Madame de Sévigné, huit jours après l'entrée de madame de la Vallière aux Carmélites, écrit au comte de Guitaud, alors gouverneur des îles Sainte-Marguerite:
«Je veux parler de madame la duchesse de la Vallière. La pauvre personne a tiré la lie de tout; elle n'a pas voulu perdre un adieu ni une larme. Elle est aux Carmélites, où, huit jours durant, elle a vu ses enfants et toute la cour (c'est-à-dire ce qui en reste216). Elle a fait couper ses cheveux, mais elle a gardé deux belles boucles sur le front. Elle caquète et dit merveilles. Elle assure qu'elle est ravie d'être dans une solitude; elle croit être dans un désert, pendue à cette grille. Elle nous fait souvenir de ce que nous disait, il y a bien longtemps madame de la Fayette après avoir été deux jours à Ruel, que, pour elle, elle s'accommoderait bien de la campagne217.»
Six semaines après, le troisième dimanche de la Pentecôte (le 3 juin), la Vallière revêtit l'habit des carmélites, et quitta, ayant à peine trente ans, son nom et ses titres pour prendre celui de sœur Louise de la Miséricorde. Cette cérémonie de la vêture attira un auditoire nombreux au discours que prononça dans cette occasion l'évêque d'Aire218. Nous ignorons si madame de Sévigné revint de Livry, où elle était au commencement de juin, pour assister à cette cérémonie; mais nous savons qu'elle n'assista pas à la cérémonie plus auguste qui eut lieu l'année suivante, le mardi (4 juin 1675) de la Pentecôte, lorsque la Vallière, ayant terminé son noviciat, prononça ses vœux, reçut le voile noir des mains de la reine, et dit au monde un éternel adieu. Madame de Sévigné exprima ainsi à sa fille les regrets qu'elle éprouvait de ne s'être point trouvée ce jour-là aux Carmélites avec la reine, MADEMOISELLE, mademoiselle d'Orléans, la duchesse de Longueville, la duchesse de Guise et beaucoup d'autres princesses et dames, dit la Gazette219:
«La duchesse de la Vallière fit hier profession. Madame de Villars m'avait promis de m'y mener, et, par un malentendu, nous crûmes n'avoir point de places. Il n'y avait qu'à se présenter, quoique la reine eût dit qu'elle ne voulait pas que la permission fût étendue. Tant y a que Dieu ne le voulut pas. Madame de Villars en a été affligée. Elle fit donc cette action, cette belle et courageuse personne, comme toutes les autres de sa vie, d'une manière noble et charmante. Elle était d'une beauté qui surprit tout le monde; mais ce qui vous étonnera, c'est que le sermon de M. de Condom (Bossuet) ne fut pas aussi divin qu'on l'espérait220.»
Le jugement que porte madame de Sévigné de ce discours paraîtra exact à ceux qui ne le liront pas avec les favorables préventions de l'historien du grand prélat221, qui en a jugé différemment. Cette action de la Vallière était plus sublime que la plus sublime éloquence. «Au moment où on la mit sous le drap mortuaire (dit la duchesse d'Orléans), je versai tant de larmes que je ne pus me laisser voir davantage. Après la cérémonie elle vint me trouver pour me consoler, et elle me dit qu'il fallait plutôt la féliciter que la plaindre, puisque son bonheur commençait dès ce moment222.»
Cinq ans après, madame de Sévigné revit encore madame de la Vallière; et sa correspondance nous prouve que toujours elle conserva pour elle les généreux sentiments qu'elle a manifestés dans les dernières lettres que nous avons citées.
Le 5 janvier 1680 elle écrit à sa fille223:
«Je fus hier aux grandes Carmélites avec MADEMOISELLE (mademoiselle de Montpensier), qui eut la bonne pensée de mander à madame de Lesdiguières de me mener. Nous entrâmes dans ce saint lieu. Je fus ravie de l'esprit de la mère Agnès (Gigault de Bellefonds, sœur du maréchal); elle me parla de vous comme vous connaissant par sa sœur (la marquise de Villars). Je vis madame Stuart, belle et contente. Je vis mademoiselle d'Épernon (elle s'était faite carmélite par la douleur que lui causa la mort du chevalier de Fiesque en 1648), qui ne me trouva pas défigurée; il y avait plus de trente ans que nous ne nous étions vues..... Mais quel ange m'apparut à la fin! car M. le prince de Conti (le gendre de la Vallière) la tenait au parloir. Ce fut, à mes yeux, tous les charmes que nous avons vus autrefois; je ne la trouvai ni bouffie ni jaune; elle est moins maigre et plus contente; elle a ses mêmes yeux et ses mêmes regards; l'austérité, la mauvaise nourriture et le peu de sommeil ne les lui ont ni creusés ni battus; cet habit si étrange n'ôte rien à la bonne grâce ni au bon air. Pour sa modestie, elle n'est pas plus grande que quand elle donnait au monde une princesse de Conti; mais c'est assez pour une carmélite. Elle me dit mille honnêtetés, me parla de vous si bien, si à propos; tout ce qu'elle dit était si assorti à sa personne que je ne crois pas qu'il y ait rien de mieux. M. de Conti l'aime et l'honore tendrement; elle est son directeur; ce prince est dévot et le sera comme son père. En vérité, cet habit et cette retraite sont une grande dignité pour elle.»
Et plus tard madame de Sévigné oppose à l'orgueil des autres maîtresses de Louis XIV le souvenir de cette «petite violette qui se cachait sous l'herbe, honteuse d'être maîtresse, d'être mère, d'être duchesse224.» C'est encore madame de Sévigné qui, en annonçant à sa fille la mort du frère de madame de la Vallière (gouverneur et grand sénéchal de la province du Bourbonnais), nous fait connaître l'admiration et les regrets peut-être (les passions sont si capricieuses et produisent sur les volontés humaines des effets si bizarres!) que fit éprouver à Louis XIV ce grand triomphe, dans la Vallière, de la religion sur l'amour.
«M. de la Vallière est mort… Sœur Louise de la Miséricorde fit supplier le roi de conserver le gouvernement pour acquitter les dettes, sans faire mention de ses neveux. Le roi lui a donc donné ce gouvernement, et lui a mandé que, s'il était assez homme de bien pour voir une carmélite aussi sainte qu'elle, il irait lui dire lui-même la part qu'il prend de la perte qu'elle a faite225.»
Louis XIV était sincère: la pensée du salut, qui devait bientôt le préoccuper assez fortement pour mettre un terme à la licence de ses mœurs, lui faisait mieux comprendre qu'à tous ceux qui l'entouraient ce que pouvait sur le cœur de la Vallière la passion pour Dieu. Il savait, lui, le grand coupable, que, pour avoir la plus forte part aux prières de cette vraie religieuse, il devait respecter l'enceinte où elle s'était retirée. Madame de Montespan était aussi tourmentée; mais alors, dans l'enivrement de la faveur, elle ne pouvait avoir cette même délicatesse de sentiment, et elle crut se montrer généreuse en accompagnant plusieurs fois la reine, dont elle était une dame d'honneur, dans ses visites aux grandes Carmélites. Madame de Montespan, par des questions indiscrètes et par l'offre plus indiscrète encore de ses services, s'attira une réponse courte, froide et digne de madame de la Vallière; réponse faite, dit madame de Sévigné, d'un air tout aimable et avec toute la grâce, l'esprit et la modestie imaginables226.
Peu d'années après, Montespan, retirée de la cour, mais non du monde, et, dans le monde, tourmentée du désir de faire son salut, apprécia mieux Louise de la Miséricorde; elle en fit son amie, sa consolatrice et enfin le directeur de sa conscience227.
La Vallière occupe plus de place dans la vie de Louis XIV par son repentir que par son amour. Cette belle victime, offerte à Dieu en expiation des désordres de ce roi, fit sur lui une impression profonde, que ni les autres maîtresses ni les distractions de la guerre ou de la politique ne purent effacer. La Vallière ne fut jamais plus présente à la pensée de Louis XIV que depuis qu'elle eut abandonné sa cour; jamais elle ne lui apparut sous des traits plus divins que lorsqu'il se fut interdit sa vue. Il saisissait avec joie les occasions de lui continuer ses bienfaits dans ses parents, dans ses enfants. Aux occasions