A. S.
Nota. Le portrait de l'auteur de Faust, mis en tête du présent volume, a été exécuté par M. Delacroix d'après un croquis, fait à Weimar au commencement de l'année 1827, que M. de Goethe avait envoyé dans ce but à l'éditeur; et le nom inscrit au bas de ce portrait est un fac-similé exact de la signature d'une lettre de lui, écrite vers la même époque, dont on lira un passage dans la note 2.
FAUST
PERSONNAGES DU PREMIER PROLOGUE
UN DIRECTEUR DE THÉATRE.
UN POÈTE DRAMATIQUE.
UN PERSONNAGE BOUFFON.
PERSONNAGES DU SECOND PROLOGUE.
LE SEIGNEUR.
MÉPHISTOPHÉLÈS.
RAPHAËL,}
GABRIEL,} Archanges.
MICHEL, }
LES ARMÉES CÉLESTES.
PERSONNAGES DE LA TRAGÉDIE.
LE DOCTEUR HENRI FAUST.
WAGNER, son domestique.
MÉPHISTOPHÉLÈS.
UN ÉCOLIER.
FROSCH, }
BRANDER,} Compagnons de bouteille, jeunes débauchés de Leipzig
SIEBEL, }
ALTMAYER,}
MARGUERITE, maîtresse de Faust.
MARTHE, voisine de Marguerite.
LISETTE, compagne de Marguerite.
VALENTIN, soldat, frère de Marguerite.
BOURGEOIS, PAYSANS, MENDIANTS, ETC.
UNE SORCIÈRE.
ANIMAUX À SES ORDRES.
UN MAUVAIS ESPRIT.
UN FEU FOLLET.
ESPRITS AUX ORDRES DE MÉPHISTOPHÉLÈS.
SORCIERS ET SORCIÈRES, CHŒURS D'ANGES ET DE FIDÈLES, VOIX D'EN HAUT, etc.
PROLOGUE SUR LE THÉÂTRE
Vous qui m'avez si souvent prêté votre appui dans mes revers de fortune, dites-moi franchement, mes amis, ce que vous espérez en Allemagne de notre entreprise. Mon plus grand désir serait de plaire à la multitude; il n'est qu'elle au monde qui vive et fasse vivre. Déjà les pieux sont enfoncés en terre, les planches sont clouées sur les pieux, et chacun se promet une fête: les spectateurs garnissent déjà les bancs; et, immobiles, les sourcils élevés, l'œil fixe, ils ne demandent qu'à applaudir. Je n'ignore pas la manière de se concilier les suffrages du public; eh bien! jamais pourtant je ne me suis senti tant d'inquiétude qu'aujourd'hui. Il est vrai qu'en fait de chefs-d'œuvre ils ne sont pas gâtés; mais ils ont terriblement lu. Comment allons-nous donc nous y prendre pour leur donner quelque chose qui leur semble neuf, et qui les intéresse en même temps? Car, je ne m'en cache point, aucun spectacle ne vaut à mes yeux celui de la multitude, lorsqu'elle roule ses vagues contre nos tréteaux, et qu'avec l'impétuosité du vent elle s'engouffre dans la porte étroite. Au grand jour, dès quatre heures, ils assiègent déjà le bureau, et se feraient assommer pour un billet; comme à la porte d'un boulanger on le ferait pour un pain, s'il y avait disette. Et ce miracle opéré sur tant d'hommes à la fois, c'est l'ouvrage d'un seul, c'est l'ouvrage du poète. O mon ami, opère ce miracle aujourd'hui, je t'en conjure.
Non, ne me parle pas de cette foule aveugle à sa vue, l'inspiration nous abandonne. Cache-moi cette multitude, dont les flots nous entraînent malgré nous dans le tourbillon du monde. C'est au-dessus des nuages qu'il faut me conduire, dans ces régions tranquilles où règne, pour le poète, une volupté pure, où l'amour et l'amitié, consolateurs de nos peines, nous tendent une main céleste, une main créatrice. Hélas! ce qui jaillit du fond de notre âme, ce que bégaient nos lèvres tremblantes, tantôt avorté, tantôt couronné d'un succès éphémère, disparaît englouti dans le gouffre du temps. Mais souvent il arrive aussi qu'après avoir traversé sans gloire un siècle ou deux, notre génie secoue les linceuls de l'oubli, et soulève une tête colossale. Ce qui brille ne dure qu'un temps; jamais le vrai beau n'est perdu pour la postérité.
Si on voulait bien ne pas toujours parler de la postérité!.. Supposons que moi je me misse à m'occuper de la postérité, qui donc se chargerait d'amuser mes contemporains? Et il n'y a pas à dire, il faut qu'ils s'amusent. Le suffrage d'un honnête homme est, ce me semble, déjà quelque chose. D'ailleurs celui qui sait parler un langage convenable, n'a rien à redouter des caprices du peuple; au contraire, plus le cercle est nombreux, plus il est certain de l'émouvoir. Soyez beau tant que vous voulez, et montrez-vous original; que chez vous l'imagination se déploie avec tout son cortège de raison, d'esprit, de sentiment, de passion; mais, prenez-y bien garde, jamais sans un grain de folie.
Surtout faites la part un peu large; que les événements se pressent. Pourquoi vient-on? pour voir: on veut voir à toute force. Qu'il y ait donc beaucoup à voir, afin de faire ouvrir de grands yeux à la foule; et votre cause est gagnée, et vous êtes un homme adorable. Ce n'est que par la masse, que vous agirez sur la masse; car, enfin, chacun cherchant quelque chose qui lui convienne, celui qui apporte beaucoup, apportera à chacun quelque chose; et nul ne sortira mécontent de la salle. Donnez votre pièce en petite monnaie, elle aura un débit plus sûr et plus prompt. Qu'elle se décompose, aussi facilement qu'elle fût composée. À quoi bon produire un tout compact? Le public vous le plumera comme un geai.
Vous ne sentez pas tout ce qu'il y a de vulgaire dans un pareil métier, combien le véritable artiste y répugne! Le barbouillage de ces messieurs est, je le vois, dans votre méthode.
Ce reproche ne m'atteint pas. Un ouvrier qui songe à bien travailler, doit acheter le meilleur outil possible: songez donc, vous, que vous avez du bois mou à fendre, et voyez quels sont ceux pour qui vous écrivez. Pendant que l'ennui nous amène celui-là, celui-ci sort d'un repas splendide où il s'en est mis jusqu'au gosier; et, ce qu'il y a de pis encore, plus d'un vient d'achever la lecture des gazettes. On se hâte d'entrer chez nous, distrait comme pour une mascarade; et la curiosité seule donne des ailes aux plus tardifs: les belles dames se couvrent de parures, et jouent leur rôle gratis… Que diantre rêvez-vous sur votre Parnasse? En quoi peut vous inspirer une salle garnie de monde? Eh! regardez de près nos Mécènes. Ils sont, les uns blasés, les autres à moitié ours: l'un, après le spectacle, s'attend à une partie de jeu, l'autre à une nuit de plaisirs dans les bras de sa maîtresse. Y pensez-vous, pauvres fous, d'aller prostituer à ces gens-là les chastes Muses? Je vous le répète, donnez-leur en de toute couleur et de toute qualité: ainsi vous ne manquerez jamais votre but. Cherchez à intriguer les hommes; les contenter est trop difficile… Mais qu'est-ce qui vous prend? Extase? douleur?
Va loin d'ici chercher un autre esclave… Que pour ton bon plaisir le poète déshonore son plus beau titre! qu'il renonce au droit sacré dont la nature l'a investi!.. Par quelle puissance émeut-il les âmes? par quelle puissance bouleverse-t-il les éléments? N'est-ce point à l'aide de l'accord parfait qui règne en lui-même, et qui oblige l'univers à se reconstruire au fond de son propre cœur? Pendant que la Nature, tournant son fuseau d'une main insouciante, démêle, en se jouant, les fils éternels de toute existence, pendant que la foule tumultueuse des êtres se presse en désordre, et accomplit péniblement sa dure destinée; qui sait animer d'un feu divin cette masse inerte, uniforme, et l'assujettir aux lois de l'harmonie? Qui sait faire rentrer l'individu isolé dans l'ordre universel? Qui répand un doux crépuscule sur les sens absorbés dans une méditation austère? Qui sème toutes les jolies fleurs du printemps le long du sentier foulé par une amante? Qui dépouille de leurs feuilles les arbres, où