Architecture De La Prière. Diego Maenza. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Diego Maenza
Издательство: Tektime S.r.l.s.
Серия:
Жанр произведения: Драматургия
Год издания: 0
isbn: 9788835414285
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de personne d’autre. Cette solitude ne connaît ni fin ni interstice. Il reconnaît ne pas avoir de semblables. Le monde ne comprendrait pas. Il ne comprendra pas. Dieu, dans son infinie sagesse et avec son regard omniprésent, ne comprendrait pas. Il ne comprendra pas.

      LUNDI

      Prière et blasphème

      … Sanctificetur nomen tuum.

      La poitrine craque et un séisme miniature venu des bronches élargit la cage thoracique. Le tremblement germe dans les anneaux trachéaux où ronronne une réponse inconsciente et collective provoquée par des millions de bacilles avides de substances. Sur son passage, il provoque les convulsions du pharynx et du larynx. L’avalanche microscopique s’écoule et répand sa couronne. En chemin, elle provoque la trépidation de toute l’épiglotte. Le minuscule cyclone se répercute dans la membrane hypophysaire et répartit ses alluvions entre le nez et le palais, puis il déclenche une congestion inflammatoire dans l’explosion soudaine d’un ronflement.

      *

      J’ai passé toute la matinée en veillée. J’ai imploré la miséricorde du ciel. Le murmure de mes oraisons jaculatoires se mélangeait avec le vacarme de la respiration du garçon. Le bruit de sa poitrine enflammée m’incitait encore davantage la vigilance. J’appellerai le médecin à la première heure. Il dort allongé sur ma couche. Chaque fois que le désir de contempler son anatomie me submergeait, je me soumettais à une insulte stimulée par mon aspiration de demeurer enfant de Dieu. J’aspire à suivre les traces du prophète et j’aspire à ne pas céder d’un pouce à l’instigation du mal. Seigneur, je veux te servir et vaincre la velléité du diable. Je veux lui dire que l’homme ne vit pas uniquement de chair. Il essaie de me soumettre à la tentation, de m’éloigner de toi, ô, Père bien-aimé. Mais je me subordonnerai exclusivement à tes commandements.

      *

      Tomás lutte contre des ombres fictives. Il les invente. Parfois, pendant une matinée d’été ensoleillée, il poursuit des lézards. Ces vermines vandales se faufilent partout entre les murs de pierre du jardin, entre les crevasses de l’adobe dans l’arrière-cour, entre les fissures sur le bord des fenêtres. Elles sortent pour prendre un peu de soleil. Tomás les réprimande de sa vieille voix, dans un élan de gros grognements chargés de lenteur et avec parcimonie. Cependant, il lance très souvent des aboiements avec une énergie inhabituelle. Comme s’il cherchait à valider son autorité canine jadis dominante. Comme s’il souhaitait incarner l’esprit gardien d’un Cerbère à temps partiel à l’affût de ses faibles antagonistes et s’assurer que personne n’usurpe son royaume. En ce moment, il saute avec un courage soudain sorti de manière inexplicable de cette anatomie poussiéreuse. Il avertit la vermine. L’engeance a sûrement cherché refuge dans une branche du vieil amandier où l’animal exécute des pirouettes de traque tandis qu’il aboie et aboie. Mais dans son fantasme daltonien, exacerbé par son acuité olfactive usée, les démons qui le tourmentent sont souvent le fruit de son imagination fatiguée. Je l’observe et je me dis qu’après tout nous nous ressemblons assez. Nous succombons aux caprices de notre nature tels de simples animaux instinctifs. Seule notre âme nous sépare. Merci, mon Dieu, de nous avoir insufflé une âme.

      *

      J’ai célébré l’Eucharistie sans le garçon. Malgré la présence d’une main charitable pour répandre l’encens, l’expérience ne compense pas celle que je vis en sa présence. Ne pas le voir pendant quelques heures m’inflige un tourment plus grand encore que lorsqu’il est allongé tout près de ma peau.

      *

      Le verdict du médecin est arrêté. Un gros rhume anéantit les défenses du jeune homme, me dit-il d’une voix grave. Il esquisse le sourire de rigueur. Mais avec quelques jours de repos et une dose d’antalgiques assortis, il retrouvera sa santé. Nous marchons tous les deux vers la porte dont les charnières rouillées émettent un crissement. L’agression auditive provoque un sursaut instinctif. Après ce contretemps, le médecin se tourne solennellement, il baisse les yeux et me demande la bénédiction. Je dessine une croix en l’air à la hauteur de son visage, puis il se retire en saluant. Le garçon se rendort. Il inspire et expire avec difficulté. Je caresse son front pour apprécier la maladie. Mais je ne ressens que mon corps qui commence à trembler et une transpiration excessive évacuée par mes mains.

      *

      J’ai un peu travaillé au bureau et j’ai eu de courts entretiens, d’ailleurs peu inspirants, avec les paroissiens. Libéré de mes responsabilités, j’arpente le pavé de la promenade qui longe la berge jusqu’au petit hameau de la ville voisine. La brise me frappe et frotte avec un sifflement profond la boucle de ma coiffure. La fin de l’été soulève de beaux murmures. Les hirondelles amorcent l’exode annuel habituel vers l’ouest dans un pèlerinage qui ressemble beaucoup à des lamentations. Les autres oiseaux pendant ce temps se contentent de traverser la zone centrale du parc. Dans leur anarchie scatologique, ils en profitent pour décorer les voitures, les trottoirs, les places et les passants dans une fête excrémentielle sans précédent.

      En ce moment même, alors que je marche près du parc central, je perçois le chœur de gazouillis de ces petits oiseaux accrochés aux câbles électriques. Leur pépiement collectif gêné s’interrompt sur de brefs intervalles par le tonnerre des transports qui se déplacent sans répit sur l’avenue. Je continue ma promenade le long de la rue la plus discrète de cette bourgade aux prétentions citadines. Mon itinéraire imposé emprunte une petite rue piétonne chaque fois que je vais faire les courses. Tout ici respire la sérénité, sans bruit de moteur ni klaxons agaçants. Et soudain, le vacarme rugi de la salle de billard inaugurée quelques jours auparavant. Des insultes nuancées d’obscénités résonnent dans la bouche d’un jeune homme qui ne se laisse pas intimider par la robustesse de son ennemi. L’adversaire exhibe fièrement ses tatouages érotiques qui incitent à le cataloguer parmi les condamnés sortis d’une prison reculée. J’opte pour une retraite rapide et je tourne les talons. De dos aux hostilités, j’entends les coups secs secouer les viandes. Je débouche sur l’avenue principale. Je marche en essayant d’oublier le garçon. Ni l’agitation des voitures, ni les hurlements des conducteurs en colère avec leurs orteils enfoncés sur la pédale, ni la pluie de gazouillis qui tombe sur moi comme une faïence, ni le récent conflit de rue ne parviennent à éloigner mes pensées du jeune homme et à interrompre mon calvaire. J’essaie de me distraire et j’énonce une issue pacifique à la bagarre de la ruelle. J’atteins ma destination, mais sans avoir ébranlé l’énorme pierre qui me tourmente sur mes épaules.

      *

      Une explosion de bruits secoue le marché. Les cris imprègnent l’atmosphère encombrée de commerçants occupés à négocier les fruits, les légumes, les céréales. L’épicerie en général donne une touche d’euphorie typique des endroits bondés de gens ordinaires. Je vais dans le coin du poisson et je demande mon ravitaillement habituel du lundi. Père, le voici ! me dit Leandro, le commerçant qui me connaît depuis des années, et il enveloppe sans ménagement le poisson encore épileptique dans des feuilles de vieux journaux. En quittant le marché, j’entends les sirènes de police et leurs hurlements plaintifs, rejoindre les indiscrets qui se pressent sur les lieux de la scène pour satisfaire leur curiosité et juger de leurs propres yeux. En passant près de la rue de l’échauffourée, je peux voir les policiers enfouir la brute querelleuse finalement menottée dans la patrouille, non sans se heurter à une certaine résistance. Je ne retrouve aucune trace du jeune homme intrépide. Je m’éloigne et j’imagine encore une fois une conclusion de grande envergure à l’histoire de l’échauffourée. L’image du garçon me tombe dessus. Le souvenir du son de sa voix palpite dans mes tympans comme un orphéon d’anges. Je réalise que le blasphème dépasse les jurons du grand homme aux tatouages. Je récite quelques prières sur le chemin du retour.

      *

      Mme Salomé armée de son balai défile devant moi sans aucune inquiétude, toujours gardée par Tomás. Elle s’est habituée à ma présence sur le canapé.