Le dangereux jeune homme. Boylesve René. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Boylesve René
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066085544
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confidence, l'un des trois hommes, M. de Soucelles, leva la main comme un chef d'orchestre qui arrête net ses musiciens:

      —Messieurs, dit-il, nous glisserions trop vite à l'épanchement mensonger qui embellit une aventure dans le temps même que celle-ci prend consistance! Interdisons-nous de toucher à aucune affaire où nous ayons joué un rôle avantageux. Il faut à tout prix, si l'on veut bien dire, limiter son discours. Et que penseriez-vous, pour écarter les vantardises, de raconter exclusivement des mésaventures? Chacun de nous, que diable! connaît bien une femme qu'il ait un jour voulu attaquer, ou qu'il ait attaquée, et sans succès, s'étant heurté, comme dit mon fils, guerrier, «à un bec de gaz»!...

      —Ne reste que l'embarras du choix! dit modestement M. Bernereau.

      M. Briçonnet, le troisième, se souvint aussitôt d'avoir goûté un amer plaisir, au moins une fois, près d'une femme qu'il eût aimée plus qu'aucune, mais qui était éprise, à la folie, de son mari.

      —Oh! fit M. de Soucelles, s'il s'agit d'une amoureuse légitime, à vous l'honneur, ô Briçonnet: la mienne aimait son amant.

      —La mienne aussi, dit M. Bernereau.

       Table des matières

      M. Briçonnet laissa passer une soixante-chevaux à échappement libre, dont le bruit, sans proportion avec les capacités du tympan humain, étouffa le «Clair de lune» de Werther; et il allait entamer son histoire, quand trois automobiles, lancées à toute allure, et qui se voulaient distancer, déchirèrent l'atmosphère de leur impertinent klakson. Ces messieurs attendirent avec la résignation touchante des hommes de progrès, qui ont accepté une fois pour toutes les inconvénients de la vie moderne.

      Enfin il fut un instant possible d'écouter l'orchestre excellent que les clients de la célèbre auberge payaient cher, et alors M. Briçonnet commença:

      —Je jure de dire la vérité, toute la vérité, fit-il en levant la main, comme à la barre, mais je modifie les noms propres et la topographie.

      —Ce sera règle admise; opinèrent les deux autres; nous sommes, au moins en cela, de la vieille école, et nous observons quelque discrétion en racontant des histoires de femmes.

      —Je vous préviens que c'est une idylle, genre bien passé de mode. Si elle vous ennuie, interrompez-moi. Admettons que mon héroïne s'appelait... madame des Gaudrées. C'est le nom d'une ferme que j'ai possédée en Anjou. Je situe ma pastorale aux environs de Pont-l'Évêque. Messieurs, je fus, un des premiers, invité chez cette personne après son mariage avec un de mes camarades de collège. Nous nous traitions de camarades: Gaudrées était jadis entré en cinquième au lycée Henri IV, alors que j'y faisais, moi, ma philosophie; c'est vous dire que j'étais pour lui un ancien.

      —Et que, en cette qualité, vous étiez admis à vous chauffer aux rayons de la lune de miel...

      —Des Gaudrées, je vous en ai avertis, était un homme aimé.

      —Un vaurien, je parie?

      Pas même: un rien du tout. Mis à la porte du lycée, il avait, comme on dit, achevé ses études dans une boîte à bachot, rue Lhomond, à Paris, où il ne décrocha, d'ailleurs, jamais aucun bachot. Il possédait une terre en Normandie; il était laid; il n'avait pas l'air plus intelligent qu'il ne l'était. Une jeune fille, belle comme une fée, se toqua de lui lors de la première visite qu'il fit, une fois de retour en sa province. Comme il lui racontait, en parfaite bonne foi, ses échecs universitaires, et qu'il ajoutait: «Je m'en bats l'œil», il paraît que la demoiselle avait estimé cette singulière expression spirituelle au possible, et le jeune blackboulé irrésistible. Qui ne sait, en effet, que de beaucoup moins que rien naissent parfois les très grandes amours?

      »Le vieux manoir des Gaudrées reçut bientôt là plus ravissante châtelaine qu'eussent contenue jamais ses murailles élevées sous Louis XIII, s'il vous plaît.

      —Ah! vous nous avez avertis que vous défiguriez les lieux; ne trichez pas, je vous prie!

      —Je change les noms et me promène à ma guise sur la carte de France, entendu. C'est bien dans une gentilhommière déjà construite au temps de Mansard et de Le Nôtre que j'arrivai, par une soirée d'août de... de quelle année?... Hé! hé! il s'en est bien écoulé plus de vingt depuis lors!...

      »L'heureux mari vint me prendre à une petite gare au moyen d'une automobile, véhicule encore rare à l'époque, et en compagnie d'un parent à qui cette merveille appartenait. Je n'avais pas encore l'honneur de connaître madame des Gaudrées. Je l'aperçus de la grille du parc, avant que j'eusse mis pied à terre. Elle se promenait dans l'allée d'un parterre fleuri formant tapis devant la demeure, et elle tenait une haute canne à la main;

      »—Ah! sapristoche! m'écriai-je.

      »—Qu'as-tu? me demanda mon hôte.

      »—Mais, mon vieux, ta femme est une beauté!

      »J'entends encore mon ancien camarade ricaner, d'un air fat:

      »—Croyais-tu, me dit-il, que j'avais épousé un laideron?

      »—C'est bien pourtant ce que tu méritais!...

      » Je vous ai dit que ce Gaudrées était laid et bête. Répondez-moi: croyez-vous que de tels hommes puissent être aimés?

      —Heu... heu! fit M. Bernereau, j'en ai connu de ce calibre qui ont été cocufiés royalement. Le mari, entre autres, à qui votre histoire me faisait penser soudain, et dont j'aurai sans doute à vous entretenir prochainement.

      —N'anticipons pas! s'écria M. de Soucelles. Si vous nous dites que votre Gaudrées fut aimé, nous le croyons, du moins provisoirement; le caprice des femmes est sans bornes, et j'ajouterai que c'est bien heureux pour la plupart d'entre nous.

      —Messieurs, je me vois approchant de cette idéale créature dans le petit parterre... J'entends crier le gravier sous mes semelles. Je sens l'odeur des buis à laquelle se mêlait celle d'œillets d'Inde fraîchement arrosés, et qui d'ordinaire ne me plaît pas du tout. Vous dirai-je que c'est un mélange qui, tout détestable qu'il soit demeuré pour ma narine, ne va jamais sans me faire, encore aujourd'hui, quasiment pâmer, par la nostalgie qu'il me communique de ce précieux instant...

      —Bref, vous êtes tombé amoureux de votre madame des Gaudrées avant de lui avoir baisé la main!

      —Amoureux?... Je ne sais. Il y avait ce sacripant qui me gênait, qui ricanait toujours, et de qui c'est elle qui était amoureuse!

      —Elle était amoureuse. Mais le saviez-vous déjà en posant le pied dans le petit parterre?

      —Si je le savais! si je le savais!... Laissez-moi parler. Pendant que j'entendais crier le gravier sous ma botte, pendant que je respirais l'odeur du buis et des œillets d'Inde, savez-vous ce qu'elle faisait, madame des Gaudrées?... Oui, oui, elle tournait vers nous son charmant visage? Oui, elle nous souriait? Évidemment, messieurs. Elle tournait son charmant visage vers lui, à lui seul elle souriait! Et ensuite elle se laissait par moi baiser la main? Elle m'adressait un petit mot d'accueil? Parbleu! elle savait vivre. Mais, aussitôt, elle se jetait, je dis, messieurs, «se jetait» à la tête de son époux, et elle l'embrassait, devant moi, de quelle manière? Cyniquement. J'aurais giflé ce misérable.

      —Elle l'embrassait, voyons! C'était d'une gentille femme!

      —Cyniquement! vous dis-je; je vous dis qu'elle l'embrassait cyniquement. Ce n'était pas en gentille femme, c'était en amante oublieuse de toute retenue.

      —En un mot, vous étiez jaloux!

      —Et cet imbécile de mari qui continuait de ricaner!... Je ne sus d'ailleurs pas me contenir. Je dis:

      «—Ah! de l'amour! Mais songez que