Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868. Hector Berlioz. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Hector Berlioz
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Биографии и Мемуары
Год издания: 0
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/30021
Скачать книгу
donc, ne vous excusez pas. Votre gibelotte doit être excellente et je l'aurais bien partagée avec vous; mais mon estomac ne va plus. Continuez, mon ami, ne laissez pas brûler votre dîner parce que vous recevez chez vous un académicien qui a fait des fables.

      Andrieux s'assoit; on commence à causer de bien des choses, de musique surtout. A cette époque, Berlioz était déjà un glückiste féroce et intolérant:

      – Hé! hé! dit le vieux professeur en hochant la tête, j'aime Gluck, savez-vous? je l'aime à la folie.

      – Vous aimez Gluck, monsieur? s'écria Hector en s'élançant vers son visiteur comme pour l'embrasser. Dans ce mouvement, il brandissait sa casserole aux dépens de ce qu'elle contenait.

      – Oui, j'aime Gluck, reprit Andrieux, qui ne s'était pas aperçu du geste de son interlocuteur et qui, appuyé sur sa canne, poursuivait à demi-voix une conversation intérieure… J'aime bien Piccini aussi.

      – Ah! dit Berlioz froidement, en reposant sa casserole7.

      L'admiration de Gluck était venue au futur symphoniste de fragments d'Orphée qu'il avait découverts dans la bibliothèque de son père, à la Côte-Saint-André. Peu à peu, il avait consacré ses petites économies à acheter des billets pour l'Opéra, où l'on jouait des ouvrages de Spontini, de Salieri, de Méhul, tous de l'école de Gluck. En fait d'amphithéâtre, il ne fréquentait plus guère que celui de l'Académie de musique, et le cousin Robert, ayant voulu l'emmener à l'hospice de la Pitié pour y disséquer des sujets, Berlioz se sauva par la fenêtre. Jour et nuit, on l'entendait fredonner: Descends dans le sein d'Amphitrite, ou: Jouissez au destin propice, ou quelque autre mélodie de ses compositeurs favoris. Je ne crois pas trop au coup de foudre, terrassant le sensible Hector et lui révélant une vocation jusque-là confuse; cet événement extraordinaire se serait passé à une représentation des Danaïdes de Salieri8. Ce sont là des exagérations à l'adresse de la postérité et qu'on finit peut-être soi-même par croire exactes à force de les répéter aux gens. La froide raison ne tarde pas à abattre cet échafaudage de mélodrame; car il n'est pas admissible qu'un penchant aussi inné que celui dont nous avons montré les germes se soit jamais démenti ni oublié. Les Danaïdes ont frappé une âme très-disposée à être frappée; telle est la seule hypothèse vraisemblable et cette supposition n'a rien de commun avec les aventures de Saul sur le chemin de Damas. Quand on a, dès l'âge le plus tendre, tracé des notes sur du papier réglé, organisé des orchestres de famille, cherché des mélodies sur des paroles de Florian, trouvé le thème principal qui servira au largo de la Symphonie fantastique, on n'attend pas les Danaïdes pour savoir qu'on est musicien jusque dans les dernières fibres de son cœur. Notre héros s'est donc calomnié en prétendant qu'à un moment donné, «il allait devenir un étudiant comme tant d'autres, destiné à ajouter une obscure unité au nombre désastreux des mauvais médecins». Allons donc! est-ce qu'une organisation comme la sienne pouvait s'ignorer ainsi? est-ce que Catel, Rameau et Orphée n'avaient pas laissé de traces dans cette mémoire volage? Une vocation qui s'égare n'est point une vocation; l'homme marqué pour telle ou telle entreprise marche à son but sans détourner les yeux, sans s'arrêter aux bagatelles de la route, sans se préoccuper de l'avenir, sans s'inquiéter des obstacles. Connaissant l'intensité de tendresse avec laquelle Berlioz a aimé son art, je ne veux point admettre les défaillances; et, s'il n'y a pas eu défaillances, il n'y a eu ni conversion, ni coup de foudre, ni rien qui y ressemblât.

      Décidé à se faire compositeur de musique à ses risques et périls, Hector manda à son père la résolution qu'il venait de prendre et entra au Conservatoire dans la classe de Lesueur. Personne ne connaît Lesueur aujourd'hui. C'était pourtant, sous la Restauration et sous le premier Empire, un homme considérable, membre de l'Institut, correspondant d'un grand nombre d'académies, et les divers gouvernements qui s'étaient succédé en France l'avaient tous accablé de leurs faveurs. Après la représentation des Bardes, Napoléon lui avait donné une tabatière d'or; Louis XVIII et Charles X l'avaient conservé comme surintendant de la chapelle royale, où, tous les dimanches, il faisait exécuter des oratorios de sa façon. Ses doctrines, sa théorie de la basse fondamentale, ses idées sur les modulations étaient autant de dogmes devant lesquels ses élèves s'inclinaient avec foi. Il avait su, à vrai dire, inspirer à ces jeunes gens une affection profonde, tant par le respect que son talent leur imposait que par l'ardeur qu'il mettait à les aider de son influence et de ses relations. Eux, se glorifiaient de son enseignement; parmi les lettres que nous publions dans ce volume, quelques-unes portent, après la signature, cette mention: Élève de Lesueur, et cela fait l'effet d'un titre de noblesse, énoncé avec orgueil.

      Dans sa jeunesse, Lesueur avait été un révolutionnaire, introduisant des orchestres à Notre-Dame et publiant des brochures sur la musique d'église dramatique et descriptive. Aussi, les novateurs ne lui déplaisaient-ils pas, et, comme déjà Berlioz, dans la conversation, s'insurgeait volontiers contre certaines traditions reçues, contre certains préjugés incompréhensibles, le vieux maître avait pris en affection cet élève instruit, paradoxal, éloquent et fougueux. Les dimanches, avant la messe, il le faisait venir aux Tuileries, prenait la peine de lui expliquer le plan, les intentions, le sujet de l'œuvre qu'on allait exécuter. Après la messe, le professeur et son jeune ami allaient errer sur les bords de la Seine ou sous les ombrages du jardin des Tuileries, et Lesueur, avec sa physionomie fine, écoutait en souriant les véhéments discours de son compagnon de promenade, réfutait les opinions un peu hasardées de celui-ci et lui racontait le passé, quand le présent avait fourni trop longuement matière aux discussions sur la religion ou la philosophie.

      On ne s'occupait pas seulement de musique dans la classe de Lesueur, on s'y piquait aussi de poésie. Un des élèves, nommé Gérono, qui taquinait les Muses à ses moments perdus, avait tiré du drame de Saurin, Beverley, une scène pour voix de basse, dont il avait confié les paroles à Berlioz; nous ignorons quel était le librettiste d'un autre ouvrage sur le Passage de la mer Rouge, qui date de la même époque. Hector résolut de révéler au public ces premiers essais et songea à les produire dans une représentation à bénéfice au Théâtre-Français. Il fallait l'assentiment de Talma, le bénéficiaire. «L'idée de parler au grand tragédien, de voir Néron face à face» fit reculer Berlioz, qui n'était pas timide d'ordinaire. Ne pouvant réussir dans le profane, il se retira dans le sacré, écrivit une Messe qu'on faillit exécuter à Saint-Roch, puis qu'on exécuta tout à fait, grâce à la libéralité d'un riche amateur, qui paya les violons. Très-peu de journaux parlèrent de ce début, assez médiocre; le style de l'ouvrage était une mauvaise imitation de la manière de Lesueur, et l'auteur, plus consciencieux ou plus difficile que la plupart de ses confrères, brûla son manuscrit. Un seul morceau, le Resurrexit, fut préservé des flammes: encore le compositeur l'a-t-il plus tard condamné sans rémission. Nul n'a eu la main plus prompte que lui dans ces sortes d'auto-da-fé; il y a quelques années, on a vendu à l'hôtel Drouot l'unique exemplaire de l'opus 2 de Berlioz: la Danse des Ombres, ronde nocturne pour chant et piano. L'exemplaire était accompagné de la note ci-jointe: «Curiosité et rareté. Toute l'édition de l'œuvre 2 de Berlioz a été détruite par ses ordres9

      Il prit part au concours pour le prix de Rome et ne fut pas même jugé digne d'entrer en loge. Cet échec alarma les parents du Dauphiné, qui n'étaient pas bien sûrs que leur enfant prodigue fût destiné à briller dans la carrière musicale. Le père ordonna à son fils de revenir en province; Hector obéit, mais, de retour à la Côte, il tomba dans un état de tristesse horrible, ne parlant à personne, passant les journées à errer dans les bois et les nuits à gémir dans l'ombre. M. Louis Berlioz finit par se laisser émouvoir: «Je consens, dit-il à son fils, à te laisser étudier la musique à Paris, mais pour quelque temps seulement; et si, après de nouvelles épreuves, elles ne te sont pas favorables, tu me rendras bien la justice de déclarer que j'ai fait tout ce qu'il y avait à faire et tu te décideras à prendre une autre voie. Tu sais ce que je pense des poëtes médiocres: les artistes médiocres


<p>7</p>

Cette anecdote est insérée dans les Mémoires, mais fort en abrégé. Je la donne telle que je la tiens d'un ami intime, à qui Berlioz l'avait racontée souvent.

<p>8</p>

Mémoires, p. 21.

<p>9</p>

Renseignements communiqués par M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul.