Double-Blanc. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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une dame qui s’intéresse aux malades… Mais non, au fait! celle qui vous héberge gratuitement vous a recommandé de ne recevoir personne… il faut éviter de la mécontenter, tant que vous serez chez elle… mais quand tu partiras, mon gars, tu feras bien, je crois, de ne pas lui dire où tu vas. Je ne sais pourquoi cette bienfaitrice d’occasion m’est suspecte.

      – Je n’oserais pas m’en aller sans l’avertir.

      – Eh bien! la veille du jour où je viendrai vous chercher, tu lui écriras pour lui annoncer, sans autre explication, que vous êtes obligés de quitter Paris.

      – Oui… seulement, il y a les clefs qu’elle m’a confiées.

      – Ce serait peut-être le cas de les mettre sous la porte. Elle n’aurait rien à dire. Mais, après tout, elle vous a rendu service… et tu pourras les laisser à quelque boutiquier du voisinage. Nous verrons cela quand vous partirez. Maintenant, je m’en vais… et je n’ai pas perdu ma journée puisque nous sommes d’accord… mais cette espèce de caserne abandonnée m’intrigue… je voudrais en faire le tour extérieurement… je ne serais même pas fâché de visiter la cour où tu es descendu une nuit, au clair de la lune.

      – Je vais vous y conduire, notre maître.

      – Vous ne m’en voudrez pas de l’emmener, demanda doucement Hervé en s’adressant à la malade.

      Il ne lui avait pas encore dit: «Madame» et il ne l’appelait pas non plus par son petit nom de Zina.

      – Je ne vous en veux pas et je vous bénis, murmura-t-elle en lui tendant une main si fine et si blanche que le baron de Scaër se décida à répondre:

      – Croyez, chère madame, que je suis votre ami et traitez-moi comme tel, toujours et en toute occasion.

      Il n’alla pas jusqu’à la baiser, cette main, comme il avait baisé, rue de Lisbonne, l’aristocratique main de la marquise le Mazatlan. La situation n’était pas la même et, au cinquième étage, cette politesse de l’ancien régime eût été ridicule, mais il la serra avec effusion, presque avec tendresse, comme il aurait serré la main d’une jeune fille de son monde, éprouvée par le sort et restée digne de respect.

      Alain n’en revenait pas d’entendre son jeune maître parler si courtoisement à la pauvre Zina. En Cornouailles, les seigneurs ne sont pas fiers, mais ils n’ont pas coutume de donner aux femmes de leurs paysans des poignées de main à l’anglaise. Et de cette démonstration affectueuse, le gars aux biques inféra que M. de Scaër, qui devait s’y connaître, voyait que Zina était d’une race supérieure à sa condition présente.

      C’était à peu près ce que pensait Hervé, mais pour le moment il avait en tête d’autres soucis que celui de rechercher l’origine d’une enfant volée par des saltimbanques, et il se hâta de sortir avec Alain, non sans avoir dit encore quelques bonnes paroles à la jeune femme, clouée sur son fauteuil.

      Le maître et le serviteur eurent tôt fait de descendre au rez-de-chaussée et là, Alain, après avoir poussé jusqu’au fond de l’allée noire, ouvrit, avec une clef qui grinça dans la serrure rouillée, la porte de la cour intérieure.

      Hervé entra le premier et se mit à regarder curieusement les hauts bâtiments qui l’entouraient. Il n’y remarqua rien qu’il n’eût déjà vu de la fenêtre du logement occupé par Alain, mais il put constater que la cour avait été autrefois divisée en quatre compartiments, – un pour chaque corps de logis. On y voyait encore les trous creusés dans le pavage pour y planter les grilles de séparation.

      Donc, primitivement, il y avait eu là quatre maisons distinctes qui n’en faisaient plus qu’une et qui devaient appartenir maintenant au même propriétaire.

      Il y avait aussi quatre portes, en comptant celle qu’Alain venait d’ouvrir, quatre portes, dont trois paraissaient être condamnées depuis longtemps, car les araignées avaient fait leurs toiles dans les jointures.

      Toutes les fenêtres étaient closes par des volets, excepté au rez-de-chaussée du bâtiment de gauche où existaient deux longues baies garnies de vitrages poudreux, par lesquelles prenait jour un local qui pouvait bien être un magasin.

      C’était derrière ces vitrages qu’une nuit Alain avait cru apercevoir de la lumière. Il le dit à Hervé, qui s’écria:

      – Tu as dû te tromper. Par où diable serait-on entré là-dedans?

      – Probablement par la rue, répondit le gars aux biques. Il y a aussi des portes en dehors… c’est vrai qu’elles n’ont pas l’air de s’ouvrir souvent… vous verrez.

      – Allons voir.

      Ils sortirent de la cour. Alain donna un tour de clé et conduisit son maître dans la rue de la Huchette où, en ce moment, il ne passait personne; puis il le mena, en longeant la façade de la maison carrée, jusqu’à l’entrée d’une ruelle si étroite que trois hommes auraient eu de la peine à y passer de front.

      – Rue du Chat-qui-Pêche, lut Hervé sur une plaque municipale. Drôle de nom et drôle de rue!… On dirait une entaille dans un bloc de pierre… et elle n’est pas beaucoup plus longue qu’elle n’est large.

      Le quai Saint-Michel était au bout, à vingt pas, et, de l’autre côté de la Seine, se présentait en plein soleil une caserne récemment construite dans la Cité.

      – Oh! les noms! grommela le gars aux biques; je ne sais pas où les Parisiens vont les chercher. Tenez, notre maître!… l’autre venelle, là-bas, juste sous la croisée de notre logement… ils l’ont appelée rue Zacharie… Et ils se moquent des saints de chez nous parce qu’ils ont des noms bretons… je vous demande un peu ce que c’est que ça: Zacharie!… C’est pas un chrétien, bien sûr.

      Hervé ne répondit pas.

      Alain venait, bien involontairement, de réveiller dans l’esprit de son maître un souvenir encore vague, – pas même un souvenir; une réminiscence, – et ce maître s’efforçait de se rappeler où il avait déjà vu ou entendu ce nom biblique.

      De toutes les facultés de l’esprit, la mémoire est la plus singulière et aussi la plus complexe. Elle manque absolument à certains hommes, tandis qu’elle surabonde chez d’autres. Elle varie avec l’âge et les circonstances de la vie. Enfin, elle dépend surtout des impressions extérieures, – celles qu’on perçoit par les sens, – et elle fonctionne mécaniquement.

      La partie du cerveau qui en est le siège est comme un réservoir où s’emmagasinent les souvenirs. Ils dorment pêle-mêle jusqu’au moment où quelque choc en fait remonter un à la surface. Et ce choc est presque toujours produit par un objet ou par un son, par la vue ou par l’ouïe.

      Ainsi, lorsqu’on retrouve tout à coup un mot oublié, c’est tantôt parce qu’on l’a déjà entendu prononcer, tantôt parce que l’assemblage des lettres qui le composent a déjà passé sous les yeux de celui qui le revoit.

      Et plus cet assemblage est bizarre, plus on le retient facilement.

      Le grand romancier Balzac prétendait que chaque nom avait une physionomie particulière et il n’avait pas tort.

      Alain venait de citer successivement la rue de la Huchette, le quai Saint-Michel et même la rue du Chat-qui-Pêche, sans que Scaër prit garde à ces appellations dont l’une cependant, – la dernière, – était toute nouvelle pour lui. Pourquoi donc Scaër se préoccupait-il de la rue Zacharie, moins étrangement nommée que la ruelle voisine?

      Évidemment, parce que la configuration du mot l’avait déjà frappé dans une autre occasion.

      De la place où il s’était arrêté, il apercevait ce mot inscrit en lettres blanches sur une plaque bleue, ou du moins il en apercevait la première syllabe, car l’angle de la maison où logeait Alain lui cachait le reste de l’inscription.

      Et, sans qu’il s’expliquât pourquoi, c’était cette première syllabe qui lui rappelait confusément un souvenir que son esprit en travail cherchait à préciser.

      C’était