C’était le moment de reprendre l’initiative, mais pour ce faire, il devait agir tout de suite.
« Lève-toi, » se dit-il à lui-même.
Il se remit sur pied, l’arme au poing et il reprit position dans le renfoncement. À deux mains, il visa la vitre arrière du pickup.
BLAM, BLAM, BLAM, BLAM.
La vitre vola en éclats. Le bruit des coups de feu était assourdissant. Ils retentissaient dans l’allée et dans les rues silencieuses de la ville. S’il voulait attirer l’attention, et c’était ce qu’il voulait, ça allait sûrement être suffisant.
Les pneus du pickup crissèrent sur les pavés. Le chauffeur essayait de se débarrasser de la benne à ordures.
Le passager – l’homme à la mitraillette – utilisa la crosse de son arme pour faire voler en éclats ce qui restait de la vitre arrière. Il allait essayer de tirer sur Luke.
Parfait.
BLAM.
Luke l’abattit d’une balle en plein milieu du front.
L’homme s’écroula, la tête pendant par la vitre arrière, et il lâcha son arme qui tomba à l’arrière du pickup.
Le pickup patina de côté, la calandre glissa le long du mur, et le côté conducteur se retrouva face à Luke. Luke avait bien l’intention d’abattre le chauffeur s’il le pouvait, mais sans le tuer. Il voulait le garder vivant pour répondre à quelques questions.
Mais le chauffeur était prudent – bien plus prudent que son ami. Sa vitre avait volé en éclats sous l’impact de la collision avec la benne, mais il s’était baissé pour éviter que Luke puisse le prendre en ligne de mire.
BLAM, BLAM, BLAM.
Luke tira trois balles dans la portière. Il y eut un bruit creux, métallique, au moment où les balles traversèrent le métal. Le chauffeur hurla. Il avait été touché.
Soudain, le pickup dérapa sur la droite. On aurait dit un dérapage contrôlé sur la neige. L’arrière du pickup pivota et heurta le mur. Mais il était parvenu à se libérer de la benne à ordures. Si le chauffeur était encore capable de conduire, il pouvait maintenant facilement prendre la fuite.
Luke visa le pneu arrière gauche. BLAM.
Le pneu explosa mais le pickup mit les gaz et descendit la ruelle à toute allure. Ses pneus crissèrent sur l’asphalte quand il atteignit le bout de la rue, puis il tourna à gauche et disparut.
Luke entendit des sirènes de police s’approcher. Elles venaient de plusieurs directions. Il rengaina son arme et sortit en boitant de l’allée. Son genou était raide. Il l’avait écorché en tombant sur les pavés.
Une voiture de police surgit, les gyrophares allumés et les sirènes hurlantes. Luke avait déjà sorti son badge. C’était son ancien badge de l’équipe d’intervention spéciale. Il n’expirait que dans un an. Il leva les bras en l’air, le badge dans sa main droite.
« Agent fédéral ! » hurla-t-il aux policiers qui sortirent de la voiture de patrouille, l’arme pointée sur lui.
« Par terre ! » lui dirent-ils.
Il obtempéra, en bougeant lentement et posément.
« Qu’est-ce qui se passe ici ? » dit l’un des policiers, en prenant le badge de la main de Luke.
Luke haussa les épaules.
« Quelqu’un essaye de me tuer. »
CHAPITRE SEPT
10h20
La Maison Blanche, Washington DC
Ça ressemblait à la fois à des funérailles nationales, à l’inauguration d’un garage de voitures d’occasion et à un spectacle comique amateur.
Susan Hopkins, la Présidente des États-Unis, portait une robe bleue et un châle, conçus spécialement pour l’occasion par la créatrice Etta Chang. Elle regarda les dignitaires et les journalistes rassemblés sur la pelouse Sud de la Maison Blanche. C’était un groupe trié sur le volet. L’invitation à cet événement était convoitée par de nombreuses personnalités depuis des mois. En ce beau jour ensoleillé d’automne, sous un ciel bleu, la Maison Blanche – l’un des symboles les plus immuables de l’Amérique – était reconstruite et prête à être de nouveau utilisée.
Des agents des services secrets se tenaient autour de Susan, afin de couvrir tous les angles de tir autour d’elle. Elle avait l’impression d’être perdue au milieu d’une forêt d’hommes. Il était interdit de survoler Washington DC, la Virginie et le Maryland aujourd’hui matin. Si vous n'aviez pas atterri avant 7 heures du matin, tant pis pour vous.
La cérémonie commençait à être longue. Elle avait commencé à 9 heures du matin et il était presque 10h30. Entre le défilé militaire d’ouverture avec le clairon jouant l’extinction des feux et le cheval sans cavalier en l’honneur de Thomas Hayes, le lâcher de colombes pour symboliser tous ceux qui étaient morts ce jour-là, le survol par les avions de chasse, la chorale des enfants, et les différents discours et les bénédictions…
Ah oui, les bénédictions.
La Maison Blanche avait été bénie tour à tour par un rabbin orthodoxe de Philadelphie, un imam musulman, l’archevêque catholique de Washington DC, le pasteur de l’église de Zion de la rue North Capitol, et le célèbre moine bouddhiste et militant pacifiste Thich Nhat Hanh.
Rien que les difficultés liées au choix de ces dignitaires religieux… ça avait vraiment enlevé à Susan tout intérêt pour cet événement. Quoi ? un rabbin orthodoxe ? Les femmes du judaïsme réformé avaient fait entendre leur mécontentement – elles auraient voulu que ce soit un rabbin femme. Sunnite ou chiite pour l’imam ? Il était impossible de satisfaire les deux. Finalement, Kat Lopez avait résolu ce problème en choisissant un imam soufi.
Les catholiques n’étaient pas non plus enchantés concernant Pierre. Le mari de la Présidente était homosexuel ? Et marié à une femme ? C’était vraiment n’importe quoi. Ce problème avait fini par être résolu quand Pierre a décidé de ne pas assister à la cérémonie et de la regarder à la télé depuis son appartement à San Francisco.
Pierre et les filles avaient disparu de la vie publique depuis le scandale. C’était une bonne chose de maintenir les filles à l’écart des projecteurs après tout ce qui s’était passé, mais cette cérémonie était importante et Pierre n’avait même pas voulu venir. Et ça préoccupait un peu Susan. En fait, plus qu’un peu. Et bien sûr, les militants des droits homosexuels étaient maintenant fâchés sur Pierre, car pour eux, il avait décidé de s’incliner devant la pression de l’église catholique. C’était en tout cas comme ça qu’ils le voyaient.
Sur l’estrade, Karen White, la nouvelle Présidente de la Chambre, terminait son discours. Karen était une excentrique, et c’était peu dire – elle portait un chapeau avec un grand tournesol, qui aurait été plus approprié à une chasse aux œufs de Pâques avec des enfants qu’à l’événement d’aujourd’hui. Si Etta Chang avait vu ce chapeau, elle aurait probablement insisté pour lui faire un relooking.
Les remarques de Karen n’avaient pas été trop acerbes concernant les libéraux au pouvoir – tant mieux, parce que les élections organisées spécialement en vue de reconstituer le Congrès avaient lieu dans deux semaines. Les campagnes d’élection s’étaient transformées en de véritables discours haineux – et les historiens adoraient passer sur CNN et sur Fox News pour expliquer combien le discours civil dans ce pays avait atteint son point le plus bas depuis la Guerre de Sécession.
Ce dont Karen White manquait en rhétorique offensive