VIII
A qui donc sommes-nous? Qui nous a? qui nous mène?
Vautour fatalité, tiens-tu la race humaine?
Oh! parlez, cieux vermeils,
L'âme sans fond tient-elle aux étoiles sans nombre?
Chaque rayon d'en haut est-il un fil de l'ombre
Liant l'homme aux soleils?
Est-ce qu'en nos esprits, que l'ombre a pour repaires,
Nous allons voir rentrer les songes de nos pères?
Destin, lugubre assaut!
O vivants, serions-nous l'objet d'une dispute?
L'un veut-il notre gloire, et l'autre notre chute?
Combien sont-ils là-haut?
Jadis, au fond du ciel, aux yeux du mage sombre,
Deux joueurs effrayants apparaissaient dans l'ombre.
Qui craindre? qui prier?
Les Manès frissonnants, les pâles Zoroastres
Voyaient deux grandes mains qui déplaçaient les astres
Sur le noir échiquier.
Songe horrible! le bien, le mal, de cette voûte
Pendent-ils sur nos fronts? Dieu, tire-moi du doute
O sphinx, dis-moi le mot!
Cet affreux rêve pèse à nos yeux qui sommeillent,
Noirs vivants! heureux ceux qui tout à coup s'éveillent
Et meurent en sursaut!
Villequier, 4 septembre 1845.
IX
O souvenirs! printemps! aurore!
Doux rayon triste et réchauffant!
--Lorsqu'elle était petite encore,
Que sa soeur était tout enfant...--
Connaissez-vous sur la colline
Qui joint Montlignon à Saint-Leu,
Une terrasse qui s'incline
Entre un bois sombre et le ciel bleu?
C'est là que nous vivions.--Pénètre,
Mon coeur, dans ce passé charmant!--
Je l'entendais sous ma fenêtre
Jouer le matin doucement.
Elle courait dans la rosée,
Sans bruit, de peur de m'éveiller;
Moi, je n'ouvrais pas ma croisée,
De peur de la faire envoler.
Ses frères riaient...--Aube pure!
Tout chantait sous ces frais berceaux,
Ma famille avec la nature,
Mes enfants avec les oiseaux!--
Je toussais, on devenait brave;
Elle montait à petits pas,
Et me disait d'un air très-grave:
«J'ai laissé les enfants en bas.»
Qu'elle fût bien ou mal coiffée,
Que mon coeur fût triste ou joyeux,
Je l'admirais. C'était ma fée,
Et le doux astre de mes yeux!
Nous jouions toute la journée.
O jeux charmants! chers entretiens!
Le soir, comme elle était l'aînée,
Elle me disait: «Père, viens!
«Nous allons t'apporter ta chaise,
Conte-nous une histoire, dis!»--
Et je voyais rayonner d'aise
Tous ces regards du paradis.
Alors, prodiguant les carnages,
J'inventais un conte profond
Dont je trouvais les personnages
Parmi les ombres du plafond.
Toujours, ces quatre douces têtes
Riaient, comme à cet âge on rit,
De voir d'affreux géants très-bêtes
Vaincus par des nains pleins d'esprit.
J'étais l'Arioste et l'Homère
D'un poëme éclos d'un seul jet;
Pendant que je parlais, leur mère
Les regardait rire, et songeait.
Leur aïeul, qui lisait dans l'ombre,
Sur eux parfois levait les yeux,
Et, moi, par la fenêtre sombre
J'entrevoyais un coin des cieux!
Villequier, 4 septembre 1846.
X
Pendant que le marin, qui calcule et qui doute,
Demande son chemin aux constellations;
Pendant que le berger, l'oeil plein de visions,
Cherche au milieu des bois son étoile et sa route;
Pendant que l'astronome, inondé de rayons,
Pèse un globe à travers des millions de lieues,
Moi, je cherche autre chose en ce ciel vaste et pur.
Mais que ce saphir sombre est un abîme obscur!
On ne peut distinguer, la nuit, les robes bleues
Des anges frissonnants qui glissent dans l'azur.
Avril 1847.
XI
On vit, on parle, on a le ciel et les nuages
Sur la tête; on se plaît aux livres des vieux sages;
On lit Virgile et Dante; on va joyeusement
En voiture publique à quelque endroit charmant,
En riant aux éclats de l'auberge et du gîte;
Le regard d'une femme en passant vous agite;
On aime, on est aimé, bonheur qui manque