Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique. Constantin-François Volney. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Constantin-François Volney
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Книги о Путешествиях
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ce que l’on estime donner une pente d’environ 12 pouces par lieue; or la distance de Pittsburg aux rapides de Louisville, en suivant les détours du fleuve, ne s’évalue pas actuellement à 590 milles, que l’on peut réduire à environ 180 lieues61.

      Il en résulte par aperçu une différence de niveau d’environ 180, ou si l’on veut, 200 pieds: à défaut de mesures précises pour la hauteur du sillon des côtes, supposons-lui-en 200: il sera encore vrai qu’une telle digue a pu contenir les eaux, et les refouler jusque vers Pittsburg: et le lecteur trouvera une telle hypothèse encore plus probable, quand il se rappellera ce que j’ai déja dit (pag. 26), que tout l’espace compris entre l’Ohio et le lac Érié, est un grand plateau d’un niveau presque insensible: assertion qui se démontre par plusieurs faits hydrauliques incontestables.

      1º L’Ohio dans ses débordements annuels, même avant de sortir de son lit sur la première banquette, c’est-à-dire avant d’atteindre à 50 pieds de son fond, refoule le grand Miami jusqu’à Grenville, lieu situé à 72 milles au nord dans les terres; il y a causé stagnation, et même inondation, ainsi que me l’assurèrent les officiers que je trouvai à ce poste, quartier-général de l’expédition du général Wayne en 1794.

      2º Dans les inondations du printemps, la branche nord du grand Miami se confond avec la branche sud du Miami du lac Érié (ou rivière Sainte-Marie)62: alors le portage63 d’une lieue qui sépare leurs têtes, disparaît sous l’eau, et l’on passe en canot du fort Loremier à Guertys-town, c’est-à-dire, d’un affluent d’Ohio dans un affluent d’Érié, comme je l’ai vu sur les lieux, en 1796.

      3º A ce même lieu de Loremier, vient aboutir une branche orientale de la Wabash, qu’un simple fossé joindrait aux deux rivières précédentes; et cette même Wabash par une branche nord, communique au-dessus du fort Wayne, toujours dans la saison des grandes eaux, au Miami du lac Érié.

      4º Pendant l’hiver de 1792 à 1793, deux pirogues furent expédiées du fort Détroit sur le Saint-Laurent, par une maison de commerce, de qui je tiens le fait, et elles passèrent immédiatement et sans portage de la rivière Huron, qui verse au lac Érié, dans la rivière Grande, qui verse au lac Michigan, par les eaux débordées des têtes de ces deux rivières.

      5º La rivière Moskingom, qui coule dans l’Ohio, communique également par ses sources et par de petits lacs aux eaux de la rivière Cayahoga, qui verse dans l’Érié.

      De tous ces faits, il résulte que le sol dominant du plateau entre l’Érié et l’Ohio, ne saurait excéder de plus de 100 pieds le niveau de la première banquette de ce fleuve, ni de plus de 70 celui de la seconde, qui est la surface générale du pays: par conséquent une digue de 200 pieds seulement, placée à Silver-creek, a suffit non-seulement à refouler les eaux jusqu’au lac Érié, mais encore à les étendre depuis les dernières rampes de l’Alleghany jusqu’au nord du lac supérieur.

      Au reste, quelque élévation que l’on admette à cette digue naturelle, soit même que l’on suppose en divers lieux plusieurs digues qui auraient versé successivement les unes sur les autres, l’existence d’eaux sédentaires dans cette contrée de l’Ouest, et de lacs anciens tels que je les ai démontrés entre Blue-ridge et North-mountain, n’en est pas moins un fait incontestable pour tout observateur du terrain; et ce fait explique, d’une manière satisfaisante et simple, une foule d’accidents locaux qui, par contre-coup, lui servent de preuve: par exemple, ces anciens lacs expliquent pourquoi dans la totalité du bassin d’Ohio, les terres sont toujours nivelées par couches horizontales; pourquoi ces couches descendent par ordre graduel de pesanteur spécifique; pourquoi l’on trouve en divers lieux des débris d’arbres, de roseaux, de plantes et même d’animaux, tels que les ossements des mâmouts entassés entre autres au lieu appelé Bigbones, 36 milles au-dessus de l’embouchure de la rivière Kentucky, et qui n’ont pu être ainsi rassemblés que par l’action des eaux: enfin ils donnent une solution aussi heureuse que naturelle de la formation des couches de charbon fossile qui se trouvent de préférence dans certains cantons et dans certaines situations du pays.

      En effet, d’après les fouilles que l’industrie des habitants multiplie depuis 20 ans, il paraît que c’est spécialement au-dessus de Pittsburg, dans l’espace compris entre le chaînon de Laurel et les hautes branches des rivières Alleghany et Monongahéla, qu’il existe une couche presque universelle de charbon de terre à la profondeur moyenne de 12 à 16 pieds: cette couche est appuyée sur le banc horizontal de pierres calcaires, et recouverte de couches de schistes et d’ardoises; elle ondule avec le banc et avec ces couches sur les coteaux et dans les vallons; elle est plus épaisse dans ceux-ci, plus mince sur ceux-là, et en général elle a 6 à 7 pieds d’épaisseur: par sa situation topographique, l’on voit qu’elle affecte le bassin inférieur des 2 rivières dont j’ai parlé, et de leurs affluentes, Yohogany et Kiskéménitas, qui versent toutes par un terrain assez plane dans l’Ohio sous Pittsbourg: or, dans l’hypothèse du grand lac dont j’ai parlé, cette partie se serait trouvée primitivement être la queue de ce lac, et le point des eaux mortes causées par son refoulement: il est reconnu par les naturalistes que les charbons fossiles ne sont que des amas d’arbres entraînés, puis recouverts de terres par les rivières et les torrents: ces amas ne se font point dans le courant, mais dans les lieux de remous où ils sont abandonnés à leur propre poids: ce mécanisme se montre encore aujourd’hui dans beaucoup de rivières des États-Unis, mais surtout dans le Mississipi qui, comme je l’ai dit, entraîne annuellement une immense quantité d’arbres: quelques portions de ces arbres se déposent dans les anses ou baies de ses rivages où les eaux tournoient et reposent; mais la plus grande masse arrive aux bords de la mer; et parce que là il y a équilibre entre le cours du fleuve et les marées de l’océan, les arbres, s’y fixent par un mouvement stationnaire, et ils y sont enfouis par la double action du reflux de la mer et du courant du fleuve, sous les vases et les sables. De même, dans les temps anciens, les rivières qui versent des Alleghanys et du chaînon de Laurel dans le bassin d’Ohio, trouvant vers Pittsburg les eaux mortes et la queue du grand lac, y déposèrent les arbres que chaque année elles entraînent encore par milliers dans les fontes de neiges et les grands dégels du printemps; ces arbres y furent entassés par couches nivelées comme le liquide qui les portait: et parce que la digue du lac se surbaissa successivement, ainsi que je l’ai expliqué, sa queue descendit aussi de proche en proche; et par ce mécanisme le local des dépôts se prolongeant à sa suite, forma cette vaste nappe qui, par le laps des temps postérieurs, s’est recouverte de terre, de graviers, et a pris l’état que nous lui voyons. Si nous pouvions connaître la durée nécessaire à convertir en charbon fossile les arbres enfouis avec de telles circonstances, ces opérations de la nature deviendraient pour nous des échelles chronologiques d’une autorité bien différente de celle des chronologies rêvées par des visionnaires chez des peuples barbares et superstitieux.

      Les charbons fossiles se retrouvent en plusieurs autres lieux des États-Unis, et toujours dans des circonstances, analogues à celles que je viens d’exposer.

      Évans parle d’une mine située près du Moskingom, vis-à-vis de l’embouchure du ruisseau Laminski-cola, laquelle prit feu en 1748, et brûla pendant une année entière. Cette mine appartient au même système dont je viens de parler, et les grandes rivières qui versent dans l’Ohio, doivent presque toutes avoir des dépôts de ce genre dans leurs parties plates et dans leurs cantons de remous.

      La branche supérieure du Potômac, au-dessus et à la gauche du fort Cumberland, est devenue célèbre depuis quelques années pour des couches de charbon fossile disposées en dunes sur ses rives, de telle manière que les bateaux se mettent au pied de la berge et font un chargement immédiat: or ce local porte toutes les apparences d’un lac qui aurait été formé par un ou plusieurs des nombreux sillons transverses qui barrent le Potômac au-dessus et au-dessous du fort Cumberland.

      En Virginie, le lit du fleuve James, dix milles au-dessus


<p>61</p>

Hutchins suppose près de 700 milles; mais il faut remarquer que ce géographe n’eut aucun moyen exact et géométrique de mesurer l’Ohio: il le descendit en bateau, dans un temps de guerre avec les sauvages, calculant sa marche par le courant, sans faire de relevé à terre, dans la crainte de surprises toujours menaçantes: depuis quelques années, la navigation plus libre du fleuve a établi des calculs plus justes, et prouvé que ceux de Hutchins pèchent tous par excès; ainsi, du petit Miami aux rapides, l’on compte 145 milles, au lieu de 184 qu’il portait. Du grand Kanhawa au petit Miami, 207, au lieu de 231; en général, on le réduit d’un septième.

<p>62</p>

Il y a trois Miamis, le petit, au-dessus de Cincinnati; le second ou grand Miami, au-dessous de ce même poste, tous deux versant dans l’Ohio, et le troisième versant dans le lac Érié.

<p>63</p>

Portage est l’espace de terre qui se trouve entre deux eaux navigables, parce que l’on est obligé de porter le canot pour passer de l’une à l’autre; c’est ce que les anglais appellent carrying place.