Dans ces circonstances, le procureur général, Nicolas Fouquet, qui s'était retiré près du roi presque aussitôt après le massacre de l'Hôtel de Ville, fut un des conseillers les plus actifs et les plus intelligents du cardinal. Il insista fortement pour qu'une ordonnance royale transférât le parlement dans une autre ville. Ce serait, disait-il, enlever aux frondeurs l'appui du premier corps de l'État et frapper de nullité les actes des conseillers restés à Paris. Ils ne seraient plus, s'ils persistaient dans leur opposition, qu'une troupe de factieux sans autorité légale. Nicolas Fouquet n'insistait pas moins vivement pour que la cour refusât de reconnaître la [T.I pag.129]nouvelle municipalité établie à l'Hôtel de Ville. Il n'y aurait plus alors que deux camps: d'un côté, le roi avec la majesté de l'autorité souveraine, que les frondeurs n'osaient pas rejeter ouvertement; et, de l'autre, des princes rebelles soutenus par une troupe de factieux. Le Mémoire dans lequel le procureur général développe ces idées est parvenu jusqu'à nous et prouve que Nicolas Fouquet contribua à donner à la politique du cardinal une direction plus ferme et plus intelligente.
Quant à l'abbé Fouquet, forcé de se tenir caché dans Paris, où régnait tyranniquement la faction des princes, il ne cessait d'entretenir des relations avec le cardinal, comme les lettres de Mazarin l'attestent[216]. Souvent même il bravait tous les périls pour se rendre près du cardinal et lui porter les avis et les propositions de ses partisans. Ainsi les deux frères persistaient dans le rôle qu'ils avaient habilement rempli depuis le commencement de la Fronde; ils restèrent les soutiens zélés et énergiques d'une cause qui semblait alors gravement compromise.[T.I pag.130]
CHAPITRE VIII
—JUILLET-AOÛT 1652.—
Mémoire adressé par Nicolas Fouquet au cardinal Mazarin sur la conduite que la cour doit tenir (14 juillet): il expose le danger de la situation et la nécessité de prendre des mesures pour annuler les actes du parlement et de l'Hôtel de Ville, dominés par la faction des princes.—Il propose de publier un manifeste au nom du roi pour montrer la mauvaise foi des princes, qui, après avoir demandé et obtenu l'éloignement de Mazarin, refusent de déposer les armes et appellent les ennemis dans l'intérieur de la France.—Il faut exiger que les princes envoient immédiatement leurs députés à Saint-Denis pour traiter avec la cour, et en attendant retenir dans cette ville les députés du parlement.—Nécessité de transférer le parlement hors de Paris et moyen de gagner une partie de ses membres.—Faute que l'on a commise en ne s'opposant pas à la réception de Rohan-Chabot en qualité de duc et pair par le parlement.—Lettre de Nicolas Fouquet, en date du 15 juillet: il explique pourquoi les députés du parlement ne peuvent se rendre à Saint-Denis.—Nécessité d'envoyer promptement des ordres au parlement et de prendre une décision pour ou contre le départ du cardinal Mazarin.—Indication des moyens à employer pour faire venir à Pontoise un certain nombre de conseillers du parlement.—Arrêts du conseil du roi, en date du 18 juillet et du 31 du même mois, qui annulent les élections de l'Hôtel de Ville et transfèrent le parlement de Paris à Pontoise.—Projet de déclaration contre ceux qui n'obéiront pas aux ordres du roi.—Lettre de Nicolas Fouquet à ses substituts pour les mander à Pontoise.—Circulaire du même aux divers parlements de France.—Pamphlets publiés à Paris contre la translation du parlement.—Le parlement de Pontoise s'ouvre le 7 août 1652, et demande l'éloignement de Mazarin.
Le 14 juillet, Nicolas Fouquet, qui se trouvait alors à Argenteuil avec les députés du parlement de Paris,[T.I pag.131] adressa au cardinal un Mémoire sur la conduite à tenir avec le parlement et les frondeurs. Il était informé de ce qui s'était passé la veille à la séance du parlement; il savait que la majorité de ce corps était disposée à voter l'union avec les princes; que l'on proposerait de nommer le duc d'Orléans lieutenant général du royaume et le prince de Condé généralissime des armées, enfin d'établir un conseil de gouvernement. Il fallait se hâter de frapper de nullité de pareils actes, qui eussent détruit l'autorité royale. Ce fut dans ce but qu'il rédigea son Mémoire, et l'envoya à un des familiers de Mazarin en lui recommandant de le mettre sous les yeux du cardinal. Nicolas Fouquet commençait par exposer le danger de la situation: «La plupart de ceux qui sont à la cour, disait-il, aussi bien que ceux de Paris, voyant toutes les affaires dans l'irrésolution et dans l'incertitude, se ménagent des deux côtés, ne sachant pas ce que les affaires deviendront; ce qui ne serait pas ainsi si les résolutions étaient certaines et assurées de façon ou d'autre; et alors les sentiments du roi agiraient avec plus de vigueur. Nous apprenons de Paris que, nonobstant la réponse du roi, il y eut hier plusieurs avis dans le parlement à faire l'union du parlement avec les princes et les peuples, et d'écrire à tous les autres parlements et à toutes les villes. Nous savons que l'on propose de faire un garde des sceaux, et qu'il y a des gens de condition qui désirent cet emploi. Le nouveau prévôt des marchands[217] ordonne des fortifications et des[T.I pag.132] levées, et peut-être au premier jour parlera-t-on de faire un régent et de déclarer le roi prisonnier. Toutes les négociations et irrésolutions fortifient ce parti, et il est certain que, tant qu'on flatte les peuples, on les aigrit, et ils croient qu'on les appréhende, de sorte qu'il est nécessaire ou de s'accommoder avec M. le Prince en prenant des sûretés pour le retour[218], et ce bien promptement, ou bien d'agir avec vigueur, et que chacun sache que le roi veut devenir le maître et rétablir son autorité.
«Les plus intelligents mandent que le calme est maintenant dans Paris pour ce qu'ils ont tout ce qui leur fait besoin, et que les auteurs des séditions sont les maîtres et feront ce qu'il leur plaira.
«La journée de mardi[219] est à craindre, et, si on n'est pas d'accord, il est à propos de prévenir les résolutions qui se prendront ce jour-là par un parlement et un corps de ville, qui demeurent toujours dans l'approbation du roi[220], puisqu'il n'a encore rien paru de contraire. Si l'on veut donc se déterminer, il faut dresser une lettre de cachet en forme de manifeste pour faire connaître aux habitants de Paris et à toutes les villes des provinces le juste sujet que le roi a de se plaindre des princes et de ceux de leur parti, lesquels ayant témoigné ne désirer autre[T.I pag.133] chose jusqu'à présent qu'une assurance de l'éloignement de M. le cardinal Mazarin, dans la pensée qu'ils avaient que le roi ne se relâcherait pas et n'accorderait pas à ses sujets une demande de cette qualité; néanmoins Sa Majesté ayant voulu donner cette marque de sa bonté et de son affection à ses peuples pour faire cesser les prétextes, les princes ne veulent plus exécuter ce qu'ils ont promis; au contraire, ils ont pris de nouvelles liaisons avec les ennemis qu'ils attirent au dedans du royaume[221], et veulent que le roi ait entièrement exécuté de sa part ce qu'ils souhaitent avant que se mettre en devoir de donner aucun ordre pour l'exécution de leurs paroles. Ce qui fait assez connaître leurs intentions; partant il faut exhorter à la fidélité et à secourir le roi.
«Si on envoie un écrit de cette qualité pour prévenir les lettres circulaires qui seront écrites au premier jour, il n'en faut pas faire l'adresse au corps de ville de Paris pour ne le pas approuver; au contraire, il est bon d'exagérer ce qui s'est passé dans Paris pour parvenir à ce changement[222]. On peut aussi adresser au parlement[T.I pag.134] quelque chose de semblable, et, dès à présent, faire réponse aux députés par écrit, conforme à ce que dessus, et leur dire que le roi écrira à son parlement; qu'ils aient au