Dès que ces paroles eurent quitté sa bouche, elle regretta de les avoir prononcées.
Son père plissa le front.
“Tu veux être guerrière ? Seigneur de guerre ?”
Il secoua la tête.
“Un jour, on autorisera peut-être les femmes à se battre”, dit-elle. “Tu sais que je me suis entraînée.”
Il plissa les sourcils, inquiet.
“Non”, ordonna-t-il avec fermeté. “Ce n'est pas ta voie.”
Le cœur de Ceres se serra. Elle avait l'impression que ses espoirs et ses rêves de devenir guerrier se dissipaient avec les paroles de son père. Elle savait qu'il n'essayait pas d'être cruel, car il n'était jamais cruel. C'était seulement la réalité et, pour qu'ils puissent survivre, elle allait devoir fournir sa part de sacrifice, elle aussi.
Elle regarda au loin et vit le ciel brusquement éclairé par la foudre. Trois secondes plus tard, le tonnerre grogna dans les cieux.
Ne s'était-elle pas rendue compte à quel point ils étaient pauvres ? Elle avait toujours supposé que leur famille s'en tirerait mais ces nouvelles changeaient tout. Maintenant, elle n'aurait plus Papa à qui se raccrocher et il n'y aurait personne pour servir de bouclier entre elle et Maman.
Elle resta où elle était, immuable, pendant que ses larmes tombaient l'une après autre sur la terre désolée. Fallait-elle qu'elle renonce à ses rêves et qu'elle suive les conseils de son père ?
Il sortit quelque chose de derrière son dos, et Ceres écarquilla les yeux quand elle vit une épée dans sa main. Il se rapprocha et elle regarda l'arme en détail.
C'était une épée impressionnante. Sur le pommeau en or pur, un serpent était gravé. La lame était à double tranchant et semblait être en acier de qualité supérieure. Bien que la confection fût étrangère à Ceres, elle comprit immédiatement que c'était une arme de qualité exceptionnelle. Sur la lame elle-même, il y avait une inscription.
Le souffle coupé, ébahie, elle regarda fixement l'épée.
“C'est toi qui l'as forgée ?” demanda-t-elle, les yeux rivés sur l'épée.
Il hocha la tête.
“A la façon des gens du nord”, répondit-il. “J'ai travaillé trois ans dessus. En fait, rien que cette lame suffirait à nourrir notre famille toute une année.”
Elle le regarda.
“Dans ce cas, pourquoi ne pas la vendre ?”
Il secoua fermement la tête.
“Elle n'a pas été fabriquée pour ça.”
Il se rapprocha et, à sa grande surprise, il la lui tendit.
“Elle a été fabriquée pour toi.”
Ceres leva une main à la bouche et poussa un gémissement.
“Moi ?” demanda-t-elle, abasourdie.
Son père lui fit un grand sourire.
“Avais-tu vraiment pensé que j'avais oublié ton dix-huitième anniversaire ?” répondit-il.
Elle sentit les larmes lui envahir les yeux. Elle n'avait jamais été aussi émue.
Mais alors, elle pensa à ce qu'il avait dit avant, quand il lui avait dit qu'il ne voulait pas qu'elle devienne guerrière, et elle se sentit perplexe.
“Pourtant”, répondit-elle, “tu as dit que je ne devais pas m'entraîner.”
“Je ne veux pas que tu meures”, expliqua-t-il, “mais je vois ce qui te passionne et c'est une chose que je ne peux contrôler.”
Il lui passa la main sous le menton et lui souleva la tête jusqu'à ce que leurs regards se rencontrent.
“Je suis fier que tu aies cet idéal.”
Il lui tendit l'épée et, quand elle sentit le métal froid contre sa paume, elle ne fit qu'un avec son arme. Le poids était parfait pour elle et on aurait dit que le pommeau avait été façonné pour sa main.
Tout l'espoir qui avait péri auparavant se réveilla alors dans sa poitrine.
“Ne le dis pas à ta mère”, avertit-il. “Cache-la à un endroit où elle ne pourra pas la trouver, ou elle la vendra.”
Ceres hocha la tête.
“Combien de temps pars-tu ?”
“J'essaierai de revenir vous voir avant les premières neiges.”
“Mais c'est dans plusieurs mois !” dit-elle en reculant d'un pas.
“C'est ce que je dois faire pour —”
“Non. Vends l'épée et reste !”
Il lui plaça une main sur la joue.
“Vendre cette épée pourrait nous aider pour cette saison, et peut-être pour la suivante, mais ensuite ?” Il secoua la tête. “Non. Il nous faut une solution à long terme.”
A long terme ? Soudain, elle se rendit compte que le nouveau travail de son père n'allait pas seulement durer quelques mois mais peut-être des années.
Son désespoir s'accrut.
Comme si son père l'avait senti, il s'avança et la serra contre lui.
Elle sentit qu'elle commençait à pleurer dans ses bras.
“Tu me manqueras, Ceres”, dit-il par-dessus son épaule. “Tu es différente de tous les autres. Tous les jours, je regarderai les cieux et je saurai que tu es sous les mêmes étoiles. En feras-tu autant pour moi ?”
D'abord, elle eut envie de lui crier après, de lui dire : comment oses-tu me laisser ici toute seule ?
Cependant, elle sentait dans son cœur qu'il ne pouvait pas rester et elle ne voulait pas lui rendre les choses plus difficiles qu'elles ne l'étaient déjà.
Une larme lui coula sur le visage. Elle renifla et hocha la tête.
“Je me tiendrai sous notre arbre chaque nuit”, dit-elle.
Il l'embrassa sur le front et la prit tendrement dans ses bras. Ses blessures au dos lui faisaient aussi mal que des couteaux mais elle serra les dents et resta silencieuse.
“Je t'aime, Ceres.”
Elle voulait lui répondre mais ne pouvait rien dire car ses mots restaient coincés dans sa gorge.
Il alla chercher son cheval à l'étable et Ceres l'aida à le charger avec de la nourriture, des outils et des provisions. Il la prit une dernière fois dans ses bras et elle crut que la tristesse allait lui fendre la poitrine. Pourtant, une fois de plus, elle fut incapable de prononcer le moindre mot.
Il monta sur son cheval et hocha la tête avant de faire signe à l'animal de bouger.
Ceres lui fit des signes de la main alors qu'il s'éloignait. Elle le regarda avec une attention inébranlable jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière la colline lointaine. Le seul véritable amour qu'elle ait jamais connu venait de cet homme et, maintenant, il était parti.
La pluie se mit à descendre des cieux et elle lui gratta le visage.
“Papa !” cria-t-elle aussi fort que possible. “Papa, je t'aime !”
Elle tomba à genoux et s'enfouit les mains dans le visage en sanglotant.
Elle savait que la vie ne serait plus jamais la même.
CHAPITRE TROIS
Bien qu'elle ait mal aux pieds et que ses poumons la brûlent, Ceres grimpa à la colline escarpée aussi vite que possible sans renverser une goutte d'eau des deux seaux qu'elle portait, un de chaque côté. Normalement, elle aurait fait une pause mais sa mère avait menacé de la priver de petit-déjeuner si elle n'était