Les Portes de l'Enfer. Maurice Level. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Maurice Level
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066088637
Скачать книгу
1c-58ba-a195-aac99f8d61f6">

       Maurice Level

      Les Portes de l'Enfer

      Publié par Good Press, 2020

       [email protected]

      EAN 4064066088637

      Table des matières

       La première de couverture

       Page de titre

       Texte

      ======================================================================= ÉDITION DU «MONDE ILLUSTRÉ» 13, QUAI VOLTAIRE, 13. PARIS

      MAURICE LEVEL

      Les Portes De l'Enfer

      1910

      DU MÊME AUTEUR:

       L'Épouvante (Roman) 1 vol.

       L'Ombre (Roman) 1 vol.

      =======================================================================

      MAURICE LEVEL

      LES PORTES DE L'ENFER

      Sous la lumière rouge

      Assis dans un large fauteuil près de la cheminée, les coudes aux genoux, les mains tendues au feu, il parlait d'une voix lente, s'arrêtant brusquement pour murmurer: «Oui… oui…», comme s'il avait eu besoin de reconnaître ses souvenirs et d'approuver sa mémoire fatiguée, puis reprenait la phrase interrompue.

      Sur la table traînaient des papiers, des chiffons, des livres. La lampe éclairait mal; je ne voyais de lui que sa face un peu grise, et ses mains qui, sous la flamme du foyer, faisaient deux longues taches.

      Le ronron du chat roulé devant le feu, et le crépitement des bûches où dansaient d'étranges lueurs, troublaient seuls le silence. Il semblait parler de très loin, comme dans un rêve:

      —Oui… oui… Ce fut le grand, le plus grand malheur de ma vie. J'aurais pu supporter d'être réduit à la misère, de devenir infirme… tout… mais ça! Avoir vécu dix ans auprès d'une femme adorée, la voir disparaître, et rester seul, tout seul, devant l'avenir solitaire… C'est dur!… Il y aura six mois bientôt qu'elle est partie!… Que c'est long! et comme c'était court autrefois!… Encore, si je l'avais eue malade quelque temps, si l'on m'avait laissé comprendre!… C'est horrible à dire, mais quand on sait, n'est-ce pas, la raison se prépare… le coeur se vide peu à peu, et l'on s'habitue… tandis que là!…

      —Je croyais, lui dis-je, qu'elle avait été souffrante quelque temps?

      Il hocha la tête:

      —Du tout, du tout… Jamais les médecins ne purent me dire ce qu'elle avait eu… Elle a été emportée en deux jours. Depuis, je ne sais ni comment, ni pourquoi je vis. Tout le jour, je rôde dans les chambres, poursuivant un souvenir qui s'enfuit, m'imaginant qu'elle va m'apparaître derrière une tenture, qu'un peu de son odeur flotte encore parmi ces pièces inhabitées…

      Il étendit la main vers la table:

      —Hier, tiens, j'ai retrouvé cela… cette voilette, dans une de mes poches. Elle me l'avait confiée un soir, nous allions au théâtre, et il me semble qu'elle sent son parfum, qu'elle est encore tiède d'avoir effleuré son visage… Mais non! Tout s'en va: seul le chagrin demeure… Il y a bien quelque chose, mais ça!…

      Dans le premier moment de douleur, il vous vient parfois des idées extraordinaires… Croirais-tu que je l'ai photographiée sur son lit de mort! Dans cette pauvre chambre d'où son âme venait de partir, j'ai installé mon appareil, j'ai allumé du magnésium; enfin, à cette effroyable minute, j'ai fait avec un soin et des précautions méticuleuses, des choses qui me révoltent aujourd'hui… Malgré tout, quand j'y pense, je me dis qu'elle est là, que je pourrais la voir telle que je la vis pour la dernière fois!

      —Et, où as-tu ce portrait? demandai-je.

      Il s'avança un peu, et me répondit à mi-voix:

      —Je ne l'ai pas, ou plutôt, si… je l'ai… J'ai le cliché. Mais je ne me suis jamais senti le courage de le développer… Il est resté dans l'appareil… j'ai peur d'y toucher… Et pourtant! comme je voudrais, comme je voudrais!…

      Il posa sa main sur mon bras:

      —Ecoute: ce soir… ta présence… d'avoir parlé d'elle… je me sens mieux… je me sens fort… Veux-tu, viens avec moi dans mon laboratoire… Nous allons développer ce cliché?…

      Il interrogeait mon visage d'un regard anxieux d'enfant qui tremble qu'on lui refuse le jouet souhaité.

      —Soit, lui dis-je.

      Il se leva vivement.

      —Oui… avec toi, ce ne sera pas la même chose… avec toi, je serai plus calme… et cela me fera du bien… beaucoup de bien… tu verras…

      Nous entrâmes dans son laboratoire: un cabinet très sombre où des flacons étaient alignés sur des étagères. Une tablette chargée de cuvettes, de fioles et de livres, s'étendait d'un mur à l'autre.

      Il ne parlait pas, vérifiant les étiquettes des bouteilles, essuyant les cuvettes, et la lueur de la bougie qui tremblait faisait danser autour de lui des ombres.

      Il alluma une lanterne à verre rouge, éteignit sa bougie, et me dit:

      —Ferme la porte.

      Cette nuit déchirée par la lumière sanglante, avait quelque chose de dramatique. Des reflets inattendus s'accrochaient aux flancs des bouteilles, à ses joues sabrées de rides, à ses tempes creuses.

      Il dit:

      —La porte est bien fermée? Alors, je commence.

      Il ouvrit un châssis, et en tira le cliché. Il le prit avec soin, les doigts écartés, les pouces et les index posés aux angles, et le regarda longuement, comme si ses yeux avaient pu voir l'image endormie qui tout à l'heure allait s'éveiller.

      Il murmura:

      —Elle est là! C'est horrible!…

      Ensuite, lentement, il le laissa glisser dans le bain, et se mit à remuer la cuvette.

      Je ne sais pourquoi, mais il me sembla que la porcelaine frappant à intervalles réguliers la planchette, rendait un son bizarre et douloureux. Sous la lumière rouge, le liquide caressait la plaque dans un va-et-vient monotone: le bruit léger qu'il faisait le long des parois évoquait un bruit de sanglots, et je ne pouvais détacher mes yeux de ce carré de verre à la couleur laiteuse qui, peu à peu, se teintait de noir, vers les bords.

      Le bain, d'abord très clair, fonça insensiblement; bientôt, une tache apparut au milieu de la plaque, une tache qui, peu à peu, s'élargit, adoucie par endroits de nuances plus claires.

      Je regardai mon ami. Ses lèvres, agitées d'un tremblement, murmuraient d'inintelligibles paroles.

      Il retira le cliché, l'éleva à la hauteur de ses yeux, et, comme je me penchais sur son épaule, il parla:

      —Cela vient… doucement… Mon bain est trop faible… Mais ce n'est rien… Voici que les blancs apparaissent… Attends… tu vas voir…

      Il replaça la plaque, qui s'enfonça dans le liquide avec un bruit de ventouse qu'on tire.

      Elle