La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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à des petitesses qui se retrouvent d'ailleurs dans chaque sphère sociale, doivent comprendre combien l'hôtel de Bargeton était imposant dans la bourgeoisie d'Angoulême. Quant à l'Houmeau, les grandeurs de ce Louvre au petit pied, la gloire de cet hôtel de Rambouillet angoumoisin brillait à une distance solaire. Tous ceux qui s'y rassemblaient étaient les plus pitoyables esprits, les plus mesquines intelligences, les plus pauvres sires à vingt lieues à la ronde. La politique se répandait en banalités verbeuses et passionnées; la Quotidienne y paraissait tiède, Louis XVIII y était traité de Jacobin. Quant aux femmes, la plupart sottes et sans grâce se mettaient mal, toutes avaient quelque imperfection qui les faussait, rien n'y était complet, ni la conversation ni la toilette, ni l'esprit ni la chair. Sans ses projets sur madame de Bargeton, Châtelet n'y eût pas tenu. Néanmoins, les manières et l'esprit de caste, l'air gentilhomme, la fierté du noble au petit castel, la connaissance des lois de la politesse y couvraient tout ce vide. La noblesse des sentiments y était beaucoup plus réelle que dans la sphère des grandeurs parisiennes; il y éclatait un respectable attachement quand même aux Bourbons. Cette société pouvait se comparer, si cette image est admissible, à une argenterie de vieille forme, noircie, mais pesante. L'immobilité de ses opinions politiques ressemblait à de la fidélité. L'espace mis entre elle et la bourgeoisie, la difficulté d'y parvenir simulaient une sorte d'élévation et lui donnaient une valeur de convention. Chacun de ces nobles avait son prix pour les habitants, comme le cauris représente l'argent chez les nègres de Bambarra. Plusieurs femmes, flattées par monsieur du Châtelet et reconnaissant en lui des supériorités qui manquaient aux hommes de leur société, calmèrent l'insurrection des amours-propres: toutes espéraient s'approprier la succession de l'Altesse Impériale. Les puristes pensèrent qu'on verrait l'intrus chez madame de Bargeton, mais qu'il ne serait reçu dans aucune autre maison. Du Châtelet essuya plusieurs impertinences, mais il se maintint dans sa position en cultivant le clergé. Puis il caressa les défauts que le terroir avait donnés à la reine d'Angoulême, il lui apporta tous les livres nouveaux, il lui lisait les poésies qui paraissaient. Ils s'extasiaient ensemble sur les œuvres des jeunes poètes, elle de bonne foi, lui s'ennuyant, mais prenant en patience les poètes romantiques, qu'en homme de l'école impériale il comprenait peu. Madame de Bargeton, enthousiasmée de la renaissance due à l'influence des lis, aimait monsieur de Chateaubriand de ce qu'il avait nommé Victor Hugo un enfant sublime. Triste de ne connaître le génie que de loin, elle soupirait après Paris, où vivaient les grands hommes. Monsieur du Châtelet crut alors faire merveille en lui apprenant qu'il existait à Angoulême un autre enfant sublime, un jeune poète qui, sans le savoir, surpassait en éclat le lever sidéral des constellations parisiennes. Un grand homme futur était né dans l'Houmeau! Le Proviseur du collége avait montré d'admirables pièces de vers au baron. Pauvre et modeste, l'enfant était un Chatterton sans lâcheté politique, sans la haine féroce contre les grandeurs sociales qui poussa le poète anglais à écrire des pamphlets contre ses bienfaiteurs. Au milieu des cinq ou six personnes qui partageaient son goût pour les arts et les lettres, celui-ci parce qu'il raclait un violon, celui-là parce qu'il tachait plus ou moins le papier blanc de quelque sépia, l'un en sa qualité de président de la Société d'agriculture, l'autre en vertu d'une voix de basse qui lui permettait de chanter en manière d'hallali le Se fiato in corpo avete; parmi ces figures fantasques, madame de Bargeton se trouvait comme un affamé devant un dîner de théâtre où les mets sont en carton. Aussi rien ne pourrait-il peindre sa joie au moment où elle apprit cette nouvelle. Elle voulut voir ce poète, cet ange! elle en raffola, elle s'enthousiasma, elle en parla pendant des heures entières. Le surlendemain l'ancien courrier diplomatique avait négocié par le Proviseur la présentation de Lucien chez madame de Bargeton.

      Vous seuls, pauvres ilotes de province pour qui les distances sociales sont plus longues à parcourir que pour les Parisiens aux yeux desquels elles se raccourcissent de jour en jour, vous sur qui pèsent si durement les grilles entre lesquelles chaque monde s'anathématise et se dit Raca, vous seuls comprendrez le bouleversement qui laboura la cervelle et le cœur de Lucien Chardon, quand son imposant Proviseur lui dit que les portes de l'hôtel de Bargeton allaient s'ouvrir devant lui! La gloire les avait fait tourner sur leurs gonds! Il serait bien accueilli dans cette maison dont les vieux pignons attiraient son regard quand il se promenait le soir à Beaulieu avec David, en se disant que leurs noms ne parviendraient peut-être jamais à ces oreilles dures à la science lorsqu'elle partait de trop bas. Sa sœur fut seule initiée à ce secret. En bonne ménagère, en divine devineresse, Ève sortit quelques louis du trésor pour aller acheter à Lucien des souliers fins chez le meilleur bottier d'Angoulême, un habillement neuf chez le plus célèbre tailleur. Elle lui garnit sa meilleure chemise d'un jabot qu'elle blanchit et plissa elle-même. Quelle joie, quand elle le vit ainsi vêtu! combien elle fut fière de son frère! combien de recommandations! Elle devina mille petites niaiseries. L'entraînement de la méditation avait donné à Lucien l'habitude de s'accouder aussitôt qu'il était assis, il allait jusqu'à attirer une table pour s'y appuyer; Ève lui défendit de se laisser aller dans le sanctuaire aristocratique à des mouvements sans gêne. Elle l'accompagna jusqu'à la porte Saint-Pierre, arriva presque en face de la cathédrale, le regarda prenant par la rue de Beaulieu, pour aller sur la Promenade où l'attendait monsieur du Châtelet. Puis la pauvre fille demeura tout émue comme si quelque grand événement se fût accompli. Lucien chez madame de Bargeton, c'était pour Ève l'aurore de la fortune. La sainte créature, elle ignorait que là où l'ambition commence, les naïfs sentiments cessent. En arrivant dans la rue du Minage, les choses extérieures n'étonnèrent point Lucien. Ce Louvre tant agrandi par ses idées était une maison bâtie en pierre tendre particulière au pays, et dorée par le temps. L'aspect, assez triste sur la rue, était intérieurement fort simple: c'était la cour de province, froide et proprette; une architecture sobre, quasi monastique, bien conservée. Lucien monta par un vieil escalier à balustres de châtaignier dont les marches cessaient d'être en pierre à partir du premier étage. Après avoir traversé une antichambre mesquine, un grand salon peu éclairé, il trouva la souveraine dans un petit salon lambrissé de boiseries sculptées dans le goût du dernier siècle et peintes en gris. Le dessus des portes était en camaïeu. Un vieux damas rouge, maigrement accompagné, décorait les panneaux. Les meubles de vieille forme se cachaient piteusement sous des housses à carreaux rouges et blancs. Le poète aperçut madame de Bargeton assise sur un canapé à petit matelas piqué, devant une table ronde couverte d'un tapis vert, éclairée par un flambeau de vieille forme, à deux bougies et à garde-vue. La reine ne se leva point, elle se tortilla fort agréablement sur son siége, en souriant au poète, que ce trémoussement serpentin émut beaucoup, il le trouva distingué.

      L'excessive beauté de Lucien, la timidité de ses manières, sa voix, tout en lui saisit madame de Bargeton. Le poète était déjà la poésie. Le jeune homme examina, par de discrètes œillades, cette femme qui lui parut en harmonie avec son renom; elle ne trompait aucune de ses idées sur la grande dame. Madame de Bargeton portait, suivant une mode nouvelle, un béret tailladé en velours noir. Cette coiffure comporte un souvenir du Moyen-Age, qui en impose à un jeune homme en amplifiant pour ainsi dire la femme; il s'en échappait une folle chevelure d'un blond rouge, dorée à la lumière, ardente au contour des boucles. La noble dame avait le teint éclatant par lequel une femme rachète les prétendus inconvénients de cette fauve couleur. Ses yeux gris étincelaient, son front déjà ridé les couronnait bien par sa masse blanche hardiment taillée; ils étaient cernés par une marge nacrée où, de chaque côté du nez, deux veines bleues faisaient ressortir la blancheur de ce délicat encadrement. Le nez offrait une courbure bourbonnienne, qui ajoutait au feu d'un visage long en présentant comme un point brillant où se peignait le royal entraînement des Condé. Les cheveux ne cachaient pas entièrement le cou. La robe, négligemment croisée, laissait voir une poitrine de neige, où l'œil devinait une gorge intacte et bien placée. De ses doigts effilés et soignés, mais un peu secs, madame de Bargeton fit au jeune poète un geste amical, pour lui indiquer la chaise qui était près d'elle. Monsieur du Châtelet prit un fauteuil. Lucien s'aperçut alors qu'ils étaient seuls.

      La conversation de madame de Bargeton enivra le poète de l'Houmeau. Les trois heures passées près d'elle furent pour Lucien un de ces rêves que l'on voudrait rendre éternels. Il trouva cette femme plutôt maigrie que maigre, amoureuse sans