La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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idées de mademoiselle de Nègrepelisse passa dans ses manières, dans son regard; elle eut cet air cavalier qui paraît au premier abord original, mais qui ne sied qu'aux femmes de vie aventureuse. Ainsi cette éducation, dont les aspérités se seraient polies dans les hautes régions sociales, devait la rendre ridicule à Angoulême, alors que ses adorateurs cesseraient de diviniser des erreurs, gracieuses pendant la jeunesse seulement. Quant à Monsieur de Nègrepelisse, il aurait donné tous les livres de sa fille pour sauver un bœuf malade; car il était si avare qu'il ne lui aurait pas accordé deux liards au delà du revenu auquel elle avait droit, quand même il eût été question de lui acheter la bagatelle la plus nécessaire à son éducation. L'abbé mourut en 1802, avant le mariage de sa chère enfant, mariage qu'il aurait sans doute déconseillé. Le vieux gentilhomme se trouva bien empêché de sa fille quand l'abbé fut mort. Il se sentit trop faible pour soutenir la lutte qui allait éclater entre son avarice et l'esprit indépendant de sa fille inoccupée. Comme toutes les jeunes personnes sorties de la route tracée où doivent cheminer les femmes, Naïs avait jugé le mariage et s'en souciait peu. Elle répugnait à soumettre son intelligence et sa personne aux hommes sans valeur et sans grandeur personnelle qu'elle avait pu rencontrer. Elle voulait commander, et devait obéir. Entre obéir à des caprices grossiers, à des esprits sans indulgence pour ses goûts, et s'enfuir avec un amant qui lui plairait, elle n'aurait pas hésité. Monsieur de Nègrepelisse était encore assez gentilhomme pour craindre une mésalliance. Comme beaucoup de pères, il se résolut à marier sa fille, moins pour elle que pour sa propre tranquillité. Il lui fallait un noble ou un gentilhomme peu spirituel, incapable de chicaner sur le compte de tutelle qu'il voulait rendre à sa fille, assez nul d'esprit et de volonté pour que Naïs pût se conduire à sa fantaisie, assez désintéressé pour l'épouser sans dot. Mais comment trouver un gendre qui convînt également au père et à la fille? Un pareil homme était le phénix des gendres. Dans ce double intérêt, monsieur de Nègrepelisse étudia les hommes de la province, et monsieur de Bargeton lui parut être le seul qui répondît à son programme. Monsieur de Bargeton, quadragénaire fort endommagé par les dissipations de sa jeunesse, était accusé d'une remarquable impuissance d'esprit; mais il lui restait précisément assez de bons sens pour gérer sa fortune, et assez de manières pour demeurer dans le monde d'Angoulême sans y commettre ni gaucheries ni sottises. Monsieur de Nègrepelisse expliqua tout crûment à sa fille la valeur négative du mari-modèle qu'il lui proposait, et lui fit apercevoir le parti qu'elle en pouvait tirer pour son propre bonheur: elle épousait un nom, elle achetait un chaperon, elle conduirait à son gré sa fortune à l'abri d'une raison sociale, et à l'aide des liaisons que son esprit et sa beauté lui procureraient à Paris. Naïs fut séduite par la perspective d'une semblable liberté. Monsieur de Bargeton crut faire un brillant mariage, en estimant que son beau-père ne tarderait pas à lui laisser la terre qu'il arrondissait avec amour; mais en ce moment monsieur de Nègrepelisse paraissait devoir écrire l'épitaphe de son gendre.

      Madame de Bargeton se trouvait alors âgée de trente-six ans, et son mari en avait cinquante-huit. Cette disparité choquait d'autant plus que monsieur de Bargeton semblait avoir soixante-dix ans, tandis que sa femme pouvait impunément jouer à la jeune fille, se mettre en rose, ou se coiffer à l'enfant. Quoique leur fortune n'excédât pas douze mille livres de rente, elle était classée parmi les six fortunes les plus considérables de la vieille ville, les négociants et les administrateurs exceptés. La nécessité de cultiver leur père, dont madame de Bargeton attendait l'héritage pour aller à Paris, et qui le fit si bien attendre que son fils mourut avant lui, força monsieur et madame de Bargeton d'habiter Angoulême, où les brillantes qualités d'esprit et les richesses brutes cachées dans le cœur de Naïs devaient se perdre sans fruit, et se changer avec le temps en ridicules. En effet, nos ridicules sont en grande partie causés par un beau sentiment, par des vertus ou par des facultés portées à l'extrême. La fierté que ne modifie pas l'usage du grand monde devient de la roideur en se déployant sur de petites choses au lieu de s'agrandir dans un cercle de sentiments élevés. L'exaltation, cette vertu dans la vertu, qui engendre les saintes, qui inspire les dévouements cachés et les éclatantes poésies, devient de l'exagération en se prenant aux riens de la province. Loin du centre où brillent les grands esprits, où l'air est chargé de pensées, où tout se renouvelle, l'instruction vieillit, le goût se dénature comme une eau stagnante. Faute d'exercice, les passions se rapetissent en grandissant des choses minimes. Là est la raison de l'avarice et du commérage qui empestent la vie de province. Bientôt, l'imitation des idées étroites et des manières mesquines gagne la personne la plus distinguée. Ainsi périssent des hommes nés grands, des femmes qui, redressées par les enseignements du monde et formées par des esprits supérieurs, eussent été charmantes. Madame de Bargeton prenait la lyre à propos d'une bagatelle, sans distinguer les poésies personnelles des poésies publiques. Il est en effet des sensations incomprises qu'il faut garder pour soi-même. Certes un coucher de soleil est un grand poème, mais une femme n'est-elle pas ridicule en le dépeignant à grands mots devant des gens matériels? Il s'y rencontre de ces voluptés qui ne peuvent se savourer qu'à deux, poète à poète, cœur à cœur. Elle avait le défaut d'employer de ces immenses phrases bardées de mots emphatiques, si ingénieusement nommées des tartines dans l'argot du journalisme qui tous les matins en taille à ses abonnés de fort peu digérables, et que néanmoins ils avalent. Elle prodiguait démesurément des superlatifs qui chargeaient sa conversation où les moindres choses prenaient des proportions gigantesques. Dès cette époque elle commençait à tout typiser, individualiser, synthétiser, dramatiser, supérioriser, analyser, poétiser, prosaïser, colossifier, angéliser, néologiser, et tragiquer; car il faut violer pour un moment la langue, afin de peindre des travers nouveaux que partagent quelques femmes. Son esprit s'enflammait d'ailleurs comme son langage. Le dithyrambe était dans son cœur et sur ses lèvres. Elle palpitait, elle se pâmait, elle s'enthousiasmait pour tout événement: pour le dévouement d'une sœur grise et l'exécution des frères Faucher, pour l'Ipsiboé de monsieur d'Arlincourt comme pour l'Anaconda de Lewis, pour l'évasion de Lavalette comme pour une de ses amies qui avait mis des voleurs en fuite en faisant la grosse voix. Pour elle, tout était sublime, extraordinaire, étrange, divin, merveilleux. Elle s'animait, se courrouçait, s'abattait sur elle-même, s'élançait, retombait, regardait le ciel ou la terre; ses yeux se remplissaient de larmes. Elle usait sa vie en de perpétuelles admirations et se consumait en d'étranges dédains. Elle concevait le pacha de Janina, elle aurait voulu lutter avec lui dans son sérail, et trouvait quelque chose de grand à être cousue dans un sac et jetée à l'eau. Elle enviait lady Esther Stanhope, ce bas-bleu du désert. Il lui prenait envie de se faire sœur de Sainte-Camille et d'aller mourir de la fièvre jaune à Barcelone en soignant les malades: c'était là une grande, une noble destinée! Enfin, elle avait soif de tout ce qui n'était pas l'eau claire de sa vie, cachée entre les herbes. Elle adorait lord Byron, Jean-Jacques Rousseau, toutes les existences poétiques et dramatiques. Elle avait des larmes pour tous les malheurs et des fanfares pour toutes les victoires. Elle sympathisait avec Napoléon vaincu, elle sympathisait avec Méhémet-Ali massacrant les tyrans de l'Égypte. Enfin elle revêtait les gens de génie d'une auréole, et croyait qu'ils vivaient de parfums et de lumière. A beaucoup de personnes, elle paraissait une folle dont la folie était sans danger; mais, certes, à quelque perspicace observateur, ces choses eussent semblé les débris d'un magnifique amour écroulé aussitôt que bâti, les restes d'une Jérusalem céleste, enfin l'amour sans l'amant. Et c'était vrai. L'histoire des dix-huit premières années du mariage de madame de Bargeton peut s'écrire en peu de mots. Elle vécut pendant quelque temps de sa propre substance et d'espérances lointaines. Puis, après avoir reconnu que la vie de Paris, à laquelle elle aspirait, lui était interdite par la médiocrité de sa fortune, elle se prit à examiner les personnes qui l'entouraient, et frémit de sa solitude. Il ne se trouvait autour d'elle aucun homme qui pût lui inspirer une de ces folies auxquelles les femmes se livrent, poussées par le désespoir que leur cause une vie sans issue, sans événement, sans intérêt. Elle ne pouvait compter sur rien, pas même sur le hasard, car il y a des vies sans hasard. Au temps où l'Empire brillait de toute sa gloire, lors du passage de Napoléon en Espagne, où il envoyait la fleur de ses troupes, les espérances de cette femme, trompées jusqu'alors, se réveillèrent. La curiosité la poussa naturellement