le travail des conservateurs, des bibliothécaires, demeure fondamental, il élabore notre matériau et souvent en livre une analyse première dont on ne peut se passer. Le travail de la bibliographie mène à la sociologie des textes, et permet de faire converger la bibliographie matérielle et la théorie littéraire, l’analyse des formes expressives et celle des usages sociaux, culturels.45
En tout état de cause, le moment historiographique dont je viens d’essayer de dégager quelques caractéristiques concerne quantité de domaines où nos approches sont déjà confluentes et viennent illustrer la complémentarité des trois termes de la problématique de ce congrès : Littérature, Livre et Librairie. Ces domaines de confluence, très actuels, souvent internationaux, j’en aperçois avec satisfaction un large échantillon parmi les sessions qui ont structuré la manifestation. Pour ne prendre que quelques exemples, je relèverai, avec bien sûr une part d’arbitraire et dans un ordre d’apparition approximatif :
Tout d’abord, les questionnements toujours pertinents sur une géographie de l’édition littéraire qui n’a pas encore livré tous ses ressorts. On l’a évoqué à propos de Pierre Corneille : la centralisation de l’influx politique et du champ littéraire ne s’est pas nécessairement accompagnée d’une centralisation éditoriale ; les cas de Rouen, de Lyon, de Troyes et d’autres centres sont, de ce point de vue, emblématiques du paysage éditorial du XVIIe siècle. L’intégration nationale de la production littéraire semble en fait avoir précédé la centralisation de cette même production.
Le témoignage ou le non-témoignage des bibliothèques du XVIIe siècle sur la montée en puissance de la littérature, française ou étrangère, dans les collections.
La Bibliothèque bleue et la contribution (limitée mais riche d’enseignement) que lui apporte l’édition lyonnaise au XVIIe siècle.
La place de l’image dans le livre du XVIIe siècle, une problématique que l’histoire du livre a placée au premier plan de ses préoccupations – Henri-Jean Martin ayant prêché d’exemple – ce qui a permis de bousculer la vision abstraite que proposait l’histoire de l’art en « isolant les images comme les tableaux d’une galerie46 ».
Théâtre et librairie : cette thématique a suscité plusieurs sessions, à juste titre me semble-t-il, compte tenu, d’une part, de l’importance du genre théâtral dans la formation du champ littéraire au XVIIe siècle, et d’autre part, de la dynamique des recherches en ce domaine.
Les « intermédiaires de la publication » et leur rôle capital, eu égard aux contraintes matérielles, sociales, politiques et juridiques qui pèsent sur l’édition au XVIIe siècle en particulier.
Les modalités de la participation féminine à la vie du livre et de la littérature : femmes auteures (ou autrices), épistolières, salonnières, lectrices, mais aussi libraires et entrepreneuses – comme l’a bien montré Roméo Arbour en son temps47 – et cela grâce au statut qui est le leur dans les corporations de métiers du livre.
La place et le statut du manuscrit, inédit ou non : le continent du manuscrit intéresse depuis longtemps les historiens du livre et s’intègre à la problématique plus large d’une histoire de la culture écrite, illustrée notamment dans le cas de Lyon au XVIIe siècle par le travail en profondeur d’Anne Béroujon48. Les historiens du livre n’ont-ils pas tous dit et redit que le livre imprimé n’avait jamais été en position de monopole médiatique dans aucune société49 ?
Livre et religion : voilà une thématique qui réclame toute notre attention, car n’oublions pas qu’une grande part de la production littéraire du XVIIe siècle est religieuse, dévote et spirituelle en particulier, mais aussi pamphlétaire, voire romanesque (on pense à Jean-Pierre Camus) et, se situant dans l’élan de l’humanisme chrétien, a par conséquent une portée sociale grandissante. Entre autres jalons, la pionnière Histoire littéraire du sentiment religieux (Paris, Bloud et Gay, 1916-1936) de l’abbé Henri Bremond mérite d’être davantage revisitée et de profiter pleinement des avancées de l’histoire du livre comme de l’histoire du littéraire, sans que soit oubliée la problématique de la littérarisation du religieux.
Les périodiques, autre innovation majeure du XVIIe siècle, n’ont pas été oubliés. Leur enjeu n’est pas mince pour la représentation et la légitimation du littéraire puisque ce sont notamment des périodiques littéraires qui, dans la foulée de la Fronde, sont parvenus à entamer le monopole de la Gazette de Théophraste Renaudot.
La librairie en fiction : la collecte des figures de libraires et d’hommes ou de femmes du livre dans la littérature, déjà bien engagée, n’a pas encore épuisé le sujet. Mais le nuancier des discours des auteurs en dit long déjà sur le rôle central des professionnels du livre, devenus médiateurs obligés des auteurs vers le public et le succès.
Les mazarinades : on n’aura garde de les oublier non plus car elles correspondent, comme Christian Jouhaud et Hubert Carrier l’avaient démontré, chacun à sa manière dès les années 198050, à un moment unique de mobilisation de toutes les formes disponibles de littérature et de publication au service du débat politique.
Le concept de police du livre, mis au point par les historiens du livre précisément à l’usage des XVIIe et XVIIIe siècles, se révèle également fructueux pour l’étude du littéraire. L’empilement des institutions centralisées qui ont au XVIIe siècle à faire avec le champ littéraire, de la Grande Chancellerie et de la censure royale à la lieutenance générale de police de Paris, doit être compris comme la contrepartie du mécénat royal exclusif sur les lettres mis en place par la monarchie absolue. Il faut se féliciter du fait que soit à présent engagée une histoire sociale de ces institutions qui régissent la vie du livre et de la littérature.
Enfin, et on ne l’oublie évidemment pas, la bibliographie matérielle, mise au service de toutes nos recherches attentives aux objets et aux supports de la vie du livre et de la littérature. Sans