Elle se doucha et s'habilla rapidement, puis descendit en courant jusqu’à la véranda avec son téléphone portable. L'eau de ses cheveux encore mouillés gouttait sur son haut tandis qu'elle faisait défiler ses contacts. Son pouce hésita sur le numéro de sa mère et commença à trembler. Elle ne pouvait tout simplement pas trouver le courage de le composer. Elle savait que sa mère ne lui donnerait pas le genre de réponse qu'elle voulait ; elle avait été suspicieuse envers Chantelle et supposait que Daniel ne voulait épouser Emily que pour la transformer en mère de son enfant. Elle décida donc de tâter le terrain avec Jayne. Sa meilleure amie lui parlait toujours sans détour, mais il n’y avait jamais le même air de déception que sa mère exsudait.
Elle composa le numéro de Jayne et écouta la sonnerie. Ensuite, on décrocha.
« Em ! » cria Jayne. « Tu es sur haut-parleur. »
Emily s'arrêta. « Pourquoi est-ce que je suis sur haut-parleur ? »
« Nous sommes dans la salle de conférence. Moi et Ames. »
« Salut, Emily ! » s’écria jovialement Amy. « Est-ce que c’est pour l'offre d'emploi ? »
Il fallut un moment à Emily pour déterminer de quoi elles parlaient. L'entreprise de bougies qu’Amy avait lancée depuis sa chambre à l’université était, plus d'une décennie plus tard, soudainement florissante. Elle avait embauché Jayne et avait tant essayé d’attirer Emily. Ni l'une ni l'autre ne pouvait vraiment comprendre pourquoi Emily voulait vivre dans une petite ville plutôt qu’à New York, pourquoi elle voulait diriger un hôtel au lieu de travailler dans un bureau élégant avec ses deux meilleures amies, et elles ne pouvaient certainement pas comprendre pourquoi elle voudrait prendre l'enfant d'un autre homme (un homme avec une barbe, pas moins !) sans aucune assurance qu'il lui donnerait ses propres enfants un jour.
« En fait non », dit Emily. « C’est à propos de… » Elle bafouilla, perdant tout à coup sa résolution. Puis elle se maîtrisa. Elle n'avait pas à avoir honte de quoi que ce soit. Même si sa vie prenait une trajectoire différente de celle de ses meilleures amies, elle était tout de même valable ; ses choix étaient toujours les siens et ils devraient être respectés. « Daniel et moi allons nous marier. »
Il y eut un moment de silence, suivi de cris aigus. Emily grimaça. Elle pouvait imaginer ses amis avec leurs ongles parfaitement manucurés, leur peau hydratée qui sentait la rose et le camélia, leurs cheveux brillants s’agitant alors qu’elles bondissaient de leurs sièges.
À travers le bruit, Emily distingua Jayne qui criait : « Oh mon dieu » et Amy « Félicitations ! »
Elle lâcha un soupir de soulagement. Ses amies étaient d’accord. Un autre obstacle avait été surmonté.
Finalement, les cris incompréhensibles se turent.
« "Il ne t’a pas mise en cloque, n'est-ce pas ? » demanda Jayne, aussi déplacée que d’habitude.
« Non ! » cria Emily en riant.
« Jayne, tais-toi » la gronda Amy. « Dis-nous tout. Comment l’a-t-il fait ? À quoi ressemble la bague ? »
Emily raconta l'histoire de la plage, des déclarations d'amour dans la neige, de la superbe bague aux perles. Ses amies roucoulèrent à tous les bons moments. Emily pouvait dire qu'elles étaient aux anges pour elle.
« Est-ce que tu vas prendre son nom » l’interrogea Jayne pour aller plus loin. « Ou les deux ? Mitchell Morey est un nom à coucher dehors. Ou ce serait Morey Mitchell ? Emily Jane Morey Mitchell. Hmm. Je ne sais pas si j’aime ça. Peut-être que tu devrais garder ton propre nom, tu sais ? C'est le truc fort, valorisant et féministe à faire, après tout. »
L'esprit d'Emily tourbillonnait tandis que Jayne parlait de sa manière typiquement rapide, s'arrêtant à peine pour lui donner le temps de répondre à toutes ses questions.
« Nous allons être tes demoiselles d'honneur, n'est-ce pas ? » termina Jayne caractéristiquement, abrupte et directe.
« Je n'y ai pas réfléchi », admit Emily. Jayne et Amy étaient en effet peut-être ses plus vieilles amies, mais elle s’en était fait beaucoup plus depuis son emménagement à Sunset Harbor ; Serena, Yvonne, Suzanna, Karen, Cynthia. Et qu’en était-il de Chantelle? Il était important pour Emily qu’elle joue un rôle central dans l'ensemble.
« Eh bien, où se trouve le lieu, alors ? » demanda Jayne, l’air un peu grincheux qu'Emily envisage même d'autres personnes pour être ses demoiselles d'honneur.
« Je ne le sais pas non plus », dit Emily.
Elle fut soudainement frappée par l’immensité de la tâche qui l’attendait. Il y avait tant à organiser. Tant de choses à payer. Elle se sentit tout à coup submergée par tout cela.
« Tu penses que vous organiserez un grand mariage ou un petit ? » demanda Amy. Ses questions étaient moins pièges que celles de Jayne, mais il y avait toujours un air de jugement. Emily se demanda si Amy était encore contrariée par son mariage raté avec Fraser. Peut-être qu'elle éprouvait du ressentiment envers Emily pour avoir une bague et un fiancé quand elle-même avait perdu les deux.
« Nous n'avons pas encore réglé les détails » dit Emily. « C'est tout neuf. »
« Mais tu en rêves depuis des années » ajouta Amy.
Emily fronça les sourcils. De mariage, oui. Il s’agissait de quelque chose qu'elle avait voulu depuis longtemps. Mais elle n'avait jamais imaginé la façon dont sa vie allait se dérouler. L'amour qu'elle avait avec Daniel était unique et inattendu. Leur mariage devrait être pareil. Elle devait tout repenser pour le rendre parfait pour eux, pour cette relation en particulier, cette vie.
« Est-ce que tu peux au moins nous dire la date ? » demanda Jayne. « Notre agenda est plein à craquer. »
Emily balbutia. « Je ne sais pas. »
« Juste le mois fera l’affaire pour l'instant », insista Jayne.
« Je ne le sais pas non plus. »
Jayne soupira, exaspérée. « Et pour l’année ? »
Emily s’agaça. « Je ne sais pas ! » s’écria-t-elle. « Je ne me suis pas encore occupée de ça ! »
Le silence tomba. Emily pouvait imaginer la scène : ses amies échangeant un coup d'œil, assises sur des chaises de bureau en cuir à une immense table en verre, le bruit de son accès de colère émanant du téléphone entre elles résonnant dans la vaste salle de conférence. Elle ne savait plus où se mettre, embarrassée.
Jayne brisa le silence. « Eh bien, assure-toi juste que cela ne se transforme pas en une de ces fiançailles qui traînent éternellement », dit-elle de manière détachée. « Tu sais comment sont certains hommes, c'est comme s’ils ne se rendaient pas compte qu'une fois qu'ils ont fait leur demande, on s’attend à ce qu’il y ait un véritable mariage. Ils font toute une affaire des fiançailles puis, une fois qu'ils t’ont attiré avec une bague chic, ils pensent qu'ils peuvent se reposer sur leurs lauriers et ne jamais signer sur la ligne en pointillés. »
« Ce n'est pas comme ça » dit laconiquement Emily.
« Bien sûr », dit Jayne avec désinvolture. « Mais pour être certaine, tu devrais l’astreindre à une date réelle. S’il donne l’impression qu'il va faire traîner les fiançailles, cours. »
Emily serra les poings. Elle savait qu'elle ne devrait pas laisser Jayne – une phobique de l’engagement qui n'avait jamais connu une relation à long terme convenable – lui dicter la manière dont elle devrait se sentir dans cette situation, mais son amie avait un talent pour insinuer le doute dans son esprit. Aussi ridicules qu'ils soient, Emily pouvait déjà dire qu'elle allait ruminer les mots de Jayne pour les jours à venir.
«