La lumière semblait devenir de plus en plus vive, et avant que Chris ne le réalise, elle était partout. La noirceur qui était sa réalité avait été remplacée par cette lumière soudaine. Et puis, avec un bruit de courant d’air qui semblait venir de toutes les directions, Chris se retrouva soudainement quelque part. Non plus nulle part, mais quelque part. Quelque part avec un sol en pierre – froid contre son ventre – et une odeur dans l’air comme un vieux château humide. L’odeur, comme la lumière, était quelque chose que Chris avait presque oublié. Le toucher aussi. Pourtant, toutes ces sensations étaient soudainement là.
Les carreaux contre son ventre étaient durs, contrastant avec la chair de son corps. L’air était frais et il sentit une légère brise passer sur sa peau.
Un corps ! pensa Chris. De la peau !
En riant, Chris attrapa son torse et déplaça ses mains dessus, tâtant les côtes, la clavicule et toute la chair molle. Il se mit à rire à nouveau en réalisant qu’il n’était plus dans le vide du néant, flottant sous forme de ses plus petits composants, mais qu’il était de nouveau en un seul morceau, un morceau solide. Et ce morceau solide était de retour dans la réalité.
Il ne lui restait plus qu’à déterminer la réalité dans laquelle il se trouvait.
Il se leva pour s’asseoir et regarda autour de lui. La pièce était familière. Des murs cramoisis comme du sang frais. Un grand trône en bois. Une table de banquet en chêne. Un haut plafond voûté. Une vitrine remplie de flacons de potions et d’armes. Une fenêtre à travers laquelle la lumière grise filtrait.
Il se leva, les jambes tremblantes, et se dirigea vers la fenêtre. Elle surplombait une grande prairie herbeuse qui s’étendait jusqu’à une rangée d’arbres, dont les silhouettes noires s’élevaient à l’horizon.
De l’herbe ! pensa Chris avec ravissement. Des arbres !
Il avait tout oublié à leur sujet. Et les voir maintenant envoyait des vagues de joie à travers son corps. Son rire se transforma en hystérie.
— Christopher Blue, dit une voix féminine froide.
Avec un cri de surprise, Chris se retourna. Il y avait une femme debout dans la pièce. Une femme renfrognée portant une longue cape noire qui touchait le sol. Ses bras étaient croisés.
Le nom revint à Chris avec une férocité soudaine : Dame Obsidienne.
Un éclair de terreur le traversa. Il recula jusqu’à ce qu’il entre en collision avec le mur de pierre et qu’il ne reste plus nulle part où se recroqueviller.
— Vous… balbutia-t-il. Vous êtes celle qui m’a torturé ?
Tout commençait à revenir à Chris maintenant.
— C’était ta punition, dit dame Obsidienne sans même le moindre soupçon de remords. Pour m’avoir déçue. Pour être allé à l’encontre de mon ordre formel. Je peux te faire ça à nouveau. Quand je veux.
Chris secoua la tête. Il avait l’impression d’arriver au bord de la folie. Le seul fait de savoir qu’il pouvait être renvoyé dans ce lieu de tourmente, d’agonie sans fin, était suffisant pour que son esprit se déchaîne.
— S’il vous plaît, non, supplia-t-il en tombant à genoux. S’il vous plaît ne me renvoyez pas là-bas.
— Lève-toi, pauvre pleurnicheur, dit dame Obsidienne. Supplier ne te sauvera pas.
— Alors qu’est-ce qui le fera ? demanda-t-il désespérément en se levant d’un bond. Que puis-je faire pour m’assurer de ne jamais retourner à cet endroit ?
— Suis mes instructions, répondit-elle. Et tue Oliver Blue.
Oliver…
Ce nom avait été tout ce qui avait accompagné Chris pendant son séjour dans le néant. Oliver, son petit frère. Pendant des années, il l’avait détesté. N’avait rien voulu de plus que le blesser et le faire souffrir. Et pour des raisons qu’il ne comprenait plus, il avait hésité à la dernière seconde. Juste au moment où il avait eu Oliver, il avait changé d’avis et l’avait laissé partir.
Mais Chris réalisa maintenant qu’il ne changerait plus d’avis. Il n’y avait pas la moindre trace de compassion en lui. Pas envers Oliver. Envers personne. Le temps passé dans le néant semblait avoir éteint tous les sentiments positifs qu’il avait un jour pu éprouver, laissant derrière lui seulement la colère, seulement la peur, seulement la haine.
— Je ne vous décevrai plus, dit Chris à dame Obsidienne. Je tuerai Oliver Blue.
CHAPITRE DEUX
Oliver avait l’estomac retourné. Il détestait la sensation causée par les voyages par portails. Peu importait le nombre de fois où il était passé à travers, c’était toujours désagréable.
Des lumières violettes clignotantes l’aveuglèrent. Un bruit semblable à des déferlantes lui fit mal aux oreilles. Et pendant tout ce temps, il regardait désespérément derrière lui pour voir où se trouvaient ses amis, dans l’espoir d’avoir la preuve qu’ils avaient sauté aussi, qu’ils l’avaient suivi à travers le portail et s’étaient échappés de l’École des Prophètes avant son effondrement.
À ce moment-là, il aperçut les cheveux couleur caramel de Hazel. Une vague de soulagement le traversa. Elle agitait bras et jambes dans le vortex, ballottée comme un débris dans le courant. Puis Ralph apparut, ses cheveux noirs volant dans tous les sens, ses longs et minces membres bougeant comme s’il était en train de pagayer et d’essayer désespérément de garder la tête hors de l’eau.
Oliver regarda Ralph passer à toute vitesse à côté de Hazel, et tous deux réussirent à se prendre par la main. Ils lui rappelèrent des parachutistes synchronisés. Sans parachutes, bien sûr, à la merci des éléments, bousculés comme des plumes prises dans une tornade.
Aussi soulagé qu’Oliver ait été de voir Hazel et Ralph, il n’y avait toujours aucun signe de Walter, Simon ou Esther. Oliver pria pour qu’ils aient pu franchir le portail à temps. Surtout Esther. Ce serait bien trop cruel de la part de l’univers de la lui ôter maintenant, après tout ce qu’ils avaient traversé pour lui sauver la vie.
— Hazel ? cria Oliver au-dessus du vent fort et puissant. Ralph ! Par ici !
Malgré le vent qui soufflait, la voix d’Oliver fut capable de porter jusqu’à ses amis. Ils levèrent tous deux le regard vers lui et le soulagement se refléta pendant un instant dans leurs yeux autrement craintifs.
— Oliver ! cria Hazel, le ton plein de soulagement.
Oliver était surpris de pouvoir l’entendre si fort et si clairement. Il s’attendait à ce que sa voix soit avalée par le vent, comme cela se produirait habituellement lors de déplacements par portail. Il se demandait pourquoi cela ne se passait pas dans celui-ci. C’était peut-être un type de portail différent de ceux qu’il avait empruntés auparavant. Le professeur Amethyst l’avait fait apparaître sous la contrainte, après tout.
Utilisant ses bras, Oliver nagea en brasse vers ses amis. Il les attrapa et ils s’accrochèrent fermement les uns aux autres.
— Où sont les autres ? cria Ralph en jetant un coup d’œil furtif autour de lui.
Oliver secoua la tête. La force du vent faisait voler ses cheveux blond foncé dans ses yeux.
— Je ne sais pas. Je ne peux pas les voir.
Il se tordit le cou, cherchant parmi les tourbillons noirs et violets pour voir s’il y avait des traces de Walter, Simon ou Esther. Il n’y en avait pas. Il ne pouvait pas les voir du tout et cette pensée le remplissait de peur. Avaient-ils même sauté dans le portail ? Se pouvait -il qu’ils