Pour deux d’entre eux, il avait été supposé qu’il s’agissait là de cas de fugues et après avoir lu les rapports de police, Mackenzie était du même avis. Les deux dossiers étaient des exemples types d’adolescents torturés, qui en avaient assez de vivre dans une petite ville et qui avaient fini par quitter la maison familiale plus tôt que leurs parents ne l’auraient voulu. L’un d’entre eux, une adolescente de quatorze ans, avait fini par contacter sa famille il y a deux ans pour leur dire qu’elle vivait plutôt confortablement à Los Angeles.
Les deux autres étaient plus difficiles à comprendre par contre. Un des dossiers concernait un garçon de dix ans qui avait été enlevé sur la plaine de jeux d’une église. Il avait disparu depuis trois heures avant qu’on ne se rende compte de sa disparition. Des rumeurs locales évoquaient le fait que sa grand-mère l’avait enlevé en raison d’une situation familiale compliquée. En tenant compte du drame familial, du sexe et de l’âge de la victime, Mackenzie doutait qu’il y ait là une connexion avec les kidnappings actuels.
Le quatrième dossier était plus prometteur mais semblait toujours assez léger. La première similitude était que ça impliquait un accident de voiture. En 2009, Sam et Vicki McCauley étaient sortis de route durant une tempête de neige. Quand la police et l’ambulance arrivèrent sur place, Sam était mourant et il décéda sur le trajet vers l’hôpital. Il avait supplié de savoir comment allait sa femme. D’après ce que la police avait pu en déduire, Vicki McCauley avait été projetée en-dehors du véhicule mais son corps n’a jamais pu être retrouvé.
Mackenzie examina le rapport de police à deux reprises mais ne parvint pas à y trouver une description précise de ce qui avait causé l’accident. Les mots conditions de verglas étaient utilisés à plusieurs reprises et, bien que ce soit une bonne raison, Mackenzie pensait que ce serait tout de même une bonne idée d’y regarder de plus près. Elle relut le rapport plusieurs fois, ainsi que celui concernant la disparition de Delores Manning. Le fait qu’ils impliquent tous les deux un accident de voiture semblait être la seule connexion entre les deux.
Elle changea alors d’approche et essaya d’intégrer les trois victimes actuelles dans ces scénarios. Mais c’était pratiquement impossible. Les deux affaires inexpliquées étaient probablement des fugues et bien que toutes deux soient des femmes, ça laissait bien trop d’options ouvertes. De plus, les trois victimes actuelles avaient été enlevées dans leurs voitures. Peut-être parce que se retrouver bloqué sur la route arrivait relativement souvent. Mais ça n’avait quand même rien à voir avec l’enlèvement d’adolescentes fugueuses. Ça ne collait pas.
Ce type ne veut pas de fugueuses ou d’adolescentes torturées qui partent de chez elles pour provoquer leurs parents. Il cherche des femmes. Des femmes qui se trouvent, pour une raison ou une autre, seules dans leur voiture pendant la nuit. Peut-être qu’il se rend compte de l’espoir qu’inspire un inconnu apparemment bien intentionné – surtout chez les femmes.
Mais d’un autre côté, elle savait que la plupart des femmes s’attendraient au pire venant d’un inconnu sur le côté de la route. Spécialement si leur voiture était en panne et qu’il faisait noir.
Peut-être qu’elles le connaissaient, alors…
Mais ça avait l’air très peu probable aussi. D’après les informations qu’ils avaient obtenues de Tammy et Rita Manning, Delores ne connaissait probablement personne à Bent Creek.
Elle reprit le dossier des McCauley, principalement parce qu’il s’agissait de la seule affaire avec certaines similarités. Elle afficha à nouveau sa boîte de réception et ouvrit l’email le plus récent envoyé par la police de Bent Creek. Elle y répondit en écrivant :
Un tout grand merci pour votre aide. Je me demandais si vous pourriez me fournir d’autres informations dès que possible. J’aimerais avoir une liste de tous les membres de la famille des McCauley vivant dans un rayon de quatre-vingt kilomètres, ainsi que leurs coordonnées. Si vous avez le numéro de l’agent de Delores Manning, ce serait vraiment super aussi.
Elle se sentait presque paresseuse de demander des informations de cette manière. Mais vu qu’ils s’offraient aussi facilement à les aider, elle pensait bien utiliser la police de Bent Creek autant que possible en tant que ressource.
Une fois qu’elle eut terminé, Mackenzie ouvrit un autre dossier… un dossier qu’elle était parvenue à laisser de côté depuis presque trois semaines maintenant. Elle l’ouvrit, en consulta les documents et afficha une photo.
C’était une carte de visite avec le nom de son père griffonné à l’arrière. De l’autre côté, visible sur une autre photo, se trouvait le nom de l’entreprise en caractères gras : Antiquités Barker : Neuf ou Ancien Rare Collection.
Et c’était tout. Elle savait déjà que cet endroit n’existait pas – d’autant qu’elle et le FBI sachent – ce qui rendait les choses d’autant plus frustrantes. Elle regarda la carte et sentit une pointe au cœur. Elle se trouvait à environ deux heures et demie de route de l’endroit où son père était mort et à environ trois heures du lieu où cette carte de visite avait été retrouvée – presque vingt ans après la mort de son père.
Ce n’était pas son affaire… enfin, pas vraiment. McGrath lui avait donné une sorte d’autorisation officieuse d’aider quand elle le pouvait mais pour l’instant, il n’y avait aucune piste. Elle pensa à Kirk Peterson, le détective qui avait trouvé les nouveaux indices permettant de rouvrir l’enquête concernant la mort de son père. Elle faillit l’appeler mais elle réalisa qu’il était déjà 23h45. Et de toute façon, de quoi pourraient-ils bien parler d’autre que du manque de piste concernant l’affaire ?
Mais elle avait besoin de l’appeler. Peut-être après l’affaire en cours, quand elle pourrait accorder toute son attention à Peterson et à l’enquête. Il était temps qu’elle se débarrasse de ce poids.
Elle se prépara pour aller dormir, se brossa les dents et enfila un léger pantalon de survêtement et un t-shirt. Juste avant de se mettre au lit, elle consulta ses emails une dernière fois sur son téléphone.
Elle vit que la demande d’informations qu’elle avait envoyée à la police de Bent Creek avait déjà été répondue, en moins de dix-sept minutes après qu’elle ait envoyé l’email. Elle prit note des informations dans son dossier et dressa mentalement un programme pour la journée à venir. Finalement, elle éteignit les lumières et se mit au lit.
Elle n’aimait pas finir une journée en éteignant les lumières sur des questions sans réponses. C’était un sentiment qui la dérangeait et auquel elle ne pensait pas pouvoir s’habituer. Mais elle s’était adaptée depuis longtemps, ayant trouvé la manière de dormir quelques heures pendant que les réponses à ses questions rôdaient dans l’obscurité, hors de sa portée.
CHAPITRE HUIT
Mackenzie venait de finir de s’habiller quand on frappa à la porte de sa chambre. Elle jeta un coup d’oeil à travers le judas et vit Ellington. Il tenait une petite boîte en carton avec deux tasses de café posées dessus. Elle ouvrit la porte et le laissa entrer, incertaine de savoir comment elle se sentait par rapport au fait qu’il soit prêt avant elle. Elle avait toujours été fière de sa rapidité et de sa capacité à être prête tôt. On dirait qu’elle avait maintenant de la concurrence dans ce domaine.
« Est-ce que j’interromps le rituel compliqué du matin d’une femme qui se prépare ? » plaisanta-t-il en posant la boîte et les cafés sur une petite table près du lit refait.