– Vous êtes un habile homme et un amant magnifique, lui dis-je; vous faites accepter vos dons de la manière la plus ingénieuse!
Il donna dans le piège sans se faire prier.
– Eh bien, oui, dit-il, voilà comme je suis! Rien ne me coûte pour procurer un petit plaisir à une jolie femme, et je n'ai pas le mauvais goût de lui faire des conditions, moi! C'est à elle de deviner.
– Et certainement on vous devine? Vous êtes coutumier du fait?
– Avec celle-ci… c'est la première fois, et je me demande avec un peu de crainte si elle prend réellement cette gemme de premier choix pour une améthyste de cent sous! Non, ce n'est pas probable. Toutes les femmes se connaissent en gemmes, elles les aiment tant!
– Pourtant, si elle n'y connaît rien, elle ne vous devine pas, et vous voilà dans une impasse. Ou il faut vous déclarer, ou il faut risquer de voir la bague passer à la femme de chambre.
– Me déclarer? répondit-il avec un véritable effroi. Oh! non, c'est trop tôt! je ne suis pas encouragé jusqu'à présent… à moins que ce ton moqueur ne soit une manière de grande dame!.. C'est possible, je n'avais jamais visé si haut, moi!.. car elle est comtesse, vous savez? Son mari ne prend pas de titre, mais il est de grande maison…
– Mon cher, repris-je avec une ironie qu'il ne comprit pas, tout madré qu'il était, je ne vois qu'un moyen: c'est qu'un ami généreux l'éclaire sur la valeur de l'objet qu'on lui a fait si adroitement accepter. Voulez-vous que je m'en charge?
– Oui! mais pas aujourd'hui au moins! Vous attendrez que je sois parti.
– Bah! vous voilà bien craintif! N'êtes-vous pas persuadé qu'une femme est toujours flattée d'un riche cadeau?
– Non! cela dépend; elle peut aimer le cadeau et détester la personne qui l'offre. Dans ce cas-là, il faut beaucoup de patience et beaucoup de cadeaux, toujours glissés dans ses mains sans qu'elle songe à les repousser, et ne témoignant jamais d'aucune espérance. Vous voyez que j'ai ma tactique!
– Elle est magnifique, et très-flatteuse pour les femmes que vous honorez de vos poursuites!
– Mais… je la crois fort délicate, reprit-il avec conviction, et, si vous la critiquez, c'est qu'il vous serait impossible de la suivre!
Je ne lui passai pas ce mouvement d'impertinence et je rentrai au petit salon, bien décidé à l'en punir. Je me sentis dès lors un aplomb extraordinaire, et, m'approchant d'Alida:
– Savez-vous, madame, lui dis-je, de quoi je m'entretenais avec M.
Moserwald au clair de la lune?
– Du clair de lune, peut-être?
– Non, nous parlions bijouterie. Monsieur prétend que toutes les femmes se connaissent en pierres précieuses parce qu'elles les aiment passionnément, et j'ai promis de m'en rapporter à votre arbitrage.
– Il y a là deux questions, répondit madame de Valvèdre. Je ne peux pas résoudre la première; car, pour mon compte, je n'y entends rien; mais, pour la seconde, je suis forcée de donner raison à M. Moserwald. Je crois que toutes les femmes aiment les bijoux.
– Excepté moi pourtant, dit Paule avec gaieté; je ne m'en soucie pas le moins du monde.
– Oh! vous, ma chère, reprit Alida du même ton, vous êtes une femme supérieure! Il n'est question ici que des simples mortelles.
– Moi, dis-je à mon tour avec une amertume extrême, je croyais qu'en fait de femmes il n'y avait que les courtisanes qui eussent la passion des diamans.
Alida me regarda d'un air très-étonné.
– Voilà une singulière idée! reprit-elle. Chez les créatures dont vous parlez, cette passion-là n'existe pas du tout. Les diamants ne représentent pour elles que des écus. Chez les femmes honnêtes, c'est quelque chose de plus noble: cela représente les dons sacrés de la famille ou les gages durables des affections sérieuses. Cela est si vrai, que, ruinée, une véritable grande dame souffre mille privations plutôt que de vendre son écrin. Elle n'en fait le sacrifice que pour sauver ses enfants ou ses princes.
– Ah! que cela est bien dit et que cela est vrai! s'écria Moserwald enthousiasmé. Entre la femme et le diamant, il y a une attraction surnaturelle! J'en ai vu mille exemples. Le serpent avait, dit une légende, un gros diamant dans la tête; Ève vit ce feu à travers ses yeux et fut fascinée. Elle s'y mira comme dans les glaces d'un palais enchanté…
– Voilà de la poésie, ou je ne m'y connais pas, dis-je en l'interrompant. Et vous vous moquez des poëtes, vous!
– Cela vous étonne, mon cher? reprit-il. C'est que je deviens poëte aussi, apparemment, avec les personnes qui m'inspirent!
En parlant ainsi, il lança sur Alida un regard enflammé qu'elle rencontra et soutint avec une impassibilité extraordinaire. C'était le comble du dédain ou de l'effronterie, car son grand oeil interrogateur était toujours plein de mystères. Je ne pus supporter cette situation douteuse, horrible pour elle, si elle n'était pas la dernière des femmes. Je lui demandai à voir encore sa bague de vingt-cinq francs, et, l'ayant regardée:
– Je m'étonne beaucoup, lui dis-je, du peu d'attention que vous avez accordée à une gemme si belle après l'aveu que vous venez de faire de votre goût pour ces sortes de choses. Savez-vous bien, madame, que l'on vous a vendu là une pierre d'un très-grand prix?
– Comment? Quoi? Est-ce possible? dit-elle en reprenant la bague et en la regardant. Est-ce que vous avez des connaissances dans cette partie-là?
– J'ai pour toute connaissance M. Moserwald, ici présent, qui, pas plus tard qu'avant-hier, m'a montré une bague toute pareille, avec des brillants comme ceux-ci, et qui me l'a offerte pour douze mille francs, c'est-à-dire pour rien, selon lui, car elle vaut beaucoup plus.
Devant cette interpellation directe, la figure de Moserwald se décomposa, et le rapide coup d'oeil d'Alida, allant de lui à moi, acheva de le bouleverser.
Madame de Valvèdre ne se troubla pas. Elle garda quelques instants le silence, comme si elle eût voulu résoudre un problème intérieur; puis, me présentant la bague:
– Qu'elle ait ou non de la valeur, dit-elle, je la trouve décidément fort laide. Voulez-vous me faire le plaisir de la jeter par la fenêtre?
– Vraiment? par la fenêtre? s'écria Moserwald incapable de maîtriser son émotion.
– Vous voyez bien, lui répondit Alida, que c'est une chose qui a été perdue, trouvée par votre coreligionnaire de Varallo, et vendue sans qu'il en ait connu la valeur. Eh bien, il faut rendre cette chose à sa destinée, qui est d'être ramassée dans la boue par les personnes qui ne craignent pas de se salir les mains.
Moserwald, poussé à bout, eut beaucoup de sang-froid et de présence d'esprit. Il me pria de lui donner la bague, et, comme je la lui rendais avec l'affectation d'une restitution légitime, il la remit à son doigt en disant:
– Puisqu'elle devait être jetée aux ordures, je la ramasse, moi. Je ne sais d'où elle sort, mais je sais qu'elle a été purifiée à tout jamais en passant une journée au doigt de madame de Valvèdre! Et maintenant, qu'elle vaille vingt-cinq sous ou vingt-cinq mille francs, elle est sans prix pour moi et ne me quittera jamais! Là-dessus, ajouta-t-il en se levant et en me regardant, je pense que ces dames sont fatiguées, et qu'il serait temps…
– M. Obernay et M. Valigny ne se retirent pas encore, répondit madame de Valvèdre avec une intention désespérante; mais vous êtes libre, d'autant plus que vous partez demain matin, j'imagine! Quant à la bague, vous ne pouvez pas la garder. Elle est à moi. Je l'ai payée et ne vous l'ai pas donnée… Rendez-la moi!
Les gros yeux de Moserwald brillèrent comme des escarboucles. Il crut son triomphe assuré en dépit d'un congé donné pour