paradoxale aux langueurs de la valse-hésitation, stupéfie vos pensées? De quoi parler, sinon de souvenirs?

      Remembrances gaillardes, aventures de régiment, de chemin de fer ou de chasse, l'écume de la mémoire, sont mises en commun tout d'abord; puis, à mesure que l'intimité naît en dépit du tintamarre,