Elle avait observé Brennius et avait été impressionnée par sa façon de se battre. Il n'était pas le plus grand des seigneurs de guerre mais il calculait ses mouvements avec précision.
“Aucune chance”, répondit Nesos. “Ce sera Stefanus.”
Ceres secoua la tête.
“Stefanus mourra dans les dix premières minutes”, dit-elle catégoriquement.
Stefanus était le choix le plus évident, le plus grand des seigneurs de guerre, et probablement le plus fort, mais il n'était pas aussi réfléchi que Brennius ou que quelques-uns des autres guerriers qu'elle avait observés.
Nesos rit grossièrement.
“Si ça arrive, je te donnerai ma bonne épée.”
Elle jeta un coup d’œil à l'épée qui était attachée à sa taille. Nesos n'avait aucune idée de la jalousie qu'avait ressentie sa sœur quand Maman lui avait donné cette arme luxueuse comme cadeau d'anniversaire trois ans auparavant. Son épée à elle était une épée inutilisée que son père avait jetée sur le tas d'ordures à recycler. Oh, elle pourrait en faire de belles choses si elle avait une arme comme celle de Nesos !
“Je t'obligerai à tenir ta promesse, tu sais”, dit Ceres en souriant, alors qu'en réalité elle ne voulait surtout pas lui prendre son épée.
“Je n'en attendrais pas moins de toi”, dit-il avec un sourire en coin.
Une pensée sombre traversa l'esprit à Ceres et elle se croisa les bras devant la poitrine.
“Maman ne l'accepterait pas”, dit-elle.
“Mais Papa l'accepterait”, dit-il. “Il est très fier de toi, tu sais.”
La gentillesse de la remarque de Nesos la prit au dépourvu et, comme elle ne savait pas exactement comment l'accepter, elle baissa les yeux. Elle aimait tendrement son père et elle savait qu'il aimait lui aussi. Pourtant, pour une raison quelconque, le visage de sa mère apparut devant elle. Tout ce qu'elle voulait, c'était que sa mère l'accepte et l'aime autant que ses frères. Cependant, en dépit de tous ses efforts, Ceres sentait qu'elle ne pourrait jamais être assez bonne à ses yeux.
Sartes grogna en finissant de grimper derrière eux. Il faisait encore une tête de moins que Ceres et il était d'une maigreur extrême, mais Ceres était convaincue qu'il allait bientôt se mettre à pousser comme un bambou. C'était ce qui était arrivé à Nesos. Maintenant, il était musclé et baraqué et il la dominait du haut de son mètre quatre-vingt dix-sept.
“Et toi ?” demanda Ceres en se tournant vers Sartes. “Tu vois qui comme vainqueur ?”
“Le même que toi. Brennius.”
Elle sourit et lui ébouriffa les cheveux. Il disait toujours la même chose qu'elle.
On entendit un autre grondement, la foule s'épaissit et elle ressentit son impatience.
“Allons-y”, dit-elle, “pas de temps à perdre.”
Sans attendre, Ceres descendit du mur et, dès qu'elle atteignit le sol, elle se mit à courir. Sans détacher le regard de la fontaine, elle se fraya un chemin à travers la place, impatiente de rejoindre Rexus.
Il se tourna et écarquilla les yeux de plaisir quand elle s'approcha. Elle se précipita sur lui et sentit ses bras s'enrouler autour de sa taille alors qu'il pressait une joue pas rasée contre la sienne.
“Ciri”, dit-il de sa voix basse et rauque.
Un frisson lui parcourut l'échine quand elle se tourna et regarda Rexus dans ses yeux bleu cobalt. Comme il mesurait un mètre quatre-vingt deux, il faisait presque une tête de plus qu'elle et ses cheveux blond négligés encadraient son visage en forme de cœur. Il sentait le savon et l'extérieur. Dieux, c'était bon de le revoir. Même si elle était capable de se débrouiller dans quasiment n'importe quelle situation, sa présence lui apportait une sensation d'apaisement.
Ceres se dressa sur la pointe des pieds et enroula volontiers ses bras autour de son cou épais. Pour elle, il n'avait jamais été qu'un ami, jusqu'au jour où elle l'avait entendu parler de la révolution et de l'armée secrète dont il était membre. “Nous nous battrons pour nous libérer du joug de l'oppression”, lui avait-il dit quelques années auparavant. Il avait parlé de la rébellion avec une telle fougue que, l'espace d'un instant, elle avait vraiment cru qu'il serait possible de renverser la caste royale.
“Comment était la chasse ?” demanda-t-elle avec un sourire. Elle savait qu'il était parti plusieurs jours.
“Ton sourire m'a manqué.” Il caressa ses longs cheveux roses dorés. “Et tes yeux émeraude aussi.”
Rexus avait aussi manqué à Ceres mais elle n'osait pas le dire. Elle avait peur de perdre leur amitié en allant trop loin.
“Rexus”, dit Nesos qui, suivi de près par Sartes, les rattrapa et lui serra le bras.
“Nesos”, dit-il de sa voix grave et autoritaire. “Si on veut entrer, il faut qu'on se dépêche”, ajouta-t-il en faisant signe aux autres de la tête.
Ils partirent tous hâtivement et se mêlèrent à la foule qui se dirigeait vers le Stade. Les soldats de l'Empire étaient partout et ils faisaient avancer la foule, parfois à coups de bâton ou de fouet. Plus ils se rapprochaient de la route qui menait au Stade, plus la foule s'épaississait.
Soudain, Ceres entendit crier près un des stands et, instinctivement, elle se tourna vers le son. Elle vit qu'un grand espace s'était ouvert autour d'un petit garçon qui était avec deux soldats de l'Empire et un marchand. Quelques badauds prirent la fuite alors que d'autres restèrent en regardant la scène bouche bée, en cercle.
Ceres se précipita en avant et vit un des soldats faire tomber une pomme de la main du garçon tout en tenant le bras au petit et en le lui secouant violemment.
“Voleur !” grogna le soldat.
“Pitié, je vous en supplie !” cria le garçon, dont les larmes coulaient sur ses joues sales et creuses. “J'avais … tellement faim !”
Ceres sentit la compassion lui envahir le cœur, car elle avait ressenti la même faim et savait que les soldats ne se gêneraient pas pour être cruels.
“Laissez partir ce garçon”, dit calmement le marchand costaud d'un geste de la main qui fit briller son anneau d'or au soleil. “Ça ne va pas me ruiner de lui donner une pomme. J'ai des centaines de pommes.” Il gloussa un peu, comme pour montrer que la situation n'était pas si grave.
Cependant, la foule se rassembla autour d'eux et se fit silencieuse quand les soldats se tournèrent vers le marchand en faisant cliqueter leur armure brillante. Ceres ressentit un pincement au cœur, inquiète pour le marchand, car elle savait que personne ne prenait jamais le risque de se mettre l'Empire à dos.
Le soldat s'avança vers le marchand d'un air menaçant.
“Tu défends un criminel ?”
Le marchand regarda les deux soldats l'un après l'autre, moins sûr de lui-même qu'avant. Alors, le soldat se tourna et frappa le garçon au visage. Le coup produisit un craquement qui fit frissonner Ceres.
Le garçon tomba par terre avec un bruit sourd et la foule eut le souffle coupé.
En désignant le marchand du doigt, le soldat dit : “Pour prouver ta loyauté envers l'Empire, tu vas tenir le garçon pendant qu'on le fouette.”
Le regard du marchand se durcit et il transpira du front. A la grande surprise de Ceres, il refusa de céder.
“Non”, répondit-il.
Le second soldat fit