Je te salue, ô fiole, qu'avec un pieux respect je prends entre mes mains! En toi seule j'honore l'esprit et la science humaine. Essence des sucs les plus doux, de ceux qui procurent le sommeil, tu contiens toutes les forces qui tuent; accorde à ton maître tes précieuses faveurs. En te regardant, je sens mes douleurs s'endormir; en te saisissant, mon agitation se calme et disparaît; de moment en moment, le trouble de mes esprits se dissipe. Je suis entraîné vers la haute mer, les flots limpides brillent à mes pieds comme un miroir, sur de nouvelles plages éclate un jour nouveau.
Un char de feu, garni d'ailes légères, s'arrête auprès de moi. Ce char ailé va m'ouvrir de nouvelles routes à travers les espaces éthérés, dans ces sphères sereines, où l'activité ne rencontre rien qui l'entrave. Mais une existence si ravissante, de si divines extases, comment, chétif insecte, les as-tu méritées?.. Oui, oui, détourne-toi seulement avec courage de ce doux soleil, qui éclaire notre monde; ose enfoncer ces portes, d'où chacun se recule en frémissant. Il est temps de prouver que la dignité de l'homme ne le cède en rien à la gloire des Dieux. Ne tremble plus devant ce gouffre mystérieux, où l'imagination se condamne à des tortures qu'elle inventa; marche vers cette avenue, dont l'issue étroite vomit les flammes de l'enfer; accomplis avec calme ton dessein… au risque même d'être anéanti.
Toi, sors maintenant de ton vieil étui, coupe d'un cristal pur, à laquelle il y a tant d'années que je n'ai songé! Tu brillais jadis aux festins de mes aïeux, et ton apparition déridait aussitôt leurs fronts chargés d'ennuis. Chacun d'eux à son tour, te prenant dans ses mains, s'imposait la loi de célébrer en vers la beauté des figures que l'artiste a ciselées sur tes bords, puis de te vider d'un seul trait. Tu me fais souvenir des nuits de ma jeunesse… Hélas! je n'ai plus de convive à qui je puisse t'offrir, il n'y a plus d'assemblée pour applaudir à mes chansons. La liqueur, qui te remplit, enivre vite; elle est épaisse et noirâtre: je l'ai préparée, je la choisis. Que cette boisson, la dernière de toutes, me serve de libation solennelle: je la consacre à l'aurore d'un jour nouveau!
(Il approche la coupe de ses lèvres. On entend le son des cloches et le chant des chœurs.)
Christ est ressuscité.
Paix à l'âme immortelle,
Qui garde encore en elle
La tache originelle
De son iniquité!
Quels tintements sourds, quels tons éclatants, viennent arracher la coupe à mes lèvres avides? Cloches retentissantes, sonnez-vous déjà la première heure de la fête de Pâques? Chœurs, entonnez-vous déjà ces chants de consolation, qui percèrent jadis la nuit du tombeau, quand la voix des Anges s'éleva pour annoncer la nouvelle alliance?
D'huiles nouvelles
Oignant son front pâli,
Nous, ses fidèles,
L'avions enseveli.
Hier encore
Nous étions là, couvrant de fins tissus
Ses membres nus;
Voici l'aurore,
Et Christ, hélas! Christ ne s'y trouve plus.
Christ est ressuscité,
Heureuse l'âme pure
Qui souffre sans murmure,
Et supporte l'injure
Avec humilité!
Chants célestes, puissants et doux, pourquoi me cherchez-vous dans la poussière? Faites-vous entendre aux hommes que vous touchez encore. Mon oreille saisit, aussi bien que la leur, le message que vous apportez; mais la foi me manque, et le miracle est l'enfant chéri de la foi. Je n'ose aspirer à cette région, d'où descend la bonne nouvelle… Et toutefois, accoutumé dès l'enfance à vos sons, ils me rappellent à la vie malgré moi. Jadis un baiser de l'amour divin me ravissait aux cieux, pendant la solennité grave et paisible du dimanche! La lente harmonie des cloches, berçant alors mon âme, l'agitait de doux pressentiments; et la prière était pour moi une jouissance ardente. Des désirs d'une pureté incroyable s'emparaient de moi, et m'entraînaient à parcourir les bois et les prairies; je versais de délicieuses larmes, j'entrevoyais un monde de bonheur. Ces chants préludaient aux ébats joyeux de la jeunesse, ils ouvraient l'aimable fête du printemps… Même à présent leur souvenir, si plein d'émotions enfantines, me fait reculer devant le pas que j'allais franchir. Oh! faites-vous entendre encore, chants célestes et doux! Une larme coule, la terre m'a reconquis.
De sa tombe funeste
Quittant l'obscurité,
Vers la voûte céleste
Christ est monté.
Son âme prisonnière
Renaît à la lumière,
Pour ne jamais mourir;
Las! et nous, pour souffrir,
Nous restons sur la terre.
Entre tous ses élus
Nous qu'il aima le plus,
Il nous laisse en arrière
Sourd à notre douleur,
Il vient de disparaître…
O divin maître,
Nous pleurons ton bonheur.
Christ est ressuscité
Du sein de la mort même.
Pour ceux qu'il aime
O bien suprême,
Pure félicité!
Âmes captives,
Rompez vos fers.
En de joyeux concerts,
Âmes plaintives,
Changez vos pleurs amers.
Et vous dont la bouche
Ne mentit jamais,
Hommes droits et vrais
Que sa loi touche;
Christ aujourd'hui
Est votre appui,
Christ vous appelle:
Troupe fidèle,
Venez à lui!
Pourquoi donc par là?
Nous allons au rendez-vous de chasse.
Gagnons le moulin, nous autres.
Je vous conseille plutôt d'aller au cours-d'eau.
La route qui y mène est trop laide.
Et toi, que fais-tu?
Je m'en vais avec les autres.
Venez à Burgdorf. Je vous jure que vous y trouverez les plus jolies filles et la meilleure bière du canton, et des affaires de première qualité.
Quel gaillard! est-ce que les épaules te démangent pour la troisième fois? Vas-y sans moi, j'ai trop peur de cet endroit-là.
Non, non, je m'en retourne à la ville.
Nous le trouverons sûrement sous ces peupliers.
Grand