L'air de Galli,
Oh colpo impensato!
est assez commun. Rossini, voyant Galli avoir peu de succès à Naples, se réconcilia avec cet ancien rival, et lui fit cet air tout à fait écrit dans ses cordes.
Le commencement du récitatif:
Che vuol dire quel pianto?
est bien. Il y a du sentiment tragique et sombre dans
M'investe, m'assale.
Nous sommes attendris par un rayon de beau idéal sur
Per te, dolce figlia;
mais perche amica spemè? est détestable; c'est du mauvais Rossini, des agréments de concert au lieu de pathétique, et, pour comble de misère, des agréments qui ne sont que des réminiscences d'opéra buffa33.
L'air finit par de beaux accents tragiques sur
Scoperto, avvilito,
Proscritto, inseguito.
Zuchelli chante cet air d'une manière admirable; c'est bien là le désespoir d'une âme tendre. Le public n'a pas encore été averti du mérite de ce chanteur.
A la manière dont Rossini a écrit, pour Galli, cet air de réconciliation, je croirais qu'il boudait encore. Les savants remarquent, comme une chose nouvelle, que vers la fin l'orchestre va beaucoup plus haut34 que le chant et cependant ne le couvre pas; on sent à tous moments, en voyant célébrer comme des nouveautés des choses aussi simples, que la science de la musique est encore au berceau.
Le chœur des juges,
Tremate, o popoli,
est superbe. Voilà le triomphe du style magnifique, la terreur35. Ce chœur est tellement imposant, que je n'ai jamais vu rire à Louvois, à l'aspect de tout un tribunal de première instance, la toque en tête, qui se met à chanter. On dit que ce morceau ressemble un peu à un chœur de l'Orfeo de Gluck; je le croirais plutôt imité de Haydn, s'il est imité.
L'arrivée de Ninetta, la lecture de la sentence de mort, sont des moments terribles que je ne chercherai pas à rappeler au lecteur; heureux si je pouvais terminer ici l'analyse de la Gazza ladra, mais je serais trop injuste envers Rossini.
Gia d'intorno
Ulular la morte ascolto,
glace le sang, surtout le mot ulular; c'est à faire trouver mal les gens nerveux. L'entrée de Galli est sublime
O là! fermate.
A l'exception de mademoiselle Mars, la scène française ne nous a rien offert de comparable depuis Monvel. En Italie, j'ai vu à de'Marini, et surtout à la Pallerini, des moments au moins aussi beaux. Iffland, à Berlin, en 1807, avait une ou deux entrées comparables à celles de Galli.
Dans les situations extrêmes, il n'y a plus lieu à cantilène, le récitatif suffit. Les paroles suivantes de Galli sont une preuve de cette vérité singulière et si contraire aux théories vulgaires:
Son vostro prigioniero,
Il capo mio troncate36.
Il me semble que les spectateurs sont émus au point de sentir distinctement quel est le véritable cri de la nature. Des spectateurs amenés à ce point d'émotion sont dangereux; ils repoussent avec horreur toute entreprise que l'art pourrait tenter pour embellir la nature37.
La musique est à la hauteur des paroles dans ces deux vers terribles, chantés par les juges et le préteur avec l'accent imposant d'une nombreuse réunion de voix de basse:
L'uno in carcere,
E l'altro sul patibolo38.
Galli était au-dessus de tous les éloges, et laissera un souvenir durable, même à Paris, dans
Un padre, una figlia
A tante sciagure
Chi mai reggerà?
Cette scène magnifique, la plus forte de l'opéra italien moderne et de l'œuvre de Rossini, se termine dignement par
Ah! neppur l'estremo amplesso,
Questo è troppa crudeltà.
Je dois invoquer ici un principe en faveur de Rossini; c'est que le mouvement de valse rappelle la rapidité terrible et inévitable des coups du destin. La circonstance de la rapidité est ce qu'il y a de plus terrible dans les sensations actuelles d'un malheureux condamné à mort et qui doit être exécuté dans trois quarts d'heure.
Ce n'est pas la faute de la musique si nous avons pris l'habitude de danser des valses; cette mode sera peut-être passée dans trente ans, et sa manière de peindre la rapidité de l'heure qui s'avance est éternelle.
Cette raison suffit à mes yeux pour justifier plusieurs mouvements de valse, ou en approchant beaucoup, qui se trouvent dans le second acte de la Gazza ladra; mais rien au monde ne saurait justifier
Sino il pianto è negato al mio ciglio
Entro il seno s'arresta il sospir,
Dio possente, mercede, consiglio!
Tu m'aita il mio fato a soffrir;
et ce chant fort gai est répété deux fois à une certaine distance.
A la quatrième ou cinquième représentation de la Gazza ladra, un cri général s'éleva contre cette absurdité. Un des jeunes gens les plus aimables de cette aimable société de Milan, et dont les arts déplorent la perte aujourd'hui, était admirable en attaquant Rossini sur cet allegro. S'il vivait encore, son amitié ne m'aurait pas refusé quelques pages pour cette brochure, et je ne la croirais pas alors tout à fait indigne de l'attention du public.
Le parti de Rossini (car il y avait deux partis très prononcés) disait qu'il fallait lui savoir gré d'avoir déguisé l'atrocité du sujet par la légèreté de ses cantilènes. Si Mozart, disaient-ils, avait fait la musique de la Gazza ladra comme elle doit être écrite, c'est-à-dire dans le goût des parties sérieuses de Don Juan, cette pièce eût fait horreur et l'on n'en pourrait supporter la représentation.
Le fait est que, dans aucun de ses opéras, Rossini n'a fait autant de fautes de sens que dans la Gazza ladra. Il avait peur du public de Milan, qui lui gardait rancune depuis le Turco in Italia. Il voulut étourdir ce public, faire un grand nombre de morceaux nouveaux, et se donna moins que jamais le temps de relire. Ricordi, le premier marchand de musique d'Italie, et qui doit une grande fortune aux succès de Rossini racontait devant moi, à Florence, que Rossini avait composé un des plus beaux duetti de la Gazza ladra dans son arrière-boutique, au milieu des cris et du tapage affreux de douze ou quinze copistes de musique se dictant leurs copies ou les collationnant, et cela en moins d'une heure.
Le grand morceau qui commence par le chœur Tremate, o popoli, me semble beaucoup trop long.
Le chœur du peuple, quand Ninette passe devant nous, environnée de gendarmes, pour aller au supplice, est bien. En Italie, où la tyrannie soupçonneuse et sans pitié39 (le contraire du gouvernement de Louis XV) n'a pas permis la naissance des sentiments délicats, le bourreau,