Zoe cliqua sur son nom dans le système afin d’accéder aux dossiers de l’enquête. Elle attendait toujours que la page se charge quand Shelley prit la parole. Sans surprise, tous les moteurs de recherche sur internet fonctionnaient plus vite que le système de la police du comté.
« J’ai quelque chose. La page du mémorial de Clay Jackson sur les réseaux sociaux. Il y a quelques messages postés chaque année pour l’anniversaire de sa mort et ses anniversaires, mais il y a aussi des photos. Il avait beaucoup de tatouages.
– Beaucoup ?
– Plus que Callie. Et je pense en reconnaître un ou deux ayant une signification particulière dans la rue. Cette théorie des gangs pourrait tenir la route. »
Zoe renifla en secouant la tête. Elle se leva pour regarder par-dessus l’épaule de Shelley, pour examiner les photos de Clay Jackson. Il mesurait un mètre quatre-vingt-cinq et pesait soixante-trois kilos sur ses derniers clichés. Il était défoncé, se nourrissant à peine entre deux prises. Il avait l’air de quelqu’un qui avait été en forme et en bonne santé, musclé, avant que sa dépendance ne prenne le dessus. Il se tassait au fur et à mesure des photographies. Il n’avait pas pu continuer cette trajectoire jusqu’à son terme – il avait été tué à mi-parcours de la transformation.
« Pourquoi les criminels font-ils cela ? demanda-t-elle.
– Faire quoi ?
– Ils se montrent à nous. Ils rendent les choses plus faciles avec leurs tatouages de gang.
– Je ne pense pas que ce soit l’objectif de cette pratique, » dit Shelley, en lui faisant un sourire ironique par-dessus son épaule. « C’est le conformisme social. Montrer qu’on appartient à un groupe particulier. Parfois, la loyauté et la camaraderie indéfectibles qui découlent de ce sentiment d’appartenance l’emportent sur le besoin de se protéger ou sur la logique d’échapper à l’arrestation.
– Je ne me ferai jamais un tatouage de gang. Même si c’était une condition pour rejoindre le gang. En fait, surtout si tel était le cas. Quelle règle stupide. »
Shelley fit légèrement pivoter sa chaise, tout en regardant Zoe d’un air amusé. « Tu ne rejoindrais pas un gang de toute façon, n’est-ce pas ? Cela nécessiterait beaucoup de bavardages. Je ne pense pas que tu aimerais ça.
– Je ne me ferai tatouer sous aucun prétexte, quoi qu’il en soit » répondit Zoe, en rebondissant sur l’autre aspect du problème. « Je ne comprends pas pourquoi quelqu’un le ferait. Qu’est-ce qui pourrait être si important pour qu’il soit nécessaire de l’inscrire à l’encre sur le corps de manière permanente ?
– Tu n’aimes vraiment pas les tatouages, n’est-ce pas ? »
Zoe ne pouvait pas dire si Shelley se moquait d’elle ou non. « Ils sont une marque d’intelligence inférieure. Les délinquants sont statistiquement beaucoup plus susceptibles d’avoir des tatouages que les citoyens respectueux des lois. Et avec le temps qui passe, ils ont inévitablement l’air stupides. Pourquoi souris-tu comme ça ?
– Parce qu’il y a quelque chose que tu ne sais pas à mon sujet. » Shelley poussa sa chaise un peu en arrière de son bureau et posa son pied sur le siège. Avant que Zoe ait pu protester ou lui demander ce qu’elle était en train de faire, Shelley remonta l’ourlet de son pantalon pour révéler la peau nue du bas de sa jambe.
Un coquelicot miniature y était gravé, en rouge et noir brillants, presque assez réaliste pour que Zoe imagine pouvoir l’attraper et lui retirer ses pétales.
« Tu as un tatouage ? » dit Zoe, même si c’était une évidence. Le choc était trop grand. Elle n’aurait jamais imaginé que Shelley ait été quelqu’un qui souillerait son corps avec de l’encre.
« Il a bien tenu, je trouve, » dit Shelley. Elle souriait, et même si Zoe pensait que c’était peut-être de bon ton, elle n’en était pas si certaine. « Je l’ai fait faire quand j’étais à l’université. Ma grand-mère s’appelait Poppy. Après sa mort, j’ai pensé que ça pourrait être une bonne façon de se souvenir d’elle. »
Zoe retourna sur sa chaise et s’y enfonça. Elle se sentait désarçonnée. « En as-tu d’autres ?
– Non, rit Shelley. Celui-ci a fait un mal de chien. J’ai renoncé après ça.
– Je ne connaissais pas… cette partie de toi.
– Quelle partie ? La partie criminelle et peu intelligente ?
Zoe déglutit. Elle était probablement mal à l’aise face aux émotions humaines et aux normes sociales, mais elle savait ceci : elle devait s’excuser.
« Ce n’est pas ce que je voulais dire te concernant, dit-elle. Je ne savais pas que…
– Tu as élaboré une théorie, dit Shelley. Je sais que tu ne penses pas que je suis une mauvaise personne, donc tu dois déjà reconnaître que ton hypothèse n’était pas totalement juste. Il n’y a pas que les criminels et les idiots qui se font tatouer.
Zoe acquiesça, mesurant prudemment ses mots. « J’admets qu’un signe de respect en mémoire d’un être cher et disparu peut aussi être une raison valable pour s’engager dans une telle démarche.
– C’est au moins un progrès, » dit Shelley. Elle souriait à nouveau, et Zoe avait l’impression que c’était encore à ses dépens. Mais elle s’était trompée et avait dit quelque chose qui aurait pu être blessant, cela semblait donc justifié. « Comment avance ta recherche ? »
Zoe saisit l’allusion peu subtile et retourna à son écran, où les dossiers de police de Clay Jackson avaient enfin fini de se télécharger. Elle siffla doucement, secouant la tête devant la longueur des résultats qui étaient apparus. « Il a bien un casier. On dirait qu’il était membre d’un gang local, comme nous le suspections. »
C’était maintenant au tour de Shelley de se pencher par-dessus l’épaule de Zoe. Elles parcoururent ensemble les résultats. Ils ne racontaient pas une belle histoire.
Clay Jackson avait fait partie d’un gang de Los Angeles, une équipe de rue notoirement impliquée dans le trafic illégal de drogues, entre autres choses. Le genre de drogues auxquelles Callie avait touché. Il n’était pas difficile de deviner où elle avait pu s’approvisionner.
Les tatouages de Clay n’étaient que le début. Il avait été un pilier du gang, soupçonné d’avoir mené des attaques sur le territoire de ses rivaux et d’avoir été le cerveau à l’initiative de plusieurs affaires ayant permis de mettre le gang en rapport avec des fournisseurs et des acheteurs. Il avait fait l’objet de plusieurs avertissements, pour détention de drogue et d’armes, chacune ayant été suivie d’une arrestation en bonne et due forme, et de diverses sanctions. Il avait passé un certain temps en prison, entrant et sortant au bout de quelques mois à chaque fois, jamais pour des motifs suffisamment graves pour tomber pour de bon.
Jusqu’au jour où tout cela s’était terminé dans une ruelle, son corps laissé dans une mare de sang et découvert par la police, après que des coups de feu aient été signalés par les habitants du quartier. Il n’y eut jamais de preuve tangible quant à l’identité du coupable, seulement des liens circonstanciels et des soupçons, qui étaient facilement repérables dans le déroulé des interrogatoires et des arrestations qui suivirent le crime.
« Regarde ça, » fit remarquer Zoe en pointant du doigt son écran. « La seule accusation qu’ils ont réussi à faire tenir pendant toute l’enquête était la possession d’une arme à feu illégale. C’était l type qu’ils suspectaient de l’avoir fait, mais ils n’ont pas pu le prouver. C’est tout ce qu’ils ont pu