Le Capitaine Aréna — Tome 2. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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il était au moins débarrassé.

      Mais son étonnement fut grand lorsqu'en ramenant ses yeux sur les culottes de don Girolamo, qui reposaient sur ses genoux déjà à moitié exécutées, il aperçut en face de lui, assis au pied de son établi, un petit vieillard de bonne mine, habillé tout de noir, et qui le regardait d'un air goguenard, les deux coudes appuyés sur l'établi et le menton dans ses deux mains.

      Le petit vieillard et maître Térence se regardèrent un instant face à face; puis maître Térence rompant le premier le silence:

      — Pardon, votre excellence, lui dit-il, mais puis-je savoir ce que vous attendez là?

      — Ce que j'attends! demanda le petit vieillard; tu dois bien t'en douter.

      — Non, le diable m'emporte, répondit Térence.

      A ce mot: le diable m'emporte, il eût fallu voir la joie du petit vieillard; ses yeux brillèrent comme braise, sa bouche se fendit jusqu'aux oreilles, et l'on entendit derrière lui quelque chose qui allait et venait en balayant le plancher.

      — Ce que j'attends, dit-il, ce que j'attends?

      — Oui, reprit Térence.

      — Eh bien, j'attends mes culottes.

      — Comment, vos culottes?

      — Sans doute.

      — Mais vous ne m'avez pas commandé de culottes, vous.

      — Non; mais tu m'en as offert, et je les accepte.

      — Moi, s'écria Térence stupéfait; moi, je vous ai offert des culottes?

      Lesquelles?

      — Celles-là? dit le vieillard en montrant du doigt celles auxquelles le tailleur travaillait.

      — Celles-là, reprit maître Térence, de plus en plus étonné; mais celles-là appartiennent à don Girolamo, curé de Simmari.

      — C'est-à-dire qu'elles appartenaient à don Girolamo il y a un quart d'heure, mais maintenant elles sont à moi.

      — A vous? reprit maître Térence, de plus en plus ébahi.

      — Sans doute; n'as-tu pas dit, il y a dix minutes, que tu donnerais bien ces culottes pour être débarrassé de ta femme?

      — Je l'ai dit, je l'ai dit, et je le répète.

      — Eh bien! j'accepte le marché; moyennant ces culottes je te débarrasse de ta femme.

      — Vraiment?

      — Parole d'honneur.

      — Et quand cela?

      — Aussitôt que je les aurai entre les jambes.

      — Oh! mon gentilhomme, s'écria Térence en pressant le vieillard sur son cœur, permettez-moi de vous embrasser.

      — Volontiers, dit le vieillard en serrant à son tour si fortement le tailleur dans ses bras, que celui-ci faillit tomber à la renverse étouffé, et fut un instant à se remettre.

      — Eh bien, qu'as-tu donc? demanda le vieillard.

      — Que votre excellence m'excuse, dit le tailleur qui n'osait se plaindre, mais je crois que c'est la joie. J'ai failli me trouver mal.

      — Un petit verre de cette liqueur, cela te remettra, dit le vieillard en tirant de sa poche une bouteille et deux verres.

      — Qu'est-ce que c'est que cela? demanda Térence la bouche ouverte et les yeux étincelants de joie.

      — Goûtez toujours, dit le vieillard.

      — C'est de confiance, reprit Térence; et il porta le verre à sa bouche, avala la liqueur d'un trait et fit claquer sa langue en amateur satisfait.

      — Diable! dit-il.

      Soit satisfaction de voir sa liqueur appréciée, soit que l'exclamation par laquelle le tailleur lui avait rendu justice plût au petit vieillard, ses yeux brillèrent de nouveau, sa bouche se fendit derechef, et l'on entendit, comme la première fois, ce petit frôlement qui était évidemment chez lui une marque de satisfaction. Quant à maître Térence, il semblait qu'il venait de boire un verre de l'élixir de longue vie, tant il se sentait gai, alerte, dispos et valeureux.

      — Ainsi vous êtes venu pour cela, ô digne gentilhomme que vous êtes, et vous vous contenterez d'une paire de culottes! c'est pour rien; et aussitôt qu'elles seront faites vous emmènerez ma femme, vraiment?

      — Eh bien, que fais-tu? dit le vieillard, tu te reposes?

      — Eh non! vous le voyez bien, j'enfile mon aiguille. Tenez, c'est cela qui retardera la livraison de vos culottes; rien qu'à enfiler son aiguille un tailleur perd deux heures par jour. Ah! la voilà, enfin.

      Et maître Térence se mit à coudre avec une telle ardeur qu'on ne voyait pas aller la main, si bien que l'ouvrage avançait avec une rapidité miraculeuse; mais ce qu'il y avait de plus étonnant dans tout cela, ce qui de temps en temps faisait pousser une exclamation de surprise à maître Térence, c'est que, quoique les points se succédassent avec une rapidité à laquelle lui-même ne comprenait rien, le fil restait toujours de la même longueur; si bien qu'avec ce fil, il pouvait, sans avoir besoin de renfiler son aiguille, achever, non-seulement les culottes du vieillard, mais encore coudre toutes les culottes du royaume des Deux-Siciles. Ce phénomène lui donna à penser, et pour la première fois il lui vint à la pensée que le petit vieillard qui était devant lui pourrait bien ne pas être ce qu'il paraissait.

      — Diable, diable! fit-il tout en tirant son aiguille plus rapidement qu'il n'avait fait encore.

      Mais cette fois, sans doute, le vieillard saisit la nuance de doute qui se trouvait dans la voix de maître Térence, et aussitôt empoignant la bouteille au collet:

      — Encore une goutte de cet élixir, mon maître, dit-il en remplissant le verre de Térence.

      — Volontiers, répondit le tailleur, qui avait trouvé la liqueur trop superfine pour ne pas y revenir avec plaisir; et il avala le second verre avec la même sensualité que le premier.

      — Voilà de fameux rosolio, dit-il, où diable se fait-il?

      Comme ces paroles avaient été dites avec un tout autre accent que celles qui avaient inquiété le petit vieillard, ses yeux se remirent à briller, sa bouche se refendit, et l'on entendit de nouveau ce singulier frôlement qu'avait déjà remarqué le tailleur.

      Mais cette fois maître Térence était loin de s'en inquiéter; l'effet de la liqueur avait été plus souverain encore que la première fois, et l'étranger qu'il avait sous les yeux lui paraissait, quel qu'il fût, venu dans l'intention de lui rendre un trop grand service pour qu'il le chicanât sur l'endroit d'où il venait.

      — Où l'on fait cette liqueur? dit l'étranger. — Où? demanda Térence.

      — Eh bien! dans l'endroit même où je compte emmener ta femme.

      Térence cligna de l'œil et regarda le vieillard d'un air qui voulait dire: Bon! je comprends; et il se remit à l'ouvrage; mais au bout d'un instant le vieillard étendit là main.

      — Eh bien! eh bien! lui dit-il, que fais-tu?

      — Ce que je fais?

      — Oui, tu fermes le fond de mes culottes.

      — Sans doute, je le ferme.

      — Alors, par où passerai-je ma queue?

      — Comment, votre queue?

      — Certainement, ma queue.

      — Ah! c'est donc votre queue qui fait sous la table ce petit frôlement?

      — Juste: c'est une mauvaise habitude qu'elle