...Étant dans leurs familles
Avec leurs femmes et leurs filles,
Ils ne disaient parmi les pots
Que mots de guerre à tous propos:
Bombarde, canon, couleuvrine,
Demi-lune, rempart, courtine...
Et d'autres tels mots triomphants,
Qui faisaient peur à leurs enfants.
Avec de pareils soldats, Condé ne pouvait espérer soutenir son ancienne gloire militaire. Quant à sa véritable armée, elle était bloquée à Étampes et vivement pressée par Turenne. Dans cette situation critique, il s'adressa à un prince étranger, Charles IV, duc de Lorraine, beau frère du duc d'Orléans. Charles de Lorraine, dépouillé depuis longtemps de ses États par Richelieu, menait la vie errante d'un aventurier à la tête[T.I pag.97] d'une petite armée, composée de vieux et bons soldats. Il s'empressa de répondre à l'appel des princes, s'avança jusqu'à Lagny, à la tête de huit cents hommes[157], y fit camper ses troupes, et se rendit lui-même à Paris (1er juin). Il trouva sur la route le duc d'Orléans et le prince de Condé, qui étaient venus jusqu'au Bourget pour le recevoir. A Paris, le peuple manifesta la joie la plus vive de l'arrivée de ce belliqueux auxiliaire. Sur le pont neuf, ce n'étaient que mousquetades en l'honneur des Lorrains[158]. Le bon peuple de Paris ne se doutait guère du caractère des alliés qu'il fêtait. Le duc de Lorraine, habitué depuis longues années à la vie des camps, affichait dans sa conduite et dans ses paroles un cynisme effronté. Il cachait, sous une légèreté moqueuse, l'ambition et l'avidité d'un chef de mercenaires; se jouait de sa parole et négociait avec Mazarin en même temps qu'avec les princes. Ses soldats, habitués aux horreurs de la guerre de Trente-Ans, étaient des pillards impitoyables[159], et il ne fallut pas longtemps au peuple des campagnes pour en faire la triste expérience.
Quant au duc, on prit d'abord ses façons brusques et libres pour la franchise originale d'un soldat. Les dames surtout s'y laissèrent séduire[160]. Le duc de Lorraine logea au palais du Luxembourg, qu'habitaient son beau-frère et sa sœur, Gaston d'Orléans et Marguerite de Lorraine. Après quelques jours donnés aux plaisirs,[T.I pag.98] les princes voulurent aller au secours d'Étampes; mais leur allié prenait tout sur un ton de raillerie, chantait et se mettait à danser, «de sorte, dit mademoiselle de Montpensier[161], que l'on était contraint de rire.» Le duc d'Orléans l'ayant envoyé chercher un jour que le cardinal de Retz était dans son cabinet, et voulant lui parler d'affaires, il répondit: «Avec les prêtres, il faut prier Dieu; que l'on me donne un chapelet[162].» Quelque temps après arrivèrent mesdames de Chevreuse et de Montbazon, renommées par leur beauté et leur galanterie. Comme on tenta encore de parler de choses sérieuses, le duc de Lorraine prit une guitare, et leur dit: «Dansons, mesdames; cela vous convient mieux que de parler d'affaires[163].» Pour échapper aux instances de mademoiselle de Montpensier, il affectait un amour passionné pour madame de Frontenac, une des maréchales de camp de la princesse.
Cette apparence de frivolité couvrait, comme nous l'avons dit, beaucoup de finesse, d'astuce et même de duplicité. Le duc de Lorraine n'avait pas tardé à voir où était la force réelle. Du côté des princes, il n'y avait que divisions. Gaston d'Orléans était jaloux du prince de Condé; la duchesse d'Orléans détestait sa belle-fille, mademoiselle de Montpensier, et servait le parti de la cour. Au contraire, la cause royale, dirigée par Mazarin, présentait plus d'unité dans les vues, et des espérances[T.I pag.99] plus solides. La personne qui servit, dans cette circonstance, à gagner complétement Charles IV fut madame de Chevreuse; depuis près d'une année, elle s'était ralliée à la cause royale et la servait avec zèle et habileté. Elle était entourée de Mazarins; Laigues, qui la gouvernait à cette époque ([164]), était dévoué au cardinal, et l'abbé Fouquet, qui s'était introduit dans son intimité, exerçait un grand empire sur mademoiselle de Chevreuse, Charlotte de Lorraine([165]). Madame de Chevreuse obtint d'abord que le duc, bien loin de marcher en toute hâte au secours d'Étampes, traînerait en longueur. Dès le 4 juin, l'abbé Fouquet en avertit Mazarin: «Madame de Chevreuse a tiré parole de M. de Lorraine qu'il serait six jours dans sa marche; qu'après-demain il séjournerait tout le jour, et qu'aujourd'hui il ne ferait partir de Lagny que la moitié de son armée, quoiqu'il lui fût aisé de faire partir le tout. Si dans l'intervalle on pouvait achever l'affaire d'Étampes (s'en emparer), il en serait ravi, car il est tout à fait dans les intérêts de la reine. Mais, si on ne le peut en ce temps-là, il pense qu'il sera aisé de faire une proposition pour la paix générale de concert avec lui, et il s'engage à servir la reine comme elle le pourra souhaiter. Madame de Chevreuse dit qu'il serait bon que [T.I pag.100]la reine l'en remerciât par écrit. Elle pense que, si l'on envoyait Laigues avec une résolution certaine sur Vie et Moyenvie (places que réclamait le duc de Lorraine), on aurait contentement; il est nécessaire de donner une réponse précise au plus tôt. Il faut que Votre Éminence, si elle veut songer à cette affaire, fasse témoigner à M. de Lorraine qu'elle servira ses enfants. C'est là tout son désir. Il serait bon que Votre Éminence écrivit à madame de Chevreuse pour la remercier. Elle a gagné deux jours sur l'esprit de M. de Lorraine.» Cette lettre confidentielle prouve que le cardinal de Retz, qui parle dans ses Mémoires de la négociation de madame de Chevreuse ([166]), n'en connaissait pas les détails. Il est vrai qu'il avoue qu'à cette époque il ne fréquentait plus guère l'hôtel de Chevreuse, et il laisse percer, malgré lui, son dépit de n'avoir été «du secret ni de la mère ni de la fille ([167]).» Mazarin s'empressa de profiter de l'ouverture de l'abbé Fouquet, et la lettre qu'il adressa à madame de Chevreuse prouve quel cas il faisait de ses services: «Le sieur de Laigues, lui écrivait-il le 5 juin, vous dira toutes choses pour ce qui regarde les affaires générales. A quoi je n'ajouterai rien; mais je ne puis m'empêcher de vous témoigner moi-même par ces lignes la satisfaction que j'ai de tout ce que vous avez fait avec M. de Lorraine. Je n'ai point douté que vous ne fissiez plus d'impression que personne sur son esprit; je suis ravi de vous voir entièrement disposée pour le service du roi, et pour mon intérêt particulier. J'espère une bonne[T.I pag.101] suite de cette négociation, et qu'elle se terminera avec beaucoup de gloire et d'avantage pour M. de Lorraine, avec le rétablissement du repos de la France, et peut-être de toute la chrétienté. Je vous prie de l'assurer bien expressément de la continuation de mon estime et de mon amitié, et de le remercier, de ma part, de tous les sentiments qu'il vous a déclaré si obligeamment avoir pour moi.»
L'ancien garde des sceaux, Châteauneuf, qui était toujours resté en relation avec madame de Chevreuse, fut chargé de régler les conditions du traité avec le duc de Lorraine. Tout fut terminé dès le lendemain 6 juin, et, le même jour, Châteauneuf écrivait à la reine: «M. de Lorraine est venu céans sur les dix heures, et nous sommes convenus des articles que j'envoie à Votre Majesté; ils sont à peu près selon l'intention de Sa Majesté et le pouvoir qu'Elle m'a donné. L'armée, qui est devant Étampes, peut tout tenter jusqu'à mardi, quatre heures du matin; car, encore que le jour du lundi[168] soit exprimé dans le traité, j'ai retiré de M. de Lorraine un écrit particulier que ce mot de lundi s'entend tout le jour, et il suffit que l'armée se retire le mardi à quatre heures du matin; ainsi elle a le lundi tout entier. Je n'ai fait la suspension d'armes que pour dix jours; et, si l'armée des princes sort d'Étampes, celle de Votre Majesté la peut suivre toujours à quatre lieues près. Si elle est suivie, elle est perdue en l'état qu'elle est, et, cela cédé, M. de Lorraine obligera les princes à[T.I pag.102] se soumettre à telles conditions qu'il plaira à Votre Majesté. Aussitôt que le siège d'Étampes sera levé, M. de Lorraine fait état d'aller saluer Vos Majestés, et leur proposer son entremise pour la paix d'Espagne et celle des princes. Après quoi, dit-il, il suppliera Vos Majestés de lui donner la sienne et le recevoir à votre service envers tous, excepté les Espagnols. Il m'a dit que jusqu'ici ni Monsieur ni M. le Prince ne savaient rien de ces articles; qu'il voulait sortir de Paris, et que de son camp il leur en donnerait part. Je doute de cela, et la suite nous le fera connaître. J'ai promis d'ici à demain, qui est le 7, de lui donner la ratification des articles, si Votre Majesté les a agréables.»
Ainsi,