Mais ils sont ici parce qu'ils l'ont choisi, répondit Lucas. Il avança et lui posa une main sur l'épaule. Honore-les en ne gaspillant pas leur vie mais ne diminue pas ce qu'ils offrent en évitant la bataille.
“Je crois que c'est une de ces choses qui sont plus faciles à dire qu'à faire”, dit Sophia à voix haute. Elle baissa machinalement le bras pour ébouriffer les oreilles à Sienne.
“C'est possible”, admit Lucas. Contrairement à Sophia, il avait l'air prêt à faire la guerre, une épée au flanc et des mousquets à la ceinture. Sophia se dit qu'elle avait l'air incroyablement ronde avec le poids de son enfant à naître, alors qu'elle se tenait là sans arme ni armure.
Mais prête quand même, lui dit Lucas par télépathie. Il fit signe à l'arrière du navire. “Nos commandants attendent.”
Cela signifiait en majorité ses cousins et son oncle. Ils assuraient la cohésion de l'armée avec autant de fermeté que Sophia mais il y avait aussi d'autres hommes : des chefs de clan et des petits seigneurs, des hommes austères qui baissèrent quand même la tête quand Sophia approcha accompagnée par son frère et la chatte de la forêt.
“Sommes-nous prêts ?” demanda-t-elle en regardant son oncle et en essayant de prendre l'apparence de la reine qu'ils avaient tous besoin qu'elle soit.
“Il y a encore des décisions à prendre”, dit Lars Skyddar. “Nous savons ce que nous essayons d'accomplir mais, maintenant, il faut que nous décidions certaines choses spécifiques.”
“Qu'y a-t-il à décider ?” demanda son cousin Ulf du ton direct qu'il employait toujours. “On rassemble les hommes, on bombarde les murailles au canon puis on charge à l'intérieur.”
“Cela en dit long sur la façon dont tu chasses”, dit Frig, la sœur d'Ulf, avec un sourire carnassier. “Nous devrions encercler la ville comme un nœud coulant et approcher.”
“Il faut qu'on soit prêts pour un siège”, dit Hans avec sa prudence habituelle.
Tout le monde semblait avoir son idée personnelle sur la question et une partie de Sophia aurait voulu pouvoir se retirer et laisser des gens plus sages et qui s'y connaissaient plus en guerre qu'elle prendre les décisions à sa place. Pourtant, elle savait qu'elle ne pouvait pas faire ça et que les cousins se disputeraient jusqu'à la fin des temps si elle le leur permettait. Cela signifiait qu'elle était obligée de décider.
“Quand atteindrons-nous la ville ?” demanda-t-elle en essayant de réfléchir.
“Probablement au crépuscule”, dit son oncle.
“Dans ce cas, il sera trop tard pour effectuer un assaut classique”, dit-elle en pensant aux moments qu'elle avait passés dans la ville la nuit. “Je connais les rues d'Ashton. Croyez-moi, si nous essayons de charger dans le noir, ça finira mal.”
“Un siège, alors”, dit Hans, qui eut l'air satisfait par cette perspective ou peut-être parce que c'était son plan qu'on choisissait.
Sophia secoua la tête. “Un siège fait souffrir les gens qui ne le méritent pas et n'aide pas ceux que nous voulons aider. Les vieilles murailles de la ville ne protègent que la partie intérieure de la ville et vous pouvez parier que la Douairière ferait mourir de faim les plus pauvres pour avoir à manger. De plus, plus on attend, plus Sebastian est en danger.”
“On fait quoi, alors ?” demanda son oncle. “As-tu un plan, Sophia ?”
“Quand nous arriverons devant Ashton, nous y jetterons l'ancre”, dit-elle. “Nous enverrons des messages pour leur proposer de se rendre.”
“Ils ne se rendront pas”, dit Hans, “même si nous leur laissons la vie sauve.”
Sophia secoua la tête. Elle le savait. “La Douairière ne croira pas que quelqu'un d'autre puisse avoir plus de pitié qu'elle mais, si nous leur donnons l'illusion de leur donner du temps pour se rendre, cela laissera le temps à la moitié de nos hommes de contourner la ville par la terre. Ils prendront discrètement la périphérie. Les gens qui y habitent n'aiment pas la Douairière.”
“Aimeront-ils plus un envahisseur ?” demanda Lucas.
C'était une bonne question mais son frère était doué pour poser les bonnes questions.
“Je l'espère”, dit Sophia. “J'espère qu'ils se souviendront de qui nous sommes et de la vie telle qu'elle était avant la Douairière.” Elle se tourna vers Hans. “Tu y mèneras les forces. Il me faut quelqu'un qui puisse garantir une discipline parmi les hommes et empêcher qu'ils massacrent les gens ordinaires.”
“Je m'en occuperai”, lui assura Hans. Sophia savait qu'il le ferait.
Sophia se tourna vers Ulf et Frig. “Vous deux, vous emmènerez une petite force près des portes du fleuve. Si les hommes que j'ai envoyés ont réussi à entrer, ces portes s'ouvriront. Votre mission sera de les aider à tenir la position jusqu'à ce que le reste de nos soldats puisse attaquer. La flotte principale accostera et nous avancerons couverts par l'artillerie de nos navires.”
Cela ressemblait à un bon plan, ou du moins elle espérait qu'il l'était. S'il ne l'était pas, cela signifiait qu'elle venait de condamner à mort les hommes qu'elle commandait.
C'est un bon plan, lui dit Lucas par télépathie.
J'espère seulement qu'il marchera, répondit Sophia.
Alors, une troisième voix se joignit à leur conversation depuis un autre navire. Il marchera. Je ferai en sorte qu'il marche.
Sophia se retourna et vit approcher une plus petite flotte de navires. Ils avaient l'air peu recommandable, comme si c'était le type de vaisseaux que des mercenaires ou des bandits auraient pu choisir. Cependant, c'était la voix de la sœur de Sophia qui en émanait.
Kate ? Tu es là ?
Je suis là, répondit-elle par télépathie, et j'ai emmené la compagnie la moins recommandable du monde. Lord Cranston dit que ce sera un honneur de te servir.
Cette pensée réconforta Sophia presque autant que la présence de sa sœur. Ce n'était pas juste que cela leur apportait plus de combattants, même si, à ce stade, Sophia était prête à accepter tous ceux qui voudraient bien la suivre. C'était le fait que sa sœur était revenue dans la Compagnie Libre avec laquelle elle avait tant aimé combattre et que …
Est-ce que Will est là ? demanda Sophia.
Il est là, répondit Kate. Sophia entendit son bonheur. On se reverra bientôt, ma sœur. Garde-moi quelques ennemis.
Je suis sûre qu'il y en aura bien assez.
“Kate vient avec nous”, dit Sophia à Lucas.
“Je sais”, dit son frère. “J'ai entendu ses pensées. J'aurais cru qu'il faudrait que j'attende notre retour pour faire enfin sa connaissance.”
“Et pour retrouver nos parents après ça”, dit Sophia. Elle savait qu'elle ne devrait pas anticiper à ce stade. Il fallait qu'elle se concentre sur la bataille qui venait mais elle avait énormément de mal à ne penser qu'à elle. Elle était trop occupée à penser à tout ce qui pourrait en découler. Elle retrouverait Sebastian. Elle libérerait le peuple de la Douairière du poids écrasant de sa tyrannie. Elles retrouveraient leurs parents.
“Quand nous retrouverons nos parents, Kate sera aussi heureuse que nous”, dit Sophia. “Elle le sera même plus. Je ne suis même pas sûre qu'elle ait des souvenirs d'eux pour garder patience.”
“Bientôt, nous aurons tous plus que ça”, dit Lucas.
“Je l'espère”, répondit Sophia, qui ne pouvait quand même s'empêcher de s'inquiéter. “Est-ce que tu l'as ?”
Lucas hocha la tête, comprenant sans problème de quoi elle parlait. Il sortit le disque plat constitué de morceaux de métal imbriqués,