Eh! vous autres, lourdauds, tombez donc sur l'enfant.
Il tremble.
Bien, mon jeune lion! courage, mon beau jeune homme!..
(Il traverse Mezzani de son épée.)
Au secours! au meurtre! on s'égorge dans ma maison!
Mezzani mort… Sanche mourant… trois contre trois… Bonsoir!
Non pas, non pas. Mort aux mauvaises bêtes! A toi! don Gibet; à toi, Coupe-bourse!..
Grâce, mon jeune maître, grâce! Vois, la fenêtre est ouverte, je puis me sauver… ne me perds pas! C'était mon premier crime, ce sera le dernier… Ne me fais pas douter de la miséricorde de Dieu! Laisse-moi!.. pitié!..
Misérable! que Dieu t'entende et te punisse doublement si tu blasphèmes!.. Va!
Je m'appelle Giglio… Je te dois la vie!..
Bon! à votre affaire, messieurs les sbires! Vous arrivez, selon l'habitude, quand on n'a plus besoin de vous! Enlevez-nous ces deux cadavres; et vous, monsieur l'hôte, faites relever les tables. (A Gabriel, qui se lave les mains avec empressement.) Voilà de la coquetterie; ces souillures étaient glorieuses, mon jeune brave!
J'ai horreur du sang.
Vrai Dieu! il n'y parait guère quand vous vous battez! Laissez-moi serrer cette petite main blanche qui combat comme celle d'Achille.
De grand coeur, seigneur Astolphe, le plus téméraire des hommes!
Monseigneur, n'êtes-vous pas blessé?
Monseigneur? En effet, vous avez tout l'air d'un prince. Eh bien! puisque vous connaissez mon nom, vous savez que je suis de bonne maison, et que vous pouvez, sans déroger, me compter parmi vos amis. (Se retournant vers les sbires, qui ont interrogé l'hôte et qui s'approchent pour le saisir.) Eh bien! à qui en avez-vous maintenant, chers oiseaux de nuit?
Seigneur Astolphe, vous allez attendre en prison que la justice ait éclairci cette affaire. (A Gabriel.) Monsieur, veuillez aussi nous suivre.
Comment! éclairci? Il me semble qu'elle est assez claire comme cela. Des assassins tombent sur nous; ils étaient cinq contre trois, et parce qu'ils comptaient sur la faiblesse d'un vieillard et d'un enfant… Mais ce sont de braves compagnons… Ce jeune homme… Tiens, sbire, tu devrais te prosterner. En attendant, voilà pour boire… Laisse-nous tranquilles… (Il fouille dans sa poche.) Ah! j'oubliais que j'ai perdu ce soir mon dernier écu… Mais demain… si je te retrouve dans quelque coupe-gorge comme celui-ci, je te paierai double aubaine… entendu? Monsieur est un prince… le prince de… neveu du cardinal de… (A l'oreille du sbire.) Le bâtard du dernier pape… (A Gabriel.) Glissez-leur trois écus, et dites-leur votre nom.
Le prince Gabriel de Bramante.
Bramante! mon cousin germain! Par Bacchus et par le diable! il n'y a pas de bâtard dans notre famille…
En indemnisant l'hôte pour les meubles brisés et le vin répandu… cela peut s'arranger… Quand les assassins seront en jugement, vos seigneuries comparaîtront.
A tous les diables! c'est assez d'avoir la peine de les larder… Je ne veux plus entendre parler d'eux. (Bas à Gabriel.) Quelque chose à l'hôte, et ce sera fini.
Faut-il donc acheter la police et les témoins, comme si nous étions des malfaiteurs!
Oui, c'est assez l'usage dans ce pays-ci.
Non, monseigneur, je suis bien tranquille sur le dommage que ma maison a souffert. Je sais que votre altesse me le paiera généreusement, et je ne suis pas pressé. Mais il faut que justice se fasse. Je veux que ce tapageur d'Astolphe soit arrêté et demeure en prison jusqu'à ce qu'il m'ait payé la dépense qu'il fait chez moi depuis six mois. D'ailleurs je suis las du bruit et des rixes qu'il apporte ici tous les soirs avec ses méchants compagnons. Il a réussi à déconsidérer ma maison… C'est lui qui entame toujours les querelles, et je suis sûr que la scène de ce soir a été provoquée par lui…
Oui, oui; nous étions là bien tranquilles…
Voulez-vous bien rentrer sous terre, abominable vermine? (A l'hôte.) Ah! ah! déconsidérer la maison de monsieur! (Riant aux éclats.) Entacher la réputation du coupe-gorge de monsieur! Un repaire d'assassins… une caverne de bandits…
Et qu'y veniez-vous faire, monsieur, dans cette caverne de bandits?
Ce que la police ne fait pas, purger la terre de quelques coupe-jarrets.
Seigneur Astolphe, la police fait son devoir.
Bien dit, mon maître: à preuve que sans notre courage et nos armes nous étions assassinés là tout à l'heure.
C'est ce qu'il faut savoir. C'est à la justice d'en connaître. Messieurs, faites votre devoir, ou je porte plainte.
La police sait ce qu'elle a à faire. Seigneur Astolphe, marchez avec nous.
Je n'ai rien à dire contre ces nobles seigneurs.
Messieurs, je vous suis. Si votre devoir est d'arrêter le seigneur Astolphe, mon devoir est de me remettre également entre les mains de la justice. Je suis complice de sa faute, si c'est une faute que de défendre sa vie contre des brigands. Un des cadavres qui gisaient ici tout à l'heure a péri de ma main.
Brave cousin!
Vous, son cousin? fi donc! Voyez l'insolence! un misérable qui ne paie pas ses dettes!
Taisez-vous, monsieur, les dettes de mon cousin seront payées. Mon intendant passera chez vous demain matin.
Il