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Pas une âme ne fréquente la promenade. La fraîcheur de la rivière m’apporte une odeur d’eau douce. L’effluve se mêle au simple arôme de palmiers qui ornent les bords. La circulation est limitée. L’allée m’accueille toujours avec la pestilence de la bière renversée, de l’urine incrustée dans des coins insouciants, et des poteaux tachés de puanteur. J’accélère le pas en apercevant le nom du nouvel endroit annoncé en lettres cursives capitales. Un lieu de perdition, Seigneur, et dans ma ruelle préférée.
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Le marché soulève un tourbillon de senteurs. Les légumes et les herbes, les céréales et les crustacés, les aliments transformés et les fruits étalent un large éventail de sensations qui envahissent l’odorat. Je dirige mon corps pesant vers l’étal à épices. L’émanation âcre de la cannelle, du cumin, des clous de girofle, du poivre doux m’imprègne. Je paie pour les épices avec quelques pièces qu’Isaac, le vendeur, vieux garçon au visage charnu, reçoit avec un geste de sympathie.
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Je coupe le bar en tranches épaisses. Je les plonge d’abord dans l’eau, puis, après avoir nettoyé la chair, dans le citron et le sel. Je fais rissoler et je dispose les aliments sur une assiette en porcelaine. L’arôme est fort et appétissant, à tel point que Tomás a quitté son secteur de bataille quotidien pour venir à la cuisine me surveiller avec sa langue affamée pendue à mes pieds. Cela réfute peut-être mon scepticisme quant à sa capacité olfactive. Je mouds les boules de poivre, les bâtons de cannelle, les clous de girofle et le cumin. J’ajoute du vinaigre. Une larme coule dans mes yeux alors que je jette les oignons hachés avec leur odeur de douce acidité dans la poêle. J’incorpore le poisson avec un peu de xérès. Je couvre et je laisse mijoter.
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J’implore encore une fois le pardon divin. Je suis désolé d’avoir péché en pensée, en parole, par action et par omission. Seigneur, accueille ce pécheur suppliant pour retourner sur son chemin et sauve-le.
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Ils sont là, ils dansent de joie dans la putréfaction, fascinés par la débauche. La luxure se satisfait dans la boue de la jubilation charnelle et de la concupiscence. Les plaisirs malhonnêtes sont sublimés en poissons horribles, en coquilles abyssales, en boues de limon. Des chèvres, des dromadaires, des chevaux et des oiseaux avides de jouissance cautionnent la débauche. L’espace empeste le péché, la fornication. Ils corrompent l’environnement avec une peste qui émane du côté le plus sinistre de notre être. J’arrête de contempler le tableau et je me réserve quelques minutes pour me reposer avant l’appel des cloches.
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Je m’apprête à aller à la messe. Une énorme fatigue musculaire m’écrase. Je bois deux verres d’eau qui calment le rugissement de mon foie, ou du moins c’est ce que j’imagine ou plutôt ce que je souhaite. Je mets ma soutane. Je me sens plus pur.
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Le garçon me pose une question et je reste figé sur le moment. Cela m’oblige à reculer, je suis vaincu et je finis par basculer sur le canapé. Je l’encourage à s’asseoir à côté de moi. Il accepte. Il anticipe quand même un geste pour m’avertir de sa disposition à honorer son propos. Je caresse une mèche sur son front et je la glisse derrière son oreille, à la place qui est la sienne. Je perçois son regard plein d’attentes. J’essaie de ne pas le décevoir. Je lui dis que Dieu est un être bon et miséricordieux. Je lui dis que nous ne pouvons pas le rencontrer physiquement ni l’imaginer avec un profil anatomique dont nous avons l’habitude. Mais cette invocation de la catéchèse ne satisfait pas sa curiosité. Je reste fort. Je te dis la vérité, on doit aimer Dieu et ne pas prétendre le connaître. Il me dit, avec un air de défaite et de résignation, que Dieu est compliqué. Je n’ai que la vie pour respirer. Une douce odeur de musc imprègne mon nez au moment où je décolle l es fesses de l’armoire. Je l’appelle. Il se retourne avec un regard lumineux, ce regard qui m’encourage à le saisir par les joues et à satisfaire mes pulsions. Mais je sollicite l’aide du Seigneur, lui il peut tout faire. Avec une force renouvelée, je conduis alors le garçon dans ma chambre. Je lui indique de protéger le secret. Je lui révèle que je connais Dieu. Je le lui montre.
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Dieu n’est pas petit, même s’il peut en avoir l’air à l’œil nu. Il se tient éloigné pour avoir une plus grande perspective du monde, c’est tout. Son regard, nous le savons, est omniprésent. Assis sur son trône, sa tête est couronnée d’un diadème. Le livre sacré repose sur ses jambes. Une longue cape impériale protège son dos. Je peux le voir maintenant que le père Misael me montre cette peinture particulière. L’obscurité du tableau m’insuffle la peur. Cependant, je lui résiste. À l’horizon, Dieu se trouve derrière la brume qui encapsule le ciel dans le verre concave, et je le vois. Maintenant je le connais. Et je vois son sourire.
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Je me prépare à tomber dans le sommeil avec la pestilence parfumée de sa nuque. Nous avons prié ensemble, main dans la main. Nous avons demandé à Dieu de ne jamais nous écarter de son chemin, afin de nous attirer les bonnes grâces dans ses préceptes. L’environnement est chargé de quelque chose qui m’empêche de respirer normalement. Je sens la prémonition absurde d’être sur le point de sombrer dans un cauchemar dont je ne pourrai pas me réveiller. Dehors, la pluie a commencé à frapper, très douce.
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La matinée est froide. L’averse a rafraîchi l’atmosphère. J’ai dormi sereinement, en paix avec mon esprit. L’infinie miséricorde de Dieu m’a accueilli. Cela me rassure de savoir que les cauchemars ont cessé de m’infliger leur torture nocturne pour enfin m’accorder une trêve. Mon optimisme ne suffit pas à m’apporter la certitude de les avoir vaincus. Une partie de moi pressent que je vais remporter cette bataille contre le diable. Mais une autre partie, la plus fragile, me rappelle l’ampleur de mon échec. À chaque instant, mon esprit succombe à la tentation et chaque partie de mon corps enfreint cette loi qu’exige mon âme.
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J’ai décidé de prendre un bain. J’ai ressenti une sensation de souillure sur ma peau, non seulement à cause de la puanteur de mes aisselles chargées de la nuit, mais aussi à cause de la montagne de lubricité que je porte dans mes pensées. Avant de monter à l’autel, je dois être purifié. Cela me fera du bien de me rafraîchir un peu, alors je savonne mon corps. Je rince mon âme de même avec des prières.
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La saison d’hiver approche et les signes précurseurs chatouillent l’odorat. N’importe quel mortel peut s’en rendre compte, mais surtout les êtres les mieux habilités à de telles fins. Donc, contrairement à ce que pense l’ecclésiastique, Tomas le sait mieux que quiconque. Il reconnaît la nature étrangère de l’arôme éthéré qu’exsude le sol près de l’amandier. C’est pour ça qu’il délimite fréquemment son territoire. La saison estivale, déjà terminée, fait place à l’humidité élémentaire des cycles. La géosmine émerge et inonde l’air avec son éther. Les anciens affirmaient que le pétrichor coule dans le sang des dieux, qu’il est l’essence qui infusait dans leurs veines. Aujourd’hui, c’est tout juste un arôme saisissant. De temps en temps, alors que sa qualité insaisissable persiste, il provoque un léger inconfort. Il est si difficile de se rendre compte qu’il a été, et qu’il demeure à travers les temps immémoriaux, la vraie sueur de cette terre, sa pestilence révélée. Tomás le comprend. Son nez n’est pas usé au point de voir le monde dans l’indifférence. Il connaît bien les odeurs. Il a bien compris au cours de sa longue vie de chien. C’est pourquoi il cesse d’uriner sur l’amandier. Il se tient dans une posture mystique rare, déjà vaincu par les intempéries, sur les feuilles mouillées qui forment un matelas naturel. Son odorat a souligné la condition sacrée des saisons. Maintenant, enfin,