En effet, pour pouvoir attribuer à cette cause le penchant des Allemands pour le suicide, il ne suffit pas de constater qu'il est général en Allemagne; car cette généralité pourrait être due à la nature propre de la civilisation allemande. Mais il faudrait avoir démontré que ce penchant est lié à un état héréditaire de l'organisme allemand, que c'est un trait permanent du type, qui subsiste alors même que le milieu social est changé. C'est à cette seule condition que nous pourrons y voir un produit de la race. Cherchons donc si, en dehors de l'Allemagne, alors qu'il est associé à la vie d'autres peuples et acclimaté à des civilisations différentes, l'Allemand garde sa triste primauté.
L'Autriche nous offre, pour répondre à la question, une expérience toute faite. Les Allemands y sont mêlés, dans des proportions très différentes selon les provinces, à une population dont les origines ethniques sont tout autres. Voyons donc si leur présence a pour effet de faire hausser le chiffre des suicides. Le tableau VII (V. ci-dessous) indique pour chaque province, en même temps que le taux moyen des suicides pendant la période quinquennale 1872-77, l'importance numérique des éléments allemands. C'est d'après la nature des idiomes employés qu'on a fait la part des différentes races; quoique ce critère ne soit pas d'une exactitude absolue, c'est pourtant le plus sûr dont on puisse se servir.
Tableau VII
Comparaison des provinces autrichiennes au point de vue du suicide et de la race.
/* +————————————————+——————+———————————+ | | SUR 100 | TAUX DES SUICIDES | | | habitants | par million. | | | combien | | | |d'Allemands.| | +—————-+——————————+——————+—-+—————————+ | |Autriche inférieure.| 95,90 |254| | | Provinces +——————————+——————+—-+ | | |Autriche supérieure.| 100 |110| Moyenne | | purement +——————————+——————+—-+ | | | Salzbourg | 100 |120| 106. | |allemandes.+——————————+——————+—-+ | | | Tyrol transalpin | 100 |88 | | +—————-+——————————+——————+—-+—————————+ | | Carinthie | 71,40 |92 | | |En majorité+——————————+——————+—-+ Moyenne | | | Styrie | 62,45 |94 | | |allemandes.+——————————+——————+—-+ 125. | | | Silésie | 53,37 |190| | +—————-+——————————+——————+—-+————+————-+ |À minorité | Bohême | 37,64 |158| | | | +——————————+——————+—-+ Moyenne| | | allemande | Moravie | 26,33 |136| | | | +——————————+——————+—-+ 140. | | |importante.| Bukovine | 9,06 |128| |Moyennes | +—————-+——————————+——————+—-+————+ | | | Galicie | 2,72 |82 | | des | | +——————————+——————+—-+ | | |À minorité | Tyrol cisalpin | 190 |88 | |2 groupes| | +——————————+——————+—-+ | | | allemande | Littoral | 1,62 |38 | | 86. | | +——————————+——————+—-+ | | | faible. | Carniole | 6,20 |46 | | | | +——————————+——————+—-+ | | | | Dalmatie | ——- |14 | | | +——————————————————————————————————+ */
Il nous est impossible d'apercevoir dans ce tableau, que nous empruntons à Morselli lui-même, la moindre trace de l'influence allemande. La Bohême, la Moravie et la Bukovine qui comprennent seulement de 37 à 9 % d'Allemands ont une moyenne de suicides (140) supérieure à celle de la Styrie, de la Carinthie et de la Silésie (125) où les Allemands sont pourtant en grande majorité. De même, ces derniers pays, où se trouve pourtant une importante minorité de Slaves, dépassent, pour ce qui regarde le suicide, les trois seules provinces où la population est tout entière allemande, la Haute-Autriche, le Salzbourg et le Tyrol transalpin. Il est vrai que l'Autriche inférieure donne beaucoup plus de suicides que les autres régions; mais l'avance qu'elle a sur ce point ne saurait être attribuée à la présence d'éléments allemands, puisque ceux-ci sont plus nombreux dans la Haute-Autriche, le Salzbourg et le Tyrol transalpin où l'on se tue deux ou trois fois moins. La vraie cause de ce chiffre élevé, c'est que l'Autriche inférieure a pour chef-lieu Vienne qui, comme toutes les capitales, compte tous les ans un nombre énorme de suicides; en 1876, il s'en commettait 320 par million d'habitants. Il faut donc se garder d'attribuer à la race ce qui provient de la grande ville. Inversement, si le Littoral, la Carniole et la Dalmatie ont si peu de suicides, ce n'est pas l'absence d'Allemands qui en est cause; car, dans le Tyrol cisalpin, en Galicie, où pourtant il n'y a pas plus d'Allemands, il y a de deux à cinq fois plus de morts volontaires. Si même on calcule le taux moyen des suicides pour l'ensemble des huit provinces à minorité allemande, on arrive au chiffre de 86, c'est-à-dire autant que dans le Tyrol transalpin, où il n'y a que des Allemands, et plus que dans la Carinthie et dans la Styrie où ils sont en très grand nombre. Ainsi, quand l'Allemand et le Slave vivent dans le même milieu social, leur tendance au suicide est sensiblement la même. Par conséquent, la différence qu'on observe entre eux quand les circonstances sont autres, ne tient pas à la race.
Il en est de même de celle que nous avons signalée entre l'Allemand et le Latin. En Suisse, nous trouvons ces deux races en présence. Quinze cantons sont allemands soit en totalité, soit en partie. La moyenne des suicides y est de 186 (année 1876). Cinq sont en majorité français (Valais, Fribourg, Neufchâtel, Genève, Vaud). La moyenne des suicides y est de 255. Celui de ces cantons où il s'en commet le moins, le Valais (10 pour 1 million) se trouve être justement celui où il y a le plus d'Allemands (319 sur 1,000 habitants); au contraire, Neufchâtel, Genève et Vaud, où la population est presque tout entière latine, ont respectivement 486, 321, 371 suicides.
Pour permettre au facteur ethnique de mieux manifester son influence si elle existe, nous avons cherché à éliminer le facteur religieux qui pourrait la masquer. Pour cela, nous avons comparé les cantons allemands aux cantons français de même confession. Les résultats de ce calcul n'ont fait que confirmer les précédents:
Cantons suisses.
/* +——————————-+—————-+——————————-+——————+ |Catholiques allemands|87 suicides|Protestants allemands|293 suicides| +——————————-+—————-+——————————-+——————+ | —— français |83 —— | —— français |456 ——— | +——————————-+—————-+——————————-+——————+ */
D'un côté, il n'y a pas d'écart sensible entre les deux races; de l'autre, ce sont les Français qui ont la supériorité.
Les faits concordent donc à démontrer que, si les Allemands se tuent plus, que les autres peuples, la cause n'en, est pas au sang qui coule dans leurs veines, mais à la civilisation au sein de laquelle ils sont élevés. Cependant, parmi les preuves qu'a données Morselli pour établir l'influence de la race, il en est une qui, au premier abord, pourrait passer pour plus concluante. Le peuple français résulte du mélange de deux races principales, les Celtes et les Kymris, qui, dès l'origine, se distinguaient l'une de l'autre par la taille. Dès l'époque de Jules César, les Kymris étaient connus pour leur haute stature. Aussi est-ce d'après la taille des habitants que Broca a pu déterminer de quelle manière ces deux races sont