Il y avait un avenir qui l'attendait.
Une destinée.
Ils avaient presque mis une heure de plus que d'habitude pour rentrer à la maison et étaient tous restés silencieux tout ce temps-là, tous perdus dans leurs propres pensées. Ceres ne pouvait que se demander ce que le gens qu'elle aimait le plus au monde pensaient d'elle. Elle ne savait pas quoi penser d'elle-même.
Elle leva les yeux, vit son humble demeure et fut étonnée d'avoir parcouru tant de chemin, car sa tête et son dos lui faisaient souffrir le martyre.
Les autres l'avaient laissée peu avant pour faire une course pour son père et Ceres passa seule le seuil grinçant. Elle se prépara en espérant qu'elle n'allait pas tomber sur sa mère.
Elle pénétra dans une chaleur étouffante. Elle se dirigea vers la petite fiole d'alcool de nettoyage que sa mère avait rangée sous son lit et la déboucha en faisant attention de ne pas en utiliser trop de peur que ça se voie. Se préparant à la sensation de piqûre, elle ouvrit sa chemise et s'en versa dans le dos.
Ceres cria de douleur en serrant le poing et en penchant la tête contre le mur. Il lui semblait que les griffes de l'omnichat la piquaient en des milliers d'endroits. Elle avait l'impression que cette blessure ne guérirait jamais.
La porte s'ouvrit brusquement et Ceres grimaça. Elle eut le soulagement de voir que ce n'était que Sartes.
“Papa veut te voir, Ceres”, dit-il.
Ceres remarqua qu'il avait les yeux légèrement rouges.
“Comment va ton bras ?” demanda-t-elle en supposant que c'était parce que son bras lui faisait mal qu'il pleurait.
“Il n'est pas cassé. Seulement foulé.” Il se rapprocha et son visage devint sérieux. “Merci de m'avoir sauvé aujourd'hui.”
Elle lui offrit un sourire. “Je n'aurais jamais pu faire autrement”, dit-elle.
Il sourit.
“Va voir Papa, maintenant ”, dit-il. “Je vais brûler ta robe et le tissu.”
Elle ne savait pas comment elle ferait pour expliquer à sa mère comment sa robe avait soudain pu disparaître, mais il fallait absolument brûler ce vêtement de deuxième main. Si sa mère le trouvait dans son état actuel, plein de sang et de trous, elle lui imposerait une punition des plus imprévisibles.
Ceres partit et suivit le sentier herbeux piétiné vers la cabane qui se trouvait derrière la maison. Il ne restait qu'un arbre sur leur humble parcelle (les autres avaient été débités pour fournir du bois de chauffage et brûlés dans le foyer pour chauffer la maison pendant les froides nuits d'hiver) et ses branches surplombaient la maison comme une énergie protectrice. A chaque fois que Ceres le voyait, il lui rappelait sa grand-mère, qui s'était éteinte deux ans auparavant. C'était sa grand-mère qui avait planté l'arbre quand elle était enfant. D'une certaine façon, c'était son temple, et aussi celui de son père. Quand la vie était trop dure, ils s'allongeaient sous les étoiles et ouvraient leur cœur à Nana comme si elle était encore en vie.
Ceres entra dans la cabane et salua son père d'un sourire. A sa grande surprise, elle remarqua que la plupart de ses outils avaient été retirés de l'établi et qu'aucune épée n'attendait qu'on la forge près du foyer. Elle ne pouvait se souvenir d'avoir vu le sol aussi propre, ni les murs et le plafond vides d'outils à ce point.
Les yeux bleus de son père étincelèrent comme ils le faisaient toujours quand il voyait sa fille.
“Ceres”, dit-il en se levant.
L'année dernière, ses cheveux sombres étaient devenus beaucoup plus gris, sa barbe courte aussi et les cernes sous ses yeux tendres avaient doublé de taille. Autrefois, il avait eu une large stature et avait été presque aussi musclé que Nesos mais, ces derniers temps, Ceres avait remarqué qu'il avait perdu du poids et que sa posture, autrefois parfaite, commençait à s'affaisser.
Il la rejoignit à la porte et plaça une main calleuse en bas de son dos.
“Marche avec moi.”
Le cœur de Ceres se serra un peu. Quand il voulait parler et marcher en même temps, cela signifiait qu'il allait lui dire quelque chose d'important.
L'un à côté de l'autre, ils se frayèrent un chemin vers l'arrière de la cabane et dans le petit champ. De sombres nuages se profilaient pas très loin et envoyaient d'imprévisibles bourrasques chaudes. Elle espérait qu'ils amèneraient la pluie dont ils avaient besoin pour se remettre de cette sécheresse qui semblait ne jamais vouloir finir, mais, comme avant, ils n'apportaient probablement que de vaines promesses d'averses.
Alors qu'elle avançait, la terre craquait sous ses pieds, le sol était sec, les plantes jaunes, marron ou mortes. Bien que ce lopin de terre situé derrière leur subdivision appartienne au roi Claudius, cela faisait des années qu'il n'avait pas été ensemencé.
Ils arrivèrent au sommet d'une colline puis s'arrêtèrent et regardèrent au-delà du champ. Son père restait silencieux, les mains serrées derrière le dos, les yeux levés au ciel. C'était une attitude dont il n'avait pas l'habitude et Ceres eut encore plus peur.
Puis il parla, semblant choisir soigneusement ses mots.
“Parfois, nous n'avons pas la chance de pouvoir choisir notre destinée”, dit-il. “Nous devons sacrifier tout ce que nous voulons pour ceux que nous aimons. Même nous-mêmes, si nécessaire.”
Il soupira et, dans le long silence qui suivit et que seul le vent interrompait, le cœur de Ceres battit plus vite. Elle se demandait où il voulait en venir.
“Je donnerais tout pour que tu restes éternellement une enfant”, ajouta-t-il en scrutant les cieux, le visage un moment déformé par la douleur.
“Qu'est-ce qui ne va pas ?” demanda Ceres en lui plaçant une main sur le bras.
“Il faut que je parte un certain temps”, dit-il.
Elle eut l'impression d'étouffer.
“Partir ?”
Il se tourna et la regarda dans les yeux.
“Comme tu le sais, l'hiver et le printemps ont été particulièrement rudes cette année. Les quelques années précédentes de sécheresse ont été dures. Nous n'avons pas gagné assez d'argent pour survivre à l'hiver qui viendra et, si je ne pars pas, notre famille mourra de faim. Un autre roi m'a nommé pour que je sois son forgeron principal. Ça paiera bien.”
“Tu vas m'emmener avec toi, hein ?” dit Ceres d'une voix frénétique.
Il secoua sombrement la tête.
“Tu dois rester ici pour aider ta mère et tes frères.”
Cette idée l'horrifia.
“Tu ne peux pas me laisser ici avec Maman”, dit-elle. “Tu ne ferais pas ça.”
“Je lui ai parlé et elle prendra soin de toi. Elle sera gentille.”
Ceres frappa la terre du pied, créant un nuage de poussière.
“Non !”
Les larmes lui coulèrent des yeux et lui tombèrent sur les joues.
Son père fit un petit pas vers elle.
“Écoute-moi avec beaucoup d'attention, Ceres. Le palais a encore besoin qu'on leur livre des épées de temps à autre. Je t'ai recommandée et si, tu fabriques les épées comme je te l'ai appris, tu pourras te faire un peu d'argent.”
Si elle gagnait de l'argent, cela pourrait lui apporter plus de liberté. Elle avait trouvé que ses petites mains délicates savaient bien sculpter des motifs et des inscriptions complexes sur les lames et les pommeaux. Son père avait les mains larges, les doigts épais et trapus, et peu de gens avaient l'habileté de Ceres.
En dépit de cela, elle secoua la tête.
“Je