– C’est précisément ce que je désirais vous demander. J’ai vécu sous tant de noms différents que j’ai fini par oublier le mien. Je ne m’y reconnais plus.
– Donc, refus de répondre.
– Oui.
– Et pourquoi ?
– Parce que.
– C’est un parti pris ?
– Oui. Je vous l’ai dit ; votre enquête ne compte pas. Je vous ai donné hier mission d’en faire une qui m’intéresse. J’en attends le résultat.
– Et moi, s’écria M. Formerie, je vous ai dit hier que je ne croyais pas un traître mot de votre histoire de Steinweg, et que je ne m’en occuperais pas.
– Alors, pourquoi, hier, après notre entrevue, vous êtes-vous rendu villa Dupont et avez-vous, en compagnie du sieur Weber, fouillé minutieusement le numéro 29 ?
– Comment savez-vous ?… fit le juge d’instruction, assez vexé.
– Par les journaux…
– Ah ! Vous lisez les journaux !
– Il faut bien se tenir au courant.
– J’ai, en effet, par acquit de conscience, visité cette maison, sommairement et sans y attacher la moindre importance…
– Vous y attachez, au contraire, tant d’importance, et vous accomplissez la mission dont je vous ai chargé avec un rôle si digne d’éloges, que, à l’heure actuelle, le sous-chef de la Sûreté est en train de perquisitionner là-bas.
M. Formerie sembla médusé. Il balbutia :
– Quelle invention ! Nous avons, M. Weber et moi, bien d’autres chats à fouetter.
À ce moment, un huissier entra et dit quelques mots à l’oreille de M. Formerie.
– Qu’il entre ! s’écria celui-ci… qu’il entre !…
Et se précipitant :
– Eh bien ! Monsieur Weber, quoi de nouveau ? Vous avez trouvé cet homme…
Il ne prenait même pas la peine de dissimuler, tant il avait hâte de savoir.
Le sous-chef de la Sûreté répondit :
– Rien.
– Ah ! Vous êtes sûr ?
– J’affirme qu’il n’y a personne dans cette maison, ni vivant ni mort.
– Cependant…
– C’est ainsi, monsieur le juge d’instruction.
Ils semblaient déçus tous les deux, comme si la conviction de Lupin les avait gagnés à leur tour.
– Vous voyez, Lupin… dit M. Formerie, d’un ton de regret.
Et il ajouta :
– Tout ce que nous pouvons supposer, c’est que le vieux Steinweg, après avoir été enfermé là, n’y est plus.
Lupin déclara :
– Avant-hier matin il y était encore.
– Et, à cinq heures du soir, mes hommes occupaient l’immeuble, nota M. Weber.
– Il faudrait donc admettre, conclut M. Formerie, qu’il a été enlevé l’après-midi.
– Non, dit Lupin.
– Vous croyez ?
Hommage naïf à la clairvoyance de Lupin, que cette question instinctive du juge d’instruction, que cette sorte de soumission anticipée à tout ce que l’adversaire décréterait.
– Je fais plus que de le croire, affirma Lupin de la façon la plus nette ; il est matériellement impossible que le sieur Steinweg ait été libéré à ce moment. Steinweg est au numéro 29 de la villa Dupont.
M. Weber leva les bras au plafond.
– Mais c’est de la démence ! Puisque j’en arrive ! Puisque j’ai fouillé chacune des chambres !… Un homme ne se cache pas comme une pièce de cent sous.
– Alors, que faire ? gémit M. Formerie…
– Que faire, monsieur le juge d’instruction ? riposta Lupin. C’est bien simple. Monter en voiture et me mener avec toutes les précautions qu’il vous plaira de prendre, au 29 de la villa Dupont. Il est une heure. À trois heures, j’aurai découvert Steinweg.
L’offre était précise, impérieuse, exigeante. Les deux magistrats subirent le poids de cette volonté formidable. M. Formerie regarda M. Weber. Après tout, pourquoi pas ? Qu’est-ce qui s’opposait à cette épreuve ?
– Qu’en pensez-vous, monsieur Weber ?
– Peuh !… je ne sais pas trop.
– Oui, mais cependant… s’il s’agit de la vie d’un homme…
– évidemment, formula le sous-chef qui commençait à réfléchir.
La porte s’ouvrit. Un huissier apporta une lettre que M. Formerie décacheta et où il lut ces mots :
« Défiez-vous. Si Lupin entre dans la maison de la villa Dupont, il en sortira libre. Son évasion est préparée. – L. M. »
M. Formerie devint blême. Le péril auquel il venait d’échapper l’épouvantait. Une fois de plus. Lupin s’était joué de lui. Steinweg n’existait pas.
Tout bas, M. Formerie marmotta des actions de grâces. Sans le miracle de cette lettre anonyme, il était perdu, déshonoré.
– Assez pour aujourd’hui, dit-il. Nous reprendrons l’interrogatoire demain. Gardes, que l’on reconduise le détenu à la Santé.
Lupin ne broncha pas. Il se dit que le coup provenait de L’Autre. Il se dit qu’il y avait vingt chances contre une pour que le sauvetage de Steinweg ne pût être opéré maintenant, mais que, somme toute, il restait cette vingt et unième chance et qu’il n’y avait aucune raison pour que lui, Lupin, se désespérât.
Il prononça donc simplement :
– Monsieur le juge d’instruction, je vous donne rendez-vous demain matin à dix heures, au 29 de la villa Dupont.
– Vous êtes fou ! Mais puisque je ne veux pas !…
– Moi, je veux, cela suffit. À demain dix heures. Soyez exact.
– 4 –
Comme les autres fois, dès sa rentrée en cellule. Lupin se coucha, et tout en bâillant il songeait :
« Au fond, rien n’est plus pratique pour la conduite de mes affaires que cette existence. Chaque jour je donne le petit coup de pouce qui met en branle toute la machine, et je n’ai qu’à patienter jusqu’au lendemain. Les événements se produisent d’eux-mêmes. Quel repos pour un homme surmené ! »
Et, se tournant vers le mur :
« Steinweg, si tu tiens à la vie, ne meurs pas encore ! ! ! Je te demande un petit peu de bonne volonté. Fais comme moi : dors. »
Sauf à l’heure du repas, il dormit de nouveau jusqu’au matin. Ce ne fut que le bruit des serrures et des verrous qui le réveilla.
– Debout, lui dit le gardien ; habillez-vous… C’est pressé.
M. Weber et ses hommes le reçurent dans le couloir et l’amenèrent jusqu’au fiacre.
– Cocher, 29, villa Dupont, dit Lupin en montant… Et rapidement.
–